Chapitre III : Un obstacle à la liberté
d'expression :
le Code Hays.
1) La création du Code Hays.
« Derriere l'apparence se trouve le secret ; et c'est
toujours dans l'ombre que se déroule la véritable lutte pour le
pouvoir. (...) C'est la civilisation entière qui se trouve remise en
cause. L'ambivalence, la cruauté et l'insécurité
caractérisent cette civilisation. Pour connaître la
vérité derrière les masques, certains transgressent ces
lois : cette transgression entraîne aussitôt une répression.
»54
Et c'est en mettant à nu les ambiguïtés du
monde qui nous gouverne, que le roman noir, puis le film noir, prennent valeur
de témoignage impitoyable sur le temps.55
Toute recherche de la vérité est politique.
L'avènement et le développement de l'industrie
cinématographique, va de pair avec la naissance du droit de regards des
autorités.
Le Code Hays est un code d'auto-censure régissant la
production des films, établi en mars 1930 et appliqué à
partir de 1934, et crée par le sénateur William Hays,
président de l'Association of Motion Picture Producers ainsi que The
Motion Picture Producers and Distributors of America (MPPDA).
Avant d'aborder l'origine de ce texte, il faut noter que le
cinéma est lié à la censure quasiment depuis sa naissance,
et qu'à l'époque, elle se présente sous forme de
commissions (depuis les années 1915, lors du lancement de The Birth of a
Nation de D.W. Griffith).
« Dans les années 10-20, la censure passe
progressivement des mains de fonctionnaires de police à celles de
commissions ad hoc. Ce mouvement d'institutionnalisation est
validé et encadré par la Cour Suprême, qui définit
les motifs et les conditions du contrôle. »56
54 François Guérif, Le film noir
américain, op. Cit. p. 24.
55 Ibid, p. 24
56 Olivier Caïra, Hollywood face à la
censure, Discipline industrielle et innovation cinématographique 1915-
2004, Paris, CNRS Editions, Collection « Cinéma et audiovisuel
», 2005, 283pp, p. 27.
Les autorités gouvernementales ont peur car :
« Le spectateur présente, individuellement ou
collectivement, le risque de provoquer un désordre social, contre les
lois écrites mais également contre les coutumes. »57
Donc, l'origine de ce texte n'est pas due au hasard.
Et si l'on rajoute à cela l'affaire Fatty Arbuckle, et
les scandales qui ternissent la réputation d'Hollywood, la censure va
pouvoir s'imposer en tant que Code, et perdurer dans le domaine du
septième art.
« (...), le marketing des « stars » produit un
phénomène inédit : l'arrivée de milliers de jeunes
gens prêts à tenter leur chance auprès d'un producteur.
(...) Le partage entre réalité et fantasme est flou, mais il est
certain qu'Hollywood a crée le premier marché national de main
d'oeuvre uniquement fondé sur l'apparence. »58
D'où le scandale de l'affaire Arbuckle, ou une jeune
actrice est retrouvé inconsciente dans une chambre d'hôtel.
Cinq jours après, elle décède,
sûrement à cause de son agresseur, reconnu comme Fatty
Arbuckle.
Il finira par être acquitté, mais il ne pourra plus
revenir à l'écran.
Le cinéma est donc scandaleux, tant par sa
représentation à l'écran que par les personnes qui y
travaillent.
Finalement c'est un texte d'auto-réglementation que
l'industrie du film s'impose pour répondre aux critiques de plus en plus
fortes contre la violence et la sexualité à
l'écran.59
C'est en 1921 qu'éclorent « Les Treize Points
».
Les choses reconnues comme inacceptable prennent la forme d'une
liste.
Puis en 1927, après avoir fait une enquête sur
les principaux motifs d'intervention des commissions, William Hays crée
les themes interdits (Dont's) et les sujets sensibles (Be carefuls).
En 1930, deux catholiques proposent à Hays un brouillon de
ce qui deviendra le Code de Production.
« En 1931, le patron du F.B.I., Edgar Hoover, condamne
« les films qui glorifient les délinquants plutôt que les
policiers », tandis que Will Hays, président de
l'Association américaine des producteurs et des distributeurs de
films, déclare qu'il est « indésirable de
57 Ibid, p. 34.
58 Ibid, p. 34.
59 Michel Ciment, Le crime à
l'écran, Une histoire de l'Amérique, op. Cit, p. 130.
donner trop d'importance aux gangsters dans la vie
américaine ». Responsable du code de censure, il a veillé
l'année précédente, après la premiere vague de
films criminels, à ce que les regles formulent avec précision
l'interdiction de montrer la vengeance par le meurtre, l'incendie volontaire,
l'usage de la dynamite et les scenes sexuelles. Ce code n'entre en vigueur de
façon rigoureuse qu'en 1934. Entre temps, la prohibition a
été abolie par le Congrès, le 5décembre 1933, et
les films de gangsters ont pratiquement disparu des écrans. »60
La rhétorique du Code de Production est nouvelle : elle
préfigure un contrôle centré sur la réception des
oeuvres et non sur le seul contenu.61
Cette démarche sera adopté à
l'unanimité par le MPPDA en février 1930, et le Code ne sera
utilisé en tant que liste jusqu'en 1934.
Pour Olivier Caïra, le Code innove par la portée
qu'il donne à l'autorégulation.
Pour justifier cela, il cite quatre critères, qui sont
: un choix de civilisation, un art sous contrainte morale, une
responsabilité élargie « Le cinéma subit d'avantage
la contrainte morale que le livre ou le théâtre parce que le film
ne sélectionne pas son public : l'oeuvre peut atteindre tous les
villages du pays, la réception ne suppose aucun apprentissage, les
cinémas accueillent toutes les catégories de spectateurs, «
matures, immatures, évoluées, frustes, respectueuses de la loi,
criminelles ». »62, ainsi qu'un médium puissant.
Durant les premieres années, et ce des 1931, Hays demande
à faire voter l'examen obligatoire des scripts.
Selon Olivier Caïra,
« L'effet le plus marquant du Code est qu'il devient la
ressource critique centrale des commissions de censure et des groupes de
pressions. »63
Puis en 1934, c'est l'entrée en vigueur du Code.
Il voit son statut de texte incitatif passer à «
règlement intérieur » de l'industrie
cinématographique.
Cette même année Hays promulgue à la
tête d'un nouveau service, la Production Code Administration (PCA),
Joseph I. Breen.
60 Ibid, p. 40.
61 Olivier Caïra, Hollywood face à la
censure, Discipline industrielle et innovation cinématographique 1915-
2004, op. Cit, p. 39.
62 Ibid, p. 40.
63 Ibid, p. 42.
Ce dernier obtient le droit de délivrer un Sceau de
conformité au Code de Production et donc ainsi d'imposer sa marque sur
la production, ce qui oblige le contrôle des scripts et des films sous
peine d'amende et d'exclusion des grands réseaux de
salles.64
A partir de là, les films vont pouvoir être
remaniés autant de fois que nécessaire pour obtenir l'approbation
de PCA.65
Les thèmes principaux qui constituent le Code de
Production, sont : le crime, le sexe, la brutalité,
l'obscénité, le blasphème, les costumes, les danses, les
religions, les emplacements, la fierté nationale, les titres, les sujets
répugnants et la cruauté à l'égard des
animaux.66
« Pour Breen, l'érotisme est plus dangereux que la
violence, car cette dernière apparaît d'emblée comme
détestable. Au contraire, la transgression sexuelle présente des
attraits qu'il lui faut contrecarrer : « Une sympathie indue pour le
pêcheur peut engendrer, par association d'idées ou sous l'emprise
de l'émotion, une sympathie pour le pêché. De plus, une
sympathie excessive pour le pêcheur suscite de l'antipathie pour les
personnages bons, dont le devoir consiste à faire obstacle à son
penchant. Une sympathie exagérée pour la femme adultère
nous ferait détester l'époux fidèle. »
Ceci résume bien la démarche de Breen : abandon
de l'approche béhavioriste au profit de motifs plus complexes
(association d'idées, poids de l'émotion, etc.) ;
élargissement du champ d'action de la PCA (ce ne sont plus les
épisodes qu'il s'agit de contrôler mais les personnages et leurs
interrelations) ; absence de coupure anthropologique entre un censeur «
robuste » et des publics « fragiles ».67
Cependant, malgré sa main mise sur l'industrie
cinématographique, le Code Hays va participer à créer le
genre du film noir.
En effet, les réalisateurs, producteurs,
scénaristes, qui par exemple veulent adopter des romans à
l'écran, vont devoir s'adapter au Code, tout en faisant passer un
message et ne pas dénaturer l'oeuvre originelle.
Ils vont donc user de différentes techniques, narratives,
suggestives, esthétiques,....
64 Ibid, p. 67.
65 Ibid, p. 84.
66 Voir Annexe sur le Code Hays
détaillé.
67 Olivier Caïra, Hollywood face à la
censure, Discipline industrielle et innovation cinématographique 1915-
2004, op. Cit, p. 85.
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