5.2.2. L'éloignement
géographique originaire du conflit
La problématique de l'éloignement
géographique apparait en effet assez déterminante dans les
conflits évoqués par l'ensemble des pères accueillis, et
sur les quinze pères interrogés, cette question est
rencontrée par huit d'entre eux. Il est difficile alors de mesurer si le
conflit est à l'origine du départ de la mère, ou si le
passage à l'acte pour des raisons diverses, motivé ou non, va
brusquement faire surgir un conflit pour le couple parental ; l'autre
parent réagissant alors par
la « judiciarisation » du règlement de la
séparation. Quoiqu'il en soit, il est important de souligner le fait que
dans les situations de conflit conjugal et/ou parental,
l'éventualité pour le père de partir avec l'enfant ne se
pose pas, sauf cas extrêmes, contrairement à la mère. C'est
ainsi que la concrétisation de la séparation du couple, qu'il y
ait éloignement ou pas, s'organise dès le départ avec la
configuration d'un seul parent gardien, en l'occurrence la mère. Le
père s'autorisant alors ou se laissant autoriser, par l'autre parent ou
l'institution, des droits de visite. Ce qui conduit à délimiter
le débat sur l'égalité parentale,
précisément pour les couples séparés, autour d'un
élargissement de droits de visites pour l'un des parents, le plus
souvent le père, jusqu'à éventuellement une
répartition égale du temps. Il s'agira alors de la mise en place
d'une « résidence alternée », qui quand elle
est controversée s'appuie sur des arguments relevant de
l'équilibre de l'enfant, mis à mal, à tord ou à
raison. Ainsi, le fait de convenir qu'un des parents, occupe une place plus
« naturelle » ou plus indispensable auprès de
l'enfant, que l'autre parent, tend à déplacer le discours sur
l'égalité, qui serait l'égalité de
quoi ? pour reprendre la question d'Amartya.Sen. Ce qui dans cette
optique, impliquerait de savoir si le problème doit être
abordé en terme d'égalité, ou bien s'il s'agit de
préserver le rôle de chacun à sa place qui lui est
conférée.
En rapport avec ce contexte d'autorisation à visiter
son enfant, le conflit est tel dans certains couples, que les pères se
trouvent dans la situation d'obtenir des droits de visite uniquement
accordés dans des « points rencontres ».
5.2.3. Les conflits donnant
lieu à des visites dans des points rencontre
Certains pères rencontrés se trouvent dans la
situation d'exercer leur droit de visite auprès de leurs enfants dans ce
qui est appelé des « points rencontre. » C'est ainsi
le cas pour trois des personnes interrogées. Il s'agit d'une orientation
prononcée par le Juge aux affaires familiales, pour des visites
médiatisées ou non, organisées dans des lieux neutres
proposés par des associations. Les pères concernés
expriment alors le sentiment de vivre cette situation comme une punition. Pour
François, cette décision fait suite à des accusations
d'attouchement sur les enfants, de la part de sa conjointe à son
encontre, qui ont été classées sans suite. Pour Vincent,
le point rencontre est proposé pour créer des liens avec son
enfant qu'il n'a pas vu pendant six mois :
« Etant donné que je ne l'ai pas vu
pendant 6 mois, et étant donné que je n'ai pas suivi la
grossesse, je suis puni de ça, je dois le voir au point rencontre 3
heures 2 fois par mois, à Pau, pendant 6 mois. Le point rencontre pour
recréer les liens.» (Vincent)
Pour Etienne, qui s'adresse par ailleurs à une autre
association, contre l'aliénation parentale, l'organisation des visites a
été prononcée au point rencontre pour ses deux filles,
après avoir été, estime t il, écarté
d'elles :
« Son objectif, c'était de
m'écarter de mes enfants, j'ai même été
accusé d'attouchements. Je suis passé à
la BM (brigade des mineurs), et ça s'est bien passé, c'est
à dire classé sans suite, mais ça n'empêche que je
ne les ai pas eus du tout parce que Mme a eu peur d'un rapport d'expertise qui
disait que Mme était toute puissante. Et un an après, j'ai
réussi à saisir un juge pour enfants, pour que je puisse enfin
les revoir, quitte à ce que ce soit dans un
centre. »(Etienne)
Ils maintiennent alors ce lien sans grand espoir
d'évolution, mais cherchent le soutien nécessaire dans les
associations de pères. Ils se reconnaissent dans la situation qu'ils
vivent comme des victimes d'une machination judiciaire et de la manipulation de
la mère :
« Pour l'égalité c'est difficile
je suis en position de défense, car moi en réalité je vois
mes enfants dans un point rencontre. La situation,
j'ai du mal à la voir évoluer positivement, dans un proche
avenir.. Je n'ai pas pu me défendre,
dès lors qu'on essaie de se défendre chez un JAF, il y a conflit
parental, il y a conflit et on finit dans un point rencontre [...] Je n'ai
aucun espoir que cela change car la justice ne comprend pas et n'a pas les
moyens de comprendre comment cela fonctionne [...]
Elle est dans le domaine de l'aide sociale de l'enfance, d'où la
difficulté que cela change. Je ne peux pas les avoir en vacances,
à l'école, je ne peux pas avoir d'informations sur le dossier
médical, elle me n'en donne pas. J'ai l'autorité parentale mais
en fait cela ne me sert à rien. Je n'ai pas de possibilité
d'avoir des nouvelles de mes enfants, je ne les appelle pas parce que sinon
c'est conflictuel. J'ai perdu ma place de
père. (François)
Elle avait l'objectif, c'était de m'écarter
de mes enfants, se venger de l'avoir quitté
[..], donc tous les intervenants autour des enfants,
ils sont manipulés, aussi, soit par la situation, soit directement par
la maman [...] Les premiers mois, j'ai imposé
les choses, de voir les filles à notre ancien domicile, sous le
contrôle de madame. Tant que j'étais sous son contrôle, et
vu qu'elle ne pouvait pas m'opposer de ne pas les voir, elle était en
porte à faux, donc elle a dit ok, mais dès lors qu'il fallait que
je prenne mes filles et que je m'en aille, c'était non [...]L'expertise
dit que madame va un peu loin, que monsieur est instable, sensible, qu' il
n'est pas très costaud, mais qu' il n'y a rien qui l'oppose à
être papa. Je pense que ce rapport lui a fait peur et au moment où
il est tombé, pendant deux mois elle a préparé sa plainte
pour attouchements. Le centre, il est nul, les psys
sont aussi psy que moi je suis prêtre, dans le sens où moi je suis
innocent et ils n'utilisent pas cette innocence, ils laissent un doute planer
[...]J'ai parlé de la manipulation de la maman, et elle est toujours
présente à l'étage au dessus ; donc j'ai
demandé à ce qu'elle quitte les lieux, pas contre elle, mais pour
pas qu'il y ait cette influence persistante (Etienne)
Il peut parfois s'agir de cas extrêmes, pour lesquels
comme dans la situation de Michel, celui-ci rapporte ne pas être entendu
par les institutions quand il relate un comportement de maltraitance de la part
de la mère, décrite comme dépressive, envers les
enfants :
« J'ai rencontré beaucoup de
difficultés pour me faire entendre par pas mal de services sociaux. Par
le 119, SOS enfance maltraitée ; le 119 m'a écouté,
mais ensuite les assistantes sociales sont venues et ont pris plutôt
parti pour la maman, et se sont fait manipulés. Ensuite
j'ai eu des soucis par la police parce que j'ai essayé de faire
hospitaliser la maman, car elle mettait en danger le
bébé. »(Michel)
Quelque soit leur vécu, les personnes
rencontrées dans les associations disent subir une injustice, expriment
le fait de n'être pas compris, et font part d'une situation
d'isolement.
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