5.3. Un sentiment de
destruction
Ils arrivent ainsi pour la quasi-totalité d'entre eux
dans un contexte de procédure de séparation, conflictuelle, et
apparaissent désemparés. L'expression d'une souffrance et d'une
grande solitude transparait dans leur récit au cours des permanences, et
lors des entretiens enregistrés pour mon enquête. Rarement
générateurs de la décision d'un divorce ou d'une
séparation, ils se présentent placés dans une position de
victime, avec le sentiment d'être confrontés à une
volonté adverse de les détruire, de supprimer le
père :
« Elle préfère me détruire
que de me perdre, et quitte à utiliser l'enfant [..], elle veut
le manger, quoi, c'est son enfant pour elle toute seule, et elle veut me
détruire en même temps, avec
ça. » (Vincent)
« On n'est pas trop écouté, en
fait. Au jour d'aujourd'hui, je ne suis pas écouté, on n'est pas
entendu [...] J'ai reconnu mes enfants mais au point
rencontre j'ai appris que les enfants s'appelaient du nom de la mère.
Ils portent mon nom, mais la mère leur dit que c'est son nom à
elle qu'ils doivent porter. Le but c'est de tuer le père, c'est
clair. »(François)
« Les visites au point rencontre, deux
fois une heure par mois. C'est lamentable, et c'est très dur. C'est
assez humiliant déjà, vous ne pouvez pas être papa
normalement, vous êtres regardé, il y a plein de
monde »(Etienne)
« Comme je lui ai écrit, tu veux
éradiquer la présence du père, c'est la méthode. Le
but ultime, j'ai compris, c'est que j'existe le moins possible. Elle a un
nouveau mari, moi je suis le passé, il faut effacer le passé. Un
collègue ici m'a dit, tu es la dernière aspérité
qu'il convient de gommer »(Martin)
Très affectés par leur condition subie de parent
séparé, ils dévoilent l'état dans lequel ils se
trouvent par des représentations physiques d'amoindrissement :
« La 1ère étape, c'est
quand vous arrivez, on vous dit que vous avez le cancer, la
2ème, on vous explique tous les traitements, comment
ça va mal se passer, vous allez avoir mal, on va vous amputer d'une
partie de vous-même, parce que moi, c'est ça, on m'a amputé
d'une partie de moi-même, je ne voyais plus ma fille[...]Elle m'a
réassigné, c'est reparti, là j'étais mal, on s'en
sort plus, j'ai vu le côté on s'en sortira jamais. Je commence
à comprendre, quand j'avais ma jolie résidence alternée et
que je venais ici expliquer aux autres, c'était facile, j'avais une
belle vie, j'étais dans un standard. Il y a un discours qui est facile
qui est celui du bien portant, qui parle des malades ; là je me
suis rendu compte que la maladie m'avait atteint, et que j'étais en
train de partager cette expérience là, plutôt que le
thérapeute qui explique aux gens qui sont pas bien que ça ira
mieux demain. »(Martin)
Parallèlement à ces situations de conflit et
d'isolement vécues par les pères rencontrés dans les
associations, ceux-ci reconnaissent avoir été
particulièrement investis auprès de leurs enfants en bas
âge, et vivent d'autant plus difficilement ces séparations. Ainsi
se dégage chez les parents reçus dans les associations comme ceux
interviewés, un profil de pères investis dans les soins
quotidiens des enfants dès les premières années.
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