2.2.5 limites des statistiques
Il nous semble nécessaire, à ce niveau, de faire
quelques considérations au sujet des statistiques disponibles sur
l'état de la pandémie en Afrique. Sans remettre en cause la
validité de ces données statistiques, nous estimons qu'il est
plus approprié de les considérer comme des indicateurs
généraux qui peuvent aider les gouvernements et les autres
organismes impliqués dans la lutte contre le SIDA à planifier
leur action et à se rendre compte de l'état de la situation. Les
méthodes utilisées ne peuvent prétendre à
l'exactitude, mais elles permettent une approximation.
L'ONUSIDA et l'OMS ont développé durant ces
dernières années des enquêtes de surveillance et des sites
sentinelles où sont testées des populations cibles comme les
femmes enceintes et les personnes malades, ainsi que d'autres groupes à
risque comme les prostituées, les routiers, les prisonniers et les
militaires. Ces enquêtes locales permettent une estimation assez proche
de la réalité, bien que des surestimations ou des
sous-estimations ne soient pas à exclure. Il est clair, par exemple, que
si l'enquête est menée dans un bidonville où plusieurs
personnes vivent dans une grande promiscuité et qu'on y relève
une forte prévalence du virus, ces résultats ne peuvent pas
être généralisés ou extrapolés à toute
la population habitant cette ville.
La réalité de plusieurs pays africains nous
prouve aussi qu'il y a une carence des structures de collecte de données
et des divisions statistiques nationales qui pourraient permettre des
enquêtes plus appropriées et des résultats plus objectifs.
Il y a donc nécessité
39 Cf. PEMPELANI MUFUNE, «Social Science explanations of the
AIDS Pandemic in Africa», in AIDS and Development in Africa,
Kempe Ronald Hope, editor, The Haworth Press, New York, 1999, p. 23-25.
d'investir dans des structures permettant de faire un
véritable état des lieux, et de connaître la vraie
caractéristique et l'amplitude de la pandémie en Afrique
subsaharienne.
2.2.6 Conclusion
Comme nous venons de le voir, le problème est
très complexe et, à la base de la propagation du virus sur le
continent, se trouvent de nombreux facteurs liés entre eux ; aucun
facteur ne saurait à lui seul expliquer l'amplitude du VIH/SIDA sur le
continent africain. Dans le débat sur les causes de la forte propagation
du SIDA en Afrique Subsaharienne, les différentes approches
proposées ont eu tendance à limiter leur explication du
phénomène SIDA à l'un des facteurs mentionnés
ci-dessus. Elles sont souvent teintées d'arrière fond
idéologique et entachées de stéréotypes
inavoués qui manifestent leur insuffisance et leur
unilatéralité. Il faut plutôt admettre que tous ces
facteurs jouent de façon interdépendante un rôle important
dans l'expansion de l'épidémie. On pourrait dire que ces
différents facteurs s'engendrent et se complètent mutuellement
dans une sorte de cercle vicieux.
Ce qui est indéniable, c'est qu'il est existe un lien
de réciprocité entre la pauvreté et le VIH/SIDA. La
pauvreté prédispose à l'infection du SIDA, et le SIDA
à son tour aggrave la pauvreté. Toutefois la pauvreté,
bien qu'elle ait un rôle prépondérant et même
principal dans la propagation du virus, ne peut pas à elle seule
expliquer toute l'ampleur de l'épidémie en Afrique. Autrement on
ne saurait expliquer le fait qu'on enregistre une forte prévalence du
VIH aussi bien parmi les riches que parmi les pauvres.
Le statut de la femme dans la plupart des
sociétés africaines, certaines pratiques traditionnelles,
l'anomie sociale résultant de la dépendance et de l'influence
occidentale, les conflits et les guerres, le désespoir face à la
précarité de la vie et la pauvreté, nous semblent
constituer les facteurs principaux qui rendent l'Afrique une terre fertile
à l'expansion du VIH. Nous estimons que pour comprendre la propagation
du virus sur le continent africain et trouver des remèdes efficaces, il
faudrait prendre en compte tous ces différents aspects et même
ceux qui ne sont pas souvent pris en considération, comme par exemple
les facteurs biologiques qui rendent les femmes plus vulnérables que les
hommes, car, comme on le sait, la transmission du virus sur le continent est
essentiellement hétérosexuelle. Une approche holistique et
interdisciplinaire s'avère par conséquent
nécessaire pour éviter toute parcellisation ou
fragmentation40. Face à un problème aussi complexe que
celui-ci, seule une explication différenciée et multiple a plus
de chance d'être proche de la vérité. La réponse
à donner pour combattre l'expansion du VIH/SIDA sur le continent doit
donc tenir compte de cette complexité et de l'urgence d'agir de
manière globale. Tous les éléments doivent
nécessairement être pris en compte car il s'agit d'une question de
vie ou de mort, car, comme le rapportait la revue « Jeune Afrique »,
« si rien n'est fait, il suffira d'une décennie pour tuer 40
millions de personnes en Afrique, décimer une génération
de population active, multiplier les orphelins, plomber les économies
déjà balbutiantes41. »
Faut-il répéter ici que le faible accès
du continent aux médicaments et traitements antirétroviraux
aggrave sa situation et fait que le SIDA soit responsable d'une plus grande
mortalité en Afrique Subsaharienne? Quant à la recherche de
vaccin, le manque de revenus fait qu'elle n'est pas très avancée
sur le continent. Comme l'affirmait le rapport de l'ONUSIDA en 2002 : «
Les sous-types les plus courants du VIH sont le A et le C, présents
dans plusieurs régions d'Afrique, mais la majorité des vaccins
actuellement à l'essai sont préparés sur le profil
génétique du sous-type B qui est le plus répandu dans les
pays à revenu élevé 42. »
Il existe néanmoins des signes réels de la
possibilité de changer le cours de la propagation du virus. Ces signes
encourageants proviennent de l'Ouganda et du Sénégal qui ont pu
sensiblement baisser les taux de prévalence dans leur population,
grâce à une forte action des dirigeants politiques en
collaboration avec la société civile, les différentes
organisations locales et internationales ainsi que le déboursement des
ressources importantes pour la lutte et la prévention du VIH/SIDA.
40 Cf. EDGAR MORIN, La tête bien faite,
Seuil, Paris, 1999.
41 J. BASTIN,» Assez de discours!», in
Jeune Afrique l'intelligent, N°2142, du 29 janvier au 4
février 2002, p. 46.
42 ONUSIDA, Rapport sur l'épidémie
mondiale de VIH/SIDA, Genève, juillet 2002, p.108.
Pays d'Afrique subsaharienne plus affectés par le
VIH/SIDA à la fin de
l'année 2003
(taux de prévalence supérieur à
4%)
Pays
|
Taux chez les Adultes (%)
|
Adultes et
enfants
|
Adultes (15-49)
|
Orphelins (0-17) en vie
|
Swaziland
|
38,8
|
220 000
|
200 000
|
65 000
|
Botswana
|
37,3
|
350 000
|
330 000
|
120 000
|
Lesotho
|
28,9
|
320 000
|
300 000
|
100 000
|
Zimbabwe
|
24,6
|
1 800 000
|
1 600 000
|
980 000
|
Afrique du Sud
|
21,5
|
5 300 000
|
5 100 000
|
1 100 000
|
Namibie
|
21,3
|
210 000
|
200 000
|
57 000
|
Zambie
|
16,5
|
920 000
|
830 000
|
630 000
|
Malawi
|
14,2
|
900 000
|
810 000
|
500 000
|
R. Centrafricaine
|
13,5
|
260 000
|
240 000
|
110 000
|
Mozambique
|
12,2
|
1 300 000
|
1 200 000
|
470 000
|
Tanzanie
|
8,8
|
1 600 000
|
1 500 000
|
980 000
|
Gabon
|
8,1
|
48 000
|
45 000
|
14 000
|
Côte d'Ivoire
|
7,0
|
570 000
|
530 000
|
310 000
|
Cameroun
|
6,9
|
560 000
|
520 000
|
240 000
|
Kenya
|
6,7
|
1 200 000
|
1 100 000
|
650 000
|
Burundi
|
6,0
|
250 000
|
220 000
|
200 000
|
Liberia
|
5,9
|
100 000
|
96 000
|
36 000
|
Nigeria
|
5,4
|
3 600 000
|
3 300 000
|
1 800 000
|
Rwanda
|
5,1
|
250 000
|
230 000
|
160 000
|
Congo
|
4,9
|
90 000
|
80 000
|
97 000
|
Tchad
|
4,8
|
200 000
|
180 000
|
96 000
|
Ethiopie
|
4,4
|
1 500 000
|
1 400 000
|
720 000
|
R.D. Congo
|
4,2
|
1 100 000
|
1 000 000
|
770 000
|
Burkina Faso
|
4,2
|
300 000
|
270 000
|
260 000
|
Ouganda
|
4,1
|
530 000
|
450 000
|
940 000
|
Togo
|
4,1
|
110 000
|
96 000
|
54 000
|
Source: Tableau réalisé à partir
des données de : ONUSIDA, Rapport sur l'épidémie
mondiale de VIH/SIDA, Genève, juin 2004.
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