1.2 Les différents secteurs
1.2.1. L'agriculture
Le Rwanda, comme nous l'avons déjà noté,
est un pays essentiellement agricole, que ce soit au niveau de l'occupation ou
celui de l'activité économique. Il dépend en particulier
de l'exportation du thé et du café qui constituent, à eux
seuls, plus de 50% des exportations nationales. Le Rwanda dépend donc de
son secteur primaire, qui est caractérisé par des
activités du type « work intensive », c'est-à-dire qui
emploie une grande main d'oeuvre, la mécanisation étant encore
fort limitée. On comprend alors que ce secteur a besoin de beaucoup de
personnes, des personnes en bonne santé !
Particulièrement concentré dans les milieux
ruraux qui sont habités par plus de 80% de la population, ce secteur se
trouve menacé directement par l'ampleur que prend
l'épidémie du VIH/SIDA. Comme nous l'avons vu dans le premier
chapitre, la population séropositive en milieu rural est en croissance
et le taux de prévalence y est passé de 1,7% en 1986 à
10,8% en 1997. Le faible acces à l'information et aux infrastructures
sanitaires adéquates, la grande mobilité des populations ces
dernières années, ainsi que le phénomène nouveau de
« l'exode urbain » ou le retour des personnes malades du SIDA dans
leurs villages, peuvent justifier l'ampleur du VIH/SIDA dans ces milieux
longtemps restés à l'abri de l'épidémie.
Comme nous le faisions remarquer dans le point
précédent, le milieu rural constitue la base de l'économie
nationale. En 2000, ce secteur a rapporté, à lui seul, 41% du PIB
et plus de 70% des recettes d'exportations avec notamment le thé et le
café. Pour la même année 2000, le secteur primaire se
basait à 83% sur les cultures vivrières, à 9% sur
l'élevage, à 4% sur les forêts, à 3% sur les
cultures d'exportations (en particulier le café et le thé) et
à 1% sur la pêche.
Avec la hausse du taux de prévalence du VIH/SIDA dans
ces milieux où s'effectue cette agriculture intensive, c'est toute
l'économie du pays qui est menacée. D'après les
estimations de la FAO (Organisation internationale pour l'agriculture et
l'alimentation), Le SIDA a déjà emporté environ 7 millions
d'agriculteurs depuis 1985 dans 25 pays les plus frappés par
l'épidémie en Afrique dont le Rwanda. La FAO estime aussi que,
pour ces mêmes pays, l'épidémie pourrait causer une perte
qui irait jusqu'à 26% de la force de travail agricole au cours des 20
prochaines années90. Ceci signifie que le VIH/SIDA menace
sérieusement la sécurité alimentaire présente et
future de ces pays à forte prévalence du VIH, en diminuant le
nombre de travailleurs agricoles et leur productivité. Bollinger et
Stover, dans leur recherche sur l'impact économique du SIDA au
Rwanda91, constataient que dans des pays où la
sécurité alimentaire a toujours été un
problème, en partie, à cause de la sécheresse, une
diminution dans la production agricole peut avoir des conséquences
néfastes pour l'approvisionnement de toute la population. De plus,
ajoutaient-ils, la diminution de travailleurs agricoles pourrait pousser ceux
qui restent à changer d'activités économiques en passant
à des cultures qui demandent un travail moins
90 Cf. FAO, HIV/AIDS, food security and rural
livelihoods, World Food Summit, 10-13 June 2002.
91 L. BOLLINGER, J. STOVER, The Economic Impact of
AIDS in Rwanda, September 1999.
intensif. Le SIDA pourrait donc ainsi affecter, d'une part, la
production des cultures d'exportations qui, en général, exigent
un travail intensif et, d'autre part, l'importance de la production
vivrière qui occupe la grande partie de la population
rurale92. Une autre étude prospective de l'impact du SIDA sur
le système agricole au Rwanda, réalisée en
198993, allait dans le même sens. Elle prévoyait qu'un
des rapides effets de la diminution du travail agricole à cause du SIDA
serait la réduction voire la cessation de la production des cultures
d'exportation comme le café94.
Si l'on en juge par les statistiques concernant le
café, il y aurait lieu de croire que ce scénario catastrophique
est en train de se réaliser. La production du café connaît,
en effet, une diminution qui a pour conséquence la baisse des revenus
associés à son exportation. Les récentes statistiques de
l'OCIR-Café95 montrent une réduction de la production
du café au niveau national : elle est passée de 21 952 tonnes en
1995 à 14 830 tonnes en 1997 avant de connaître une
légère hausse en 2000 avec 16 098 tonnes. Du côté
des exportations, la chute est encore plus significative : en 1990, les
exportations de café rapportaient 65,7 millions de $US, en 1998 28,1
millions de $US, et seulement 22,5 millions de $US en 200096. Ces
données pourraient plaider en faveur des prévisions de Gillespie
sur la réduction des cultures d'exportation comme le café
à cause de l'épidémie du VIH/SIDA. Cependant, les
statistiques sur la production du thé vont dans le sens contraire, et
nous font croire que la diminution de la production du café ainsi que
celle des revenus associés à son exportation, ne sont pas
à attribuer à l'épidémie du VIH/SIDA. Mais il nous
semble que l'on ne peut pas, non plus, exclure toute corrélation entre
la chute de la culture du café et la progression du VIH/SIDA au Rwanda.
Comme la culture du café requiert beaucoup de travailleurs, ces derniers
pourraient avoir diminué à cause du SIDA, entraînant ainsi
une baisse de la production et une réduction des revenus associés
à cette production. L'augmentation de la production du côté
thé semble donc prouver que les raisons de la récession dans la
culture du café sont ailleurs, notamment dans la chute des prix sur le
marché mondial. Le thé est devenu en 2000 la première
source de revenus
92 Cf. Ibid, p. 5.
93 S. GILLESPIE, «Potential Impact of AIDS on
farming systems: a case-study from Rwanda», in Land Use Policy,
October 1989, pp. 301-312.
94 Ibid., p. 312.
95 Cf. MINISTERE DES FINANCES ET DE LA PLANIFICATION
ECONOMIQUE, Le Rwanda en Chiffres, Edition 2001, p. 19.
96 Ibid., p. 26.
d'exportations au Rwanda, dépassant ainsi pour la
premiere fois le café. Les statistiques de
l'OCIR-Thé97 parlent d'elles-mêmes : la production du
thé noir en 1996 était estimée à 9 057 579 kg, elle
est passée à 13 239 399 kg en 1997, et à 14 481 248 kg en
2000. Du côté des revenus d'exportations, en 1990 le thé
rapportait 21 millions de $US, 22,9 millions en 1998 et 24,3 millions en
200098. Il nous semble que seule une étude plus
spécifique pourrait évaluer et estimer le véritable impact
du VIH/SIDA sur les cultures d'exportation, en particulier sur la baisse de
production du café ; cela suppose bien sür qu'il y ait des
données actualisées sur la mortalité des travailleurs de
ce secteur ainsi que sur la cause de leur décès. Peut-être
qu'avec des structures organisées comme l'OCIR-Café et
l'OCIR-Thé cela pourrait être assez facile à
vérifier. Nous ne tirons donc aucune conclusion à ce sujet et
nous estimons seulement qu'une étude, comme celle suggérée
précédemment, ferait davantage de lumière sur la menace
réelle du VIH/SIDA et son impact sur les cultures d'exportations dont
dépendent principalement les revenus de l'économie nationale.
Quoi qu'il en soit, la forte progression de
l'épidémie en milieu rural (11% de taux de prévalence dans
la population adulte selon l'enquête de 1997, soit une progression de 9%
en 9 ans), laisse présager des pertes significatives en travailleurs
agricoles pour les années à venir. Une action pour stopper
l'épidémie du VIH/SIDA s'avère donc nécessaire et
urgente pour éviter une catastrophe économique et garantir la
sécurité alimentaire des populations déjà
pauvres.
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