2) Des criminels trop humains.
Cette influence de la psychanalyse est une aubaine pour la
création des personnages. Leur créer un passé
tourmenté, une histoire plus ou moins secrète, leur donner des
liens affectifs qu'on ne découvre qu'au fil de l'histoire.
Dans le jargon du cinéma, on appelle « murder dramas
», les crimes dus à des amateurs plutôt qu'à des
professionnels.
Le plus souvent ce sont des épouses qui se
débarrassent de leur mari et vice et versa.
A partir de là, les gangsters, les professionnels du
crime, ne sont plus les seuls à être des criminels.
Et derriere le rideau, ce n'est plus seulement la crise, la
misère ou la jalousie qui poussent au crime, la motivation
première devient le sexe.
En parlant d'Assurance sur la mort de Billy Wilder,
François Guérif développe le fait
que :
« Assurance sur la mort est un fil important
(...)...il introduit un nouveau genre d'assassins et expose clairement une
motivation jamais abordée franchement jusqu'ici. Le tueur n'est en effet
plus un gangster, ni un professionnel (...) C'est un cadre moyen, qui pourrait
être vous ou moi. »46
Noël Simsolo l'explique très bien dans son chapitre :
Thèmes et personnages :
« A partir de 1944, en parallèle aux productions de
propagande aidant l'effort de guerre, la faune des meurtriers, des femmes
fatales, des psychopathes, des victimes du destin, des truands solitaires, des
gangsters organisés, des policiers et détectives privés
investit les écrans dans des oeuvres où règnent la
violence et le vice. Tous ne se transforment pas au gré des mutations de
la société ou des évolutions esthétiques
liées au « cycle noir », mais beaucoup de ces prototypes
changent d'envergure au contact de cette mouvance qui impose ce nouveau
naturalisme formel, ces apparences de réalité documentaire ou
d'onirisme inquiétant. Ils se caractérisent alors par une
cruauté barbare, un cynisme désenchanté, une
cupidité sans merci et des révoltes à caractère
idéologique. »47
Il explique également que :
46 François Guérif, Le film noir
américain, op. Cit. p. 115.
47 Noël Simsolo, Le Film Noir, Vrais et faux
cauchemars, op. Cit p. 275.
« Au cours de cette période, les durs sont souvent
présentés de manière schématique ou caricaturale :
costauds, buveurs, bagarreurs, voyageant entre la loi et la délinquance
avec aisance. Plusieurs films les mettent en scene sans chercher autre chose
qu'une suite de séquences d'actions spectaculaires. Ce personnage peut
être un truand ou un flic, un détective privé ou un
marginal. Il a peut d'états d'âme et sa violence touche à
la gratuité. Tout cela en fait un excellent matériel pour le
thriller ou le suspense, mais pas un véhicule de film noir.
En revanche, certains sont présentés de
façon plus complexe et approfondie pour traverser des genres aussi
traditionnels que le film policier en les dénaturants par leur
modernité. Qu'ils soient d'un bord ou l'autre de la loi, ils
entretiennent un rapport névrotique avec elle. »48
Selon François Guérif,
« Pendant ces années, les différentes
catégories de criminels ne disparaissent pas non plus. La psychologie
criminelle trouve en la femme son personnage favori, qu'elle soit victime ou
coupable. Fragilité et perversité sont toujours les deux
extrêmes qui fascinent scénaristes et réalisateurs, ce qui
est assez révélateur d'une certaine tendance sadique ou misogyne
du film noir. »49
Plus loin, il décrit,
« Rayon psychologie criminelle, les années cinquante
et soixante produisent, elles aussi, quelques portraits noirs et
vénéneux. A signaler que les portraits de femmes criminelles sont
en majorité. »50
Pour Nöel Simsolo,
«De 1930 à1943, le cinéma américain
intègre des éléments de psychanalyse dans le film
policier. Un tueur peut y être un psychopathe (...) Cela donne des
suspenses sans point commun avec le film noir qui jouera pourtant de tout cela
au cours des années quarante et cinquante. »51
Par exemple, pour Shanghai Gesture, Nöel Simsolo explique
:
« D'autres films de l'époque explorent les pulsions
autodestructrices et névrotiques des personnages. Avec sa puissance
baroque, Joseph von Sternberg en fait le miel amer d'un
48 Ibid, p 278.
49 François Guérif, Le film noir
américain, op. Cit. p. 178.
50 Ibid, p. 202.
51 Noël Simsolo, Le Film Noir, Vrais et faux
cauchemars, op. Cit p. 92.
conte noir : Shanghai Gesture (Shanghai, 1941),
kaléidoscope étourdissant où la vengeance règne sur
tout autre sentiment et finit même par se retourner contre la femme qui
la déclenche. C'est une oeuvre sadienne et amorale. Déviations
sexuelles, perversité des comportements, mensonges foudroyants, masques
réels, inutiles ou minables se mêlent en une symphonie de
l'horreur ordinaire, malgré les apparences de bazar kitsch.
»52
« Le crime est cette fois accompli par un Américain
moyen ; le fait divers bascule dans la tragédie », selon Michel
Ciment en parlant de Le Faucon Maltais.53
Dans tous les films étudiés pour ce travail de
recherche, les criminels, ou plutôt les criminelles, ne sont en aucun cas
des tueuses professionnelles.
Mais elles ont toutes en commun un passé refoulé,
des remords ou des regrets.
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