2) Les limites du code de censure.
« Au tournant des années 1940, les adaptations de
romans noirs, signés Cain, Hammett ou Chandler, laissent présager
l'ouverture d'un nouveau front dans la campagne de la ligue de la
Décence. C'est un nouveau genre criminel qui apparaît, et l'on
peut craindre un embrasement censorial semblable à celui provoqué
par les films de gangsters dans les années 1930-1932. Or, malgré
les précautions dont seront entourés les premiers projets, le
film noir ne suscitera que des escarmouches aux frontières de
l'inacceptable. »68
Et comme le souligne également Olivier Caïra,
« A partir de 1941 apparaissent les premières
failles du Code. Cette même année, John Huston signe, avec The
Maltese Falcon, l'oeuvre pionnière du film noir hollywoodien.
Curieusement, ce n'est pas ce retour du crime à l'écran qui va
déclencher les crises les plus graves. »69
Avant d'atteindre ses limites dans les années 1948,
« Le Code Hays avait jeté l'interdit sur deux
livres de Cain (Assurance sur la mort et Le facteur sonne toujours
deux fois), pendant de nombreuses années. On comprend
aisément pourquoi. Jamais le désir sexuel, qui trouve une
espèce de sommet dans l'accomplissement du meurtre, n'avait
été montré aussi crüment, loin de toute hypocrisie ou
alibi sociologique quelconque.»70
Ces deux films, ainsi que Le roman de Mildred Pierce
de 1945, ont été tourné de l'oeuvre d'origine.
Il semble intéressant de reprendre le travail de
Olivier Caïra, sur l'influence qu'a eu le Code pour quelques uns des films
étudiés dans ce travail de recherche, Assurance sur la
mort, Le roman de Mildred Pierce, et Le facteur
sonne toujours deux fois.
« Dès les années 1930, les romans de James
M. Cain connaissent un important succès et les grands studios en
acquièrent rapidement les droits. La MGM achète The Postman
Always Rings Two Twice des 1934, mais Breen oppose un refus
catégorique. L'année suivante, il interrompt les enchères
entre cinq studios pour Double Indemnity. En 1941, Selznic rencontre
une opposition ferme lorsqu'il s'intéresse à Mildred
Pierce. Le veto de la PCA tient plusieurs
68 Olivier Caïra, Hollywood face à la
censure, Discipline industrielle et innovation cinématographique 1915-
2004, op. Cit, p. 95.
69 Ibidem
70 François Guérif, Le film noir
américain, op. Cit. p. 115.
années : le mélange de crime crapuleux et
d'adultère qui caractérise les triangles amoureux de Cain
comporte suffisamment d'infraction au Code pour dissuader les studios.
»71
Finalement les projets finissent par aboutir mais sous certaines
conditions en ce qui concerne l'adaptation des scénarios.
Pour Assurance sur la mort (1944), Billy Wilder et Raymond
Chandler conservent le fil de l'intrigue,
« une femme fatale (Barbara Stanwyck) séduit Walter
Neff (Fred Mc Murray), agent d'assurance, pour le pousser à tuer son
mari ».72
Néanmoins, ils s'écartent du roman car dans
l'original Walter Neff avoue son crime pour sauver la femme qu'il aime, puis
après avoir été soutenue par la compagnie, ils quittent le
pays et se suicident.
« Pour Breen, l'adultère et le meurtre ne
sauraient échapper à la justice. Dans le film, le couple illicite
se brise quand Neff découvre que sa complice veut l'assassiner : ils se
tirent mutuellement dessus. Au lieu d'être exécuté dans la
chambre à gaz, comme l'indique un script intermédiaire, Neff
meurt de sa blessure en confessant ses crimes. Autre exigence de Breen : l'aveu
ne doit pas être un acte d'amour. Wilder remodèle donc la relation
entre Neff et la fille de sa victime : il la courtise uniquement pour
l'empêcher de soupçonner sa belle-mère. Breen
contrôle également les costumes de Barbara Stanwyck,
élimine une remarque sur l'effacement des empreintes digitales, et
Double Indemnity obtient le Sceau de la PCA. »73
En ce qui concerne le roman de Mildred Pierce (1945), son
adaptation à elle aussi était arrangée.
L'histoire, une femme d'origine modeste quitte son mari car elle
le soupçonne d'adultère. Elle épouse un autre homme,
qu'elle va découvrir dans les bras de sa propre fille.
« Breen résiste sur plusieurs points : les
relations hors mariage de Mildred, l'adultère de son premier mari, et
« l'inceste légal » entre Monte et Veda. Jerry Wald de la
Warner collabore donc avec le PCA des l'été 1943 pour
éliminer chaque obstacle : Mildred décourage toute liaison avec
Wally, la sexualité entre elle et Monte avant le mariage est
éliminée, et l'adultère avec Veda n'est plus
prémédité, car c'est Mildred qui vient de lui proposer le
mariage après une longue rupture. Sur cette base, Wald achète les
droits du roman, et poursuit les retouches : le premier époux de Mildred
rejette l'accusation d'adultère et adopte une conduite exemplaire ; Veda
tue Monte lorsqu'il veut rompre leur liaison, et Mildred tente d'endosser la
71 Olivier Caïra, Hollywood face à la
censure, Discipline industrielle et innovation cinématographique 1915-
2004, op. Cit, p. 96.
72 Ibidem
73 Ibidem.
responsabilité du crime à sa place. Ces
changements permettent de réunir le couple initial pour punir les
amants. Le film s'ouvre sur le meurtre, puis se déroule en flash-back :
la moralisation du texte de Cain s'accompagne d'une énigme totalement
absente du roman. Sous l'effet de la contrainte d'acceptabilité,
Mildred Pierce devient, à l'écran, une oeuvre nouvelle :
là où la censure mutile, l'autorégulation peut enrichir.
»74
Pour Le facteur sonne toujours deux fois, Breen
accepte l'adaptation, mais seulement sous haute surveillance.
Dans ce film, un homme, Franck Chambers (John Garfield), qui
voyage seul, est embauché dans un petit restaurant.
Ses patrons sont un couple, Nick (Cecil Kellaway) et Cora
(Lana Turner). Cette dernière et Franck deviennent amants, et
décident de tuer Nick dans un accident masqué.
La encore, comme l'appuie Olivier Caïra,
« Ce résumé laisse entrevoir les principaux
éléments de dispute avec Breen : le fait qu'un
héros-narrateur commette successivement l'adultère et le meurtre,
le récit détaillé de la liaison et des crimes de Franck et
Cora, et enfin l'image d'une justice aveugle, tombée aux mains des
sophistes. (..) Tandis que la jeune femme travaille dur et souhaite
développer le petit restaurant, Nick se montre indolent, avare et
borné. La décision de le tuer est prise le soir où il
annonce à Cora qu'ils partent au Canada afin qu'elle s'occupe de sa
belle-soeur devenue invalide. (...) En voix-off, le vagabond assume sa
fascination et son désir, tandis que la sexualité de Cora,
élément central du roman, est gommée : Lana Turner
apparaît dans 41 costumes, tous d'un blanc virginal. »75
« En marge du genre noir authentique, Le facteur
sonne toujours deux fois, de Tay Garnett, tourné en 1946
d'après le roman de James Caïn, inaugure la série de
psychologie criminelle « noircie » des années 46-48. L'oeuvre
de Caïn avait déjà été adaptée deux
fois : en 1939, par Pierre Chenal (Le dernier des tournant), en 1942 par
Luchino Visconti (Ossessione). Il fallu attendre 1946 pour que l'office Hays
lève un veto maintenu depuis 1937 et autorise les producteurs de la
Metro à entreprendre une version américaine. C'est un signe du
temps : le style nouveau avait tourné d'anciennes contraintes,
acclimaté certaines audaces. Le theme de la femme qui encourage au
meurtre venait d'être traité dans Murder my sweet
d'Edward Dmytryk, et dans Double Indemnity, de Billy Wilder.
»76
74 Ibid, pp. 96-97.
75 Ibid, p. 97.
76 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du
film noir américain (1941-1953), op. Cit p.85.
Le Code de Production essaye de définir plus clairement
les fonctions et le rôle des personnages.
D'autres films qui concernent ce travail de recherche ont
été ficelés par le Code.
On retrouve Le faucon maltais, Péché Mortel, La
dame de Shanghai, Shanghai Express.
C'est à partir des années cinquante que
système centralisé et personnalisé perd de sa
pertinence.
« Avec la concurrence de la télévision et
des cinématographies étrangères, l'activité des
studios ralentit : de 1950 à 1959, la production annuelle passe de 320
à 189 films et un quart des salles disparaît. L'affluence chute de
90 millions de tickets par semaine en 1946 à 40 millions en 1960. (...)
La Cour Suprême bouleverse les règles de l'industrie en 1948, puis
celles de la censure en 1952. Elle ouvre le marché à des
productions étrangères et indépendantes qui feront
s'écrouler l'édifice hollywoodien du « cinéma
familial ».77
Le Code perd donc de plus en plus d'influence, et par exemple,
En quatrième vitesse de 1955, est très
critiqué.
Ce film reprend le mythe de boîte de Pandore, avec pour
fin, l'ouverture d'un coffret convoité qui renferme une mini bombe
atomique, par une femme sans scrupule et prête à tout pour arriver
à ses fins.
Dorénavant, les grands studios pourront contourner la
PCA.
Le Code de Production ne peut pas jouer indéfiniment un
rôle paternaliste.
Malgré cette diminution de son emprise, le Code a tout de
même était parallèle au film noir. Les réalisateurs,
et scénaristes, ont donc « rusé », pour faire leurs
films, surtout en ce qui concerne la représentation de la femme, en
particulier criminelle.
« Au cinéma, il a fallu procéder par
allusion, beaucoup plus que par description directe. Il aurait
été vraiment trop contraire aux bonnes moeurs de dire, dans le
film, que La Dame de Shanghai était une ancienne
pensionnaire des maisons closes de Shanghai. D'ailleurs, Rita Hayworth aurait
peut-être refusé le rôle. Pourtant la censure a eu
paradoxalement un effet positif : en matière de sensualité, le
sous-entendu ne pouvait qu'ajouter à l'éclairage un effet
trouble, au pouvoir de suggestion des images. »78
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