Chapitre II : Le crime est au fond de chaque
individu.
1) L'influence de la psychanalyse.
A partir du XIX siècle, la psychanalyse, qui se situe
dans le prolongement de la découverte progressive des
phénomènes inconscients marque tout de même une rupture par
son renouvellement sur la conception du sujet humain.
Les théories de Freud et la psychanalyse marquent le film
noir avec ses héros amnésiques, hantés par leur
passé, à la recherche d'indices leur permettant de retrouver leur
identité.
En effet pour Freud, la personnalité se forme à
partir du refoulement dans l'inconscient de situations vécues dans
l'enfance comme sources d'angoisses et de culpabilité, avec par exemple
l'importance du complexe d'OEdipe.
De manière générale la sexualité joue
un rôle majeur.
En tant que thérapie, la psychanalyse vise à la
prise de conscience du refoulé à la faveur de la cure
médicale.
Son développement est allé de pair avec sa
structuration institutionnelle, la création de l'International
Psychanalytical Association en 1910 que Freud a présidé, et grace
auquel il étend l'inspiration psychanalytique à l'étude
des grands problèmes de la civilisation.
Les romanciers des années vingt qui ont été
cité précédemment sont fortement influencé par ce
nouveau courant de pensée.
En outre, pour Raymond Borde et Etienne Chaumeton,
« La psychanalyse, qui d'ailleurs n'a pas
été sans action sur toute cette littérature, devait
exercer une influence plus sensible encore sur les scénaristes, les
dialoguistes, les producteurs et leur public. Il est remarquable de constater
que le grand courant de vulgarisation de la « psychologie dynamique »
aux U.S.A se situe dans les années qui précèdent
immédiatement la naissance du film noir. Qu'on en juge. En 1929, une
statistique sur les activités diverses des
893 psychologues professionnels réunis au sein de
« l'American psychological association » portait à la rubrique
« psychanalyse », le chiffre de 0,5. (...) En fait ce sont les
psychiatres et non les psychologues qui acclimatèrent peu à peu
les méthodes nouvelles aux Etats-Unis. Leur large diffusion
thérapeutique, qui date environ de 1935, se prolongea bientôt,
autour des années 40 et surtout après 1945, en une énorme
vulgarisation dans le grand public, par la presse et la radio. »35
Effectivement, dès 1939,
« on trouvait plusieurs noms de producteurs d'Hollywood
sur la liste des souscripteurs de la « Psycho-analytical Review ». Et
le cinéma ne tarda pas à en faire son profit, soit sous forme
explicite, soit sous la forme plus discrete d'un theme implicite. »36
C'est pourquoi,
« Les films du « cycle noir » jouent souvent
sur l'instabilité qui règne dans l'esprit des personnages comme
à l'intérieur des lieux où ils se déplacent.
L'onirisme s'y empare de la réalité, la transgresse ou la
distord, dans une esthétique favorisant le jeu des hallucinations.
»37 Noël Simsolo rajoute :
« La psychanalyse est un sujet qui obsède tous les
cinéastes. Ils savent que le public y trouve un plaisir d'autant plus
pervers que la sexualité, le rêve et la violence y sont
associés. Le spectateur se croit aussi simple voyeur des
conséquences causées par des névroses
présentées généralement de façon très
simpliste. »38
Par exemple, pour les films de psychologie implicite,
« ils restituent simplement une atmosphère
psychologique dont la couleur est empruntée à cette
théorie de l'affectivité : les personnages ont visiblement «
des complexes », mais l'auteur ne prétend nullement en donner la
clef : c'est le cas de Gilda de Charles Vidor, de
Péché mortel de John Stahl, ou de L'enfer est
à lui de Raoul Walsh. »39
Quant à François Guérif, il perçoit
l'influence de la psychanalyse comme :
« L'intrusion de la psychanalyse, l'exploration des
personnages, la description de la folie donnent une plus large part à
l'onirisme et amènent le style réaliste à céder
à la tentation du baroque. Les films jouent alors plus sur
l'envoütement que sur le mystère. Dans l'étude des
criminels, il faut aussi faire la part du rêve. »40
35 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du
film noir américain (1941-1953), op. Cit p.21.
36 Ibid, p. 22
37 Noël Simsolo, Le Film Noir, Vrais et faux
cauchemars, op. Cit p. 187.
38 Ibid, p 193.
39 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du
film noir américain (1941-1953), op. Cit p.22.
40 François Guérif, Le film noir
américain, op. Cit. p. 118.
De plus il semble intéressant de souligner que :
« En tout état de cause, la psychanalyse a
livré au film policier plusieurs éléments d'une
psychologie noire. D'abord elle a souligné le caractère
irrationnel de la motivation criminelle : le gangster est un
névrosé, dont le comportement ne peut-être pleinement
compris en termes utilitaires : agressivité, sadisme, masochisme ont
leur fin en eux-mêmes ; l'intérêt ou l'amour de l'argent ne
sont souvent que la couverture d'une fixation libidinale ou d'un conflit
infantile. »41
L'ouvrage de Raymond Borde et Etienne Chaumeton est vraiment
complet quant à l'explication de l'influence de la psychanalyse.
Car plus loin, ils ajoutent :
« Ainsi l'ambiance de cette « psychologie des
profondeurs », comme le disent les Allemands, avec ses significations
ambiguës ou secrètes, ses arrière-plans infantiles, se
transpose dans les situations énigmatiques du film noir, dans les
imbroglios d'intentions et de pièges, dont le sens dernier reste
lointain, et paraît indéfiniment reculer.
Mais là ne s'arrêtait pas son influence. Elle
semble bien avoir préparé en même temps le public
lui-même à l'insolite et à l'ambivalent de la série
noire. Elle y préparait aussi, dans une certaine mesure, les organismes
de censure : l'explication psychanalytique, servant de caution scientifique,
pouvait faire reculer les bornes de ce qu'il est permis de montrer. »42
Comme il a été vu, le film noir est lié
entre autre au contexte social, et la description du milieu criminel est
puisée dans la réalité quotidienne des
Etats-Unis.43
Raymond Borde et Etienne Chaumeton font aussi un bref
aperçu de l'état du crime aux EtatsUnis.
« L'agence France-Presse communiquait il y a quelques
mois : « Washington, 20 septembre. Dans son rapport semestriel, M.J Edgar
Hoover, directeur du F.B.I., déclare que 1.047.290 crimes et
délits ont été commis aux Etats-Unis du 1er
janvier au 30 juin 1953. Le nombre des crimes et délits avaient atteint
2.036.000 en 1952 et constituait un record. Ce record sera battu en 1953 si la
tendance actuelle se maintient.
Il résulte de la statistique qu'un crime ou un
délit grave a été commis toutes les 14 secondes, un
meurtre toutes les 40 minutes, un viol toutes les 29 minutes, un cambriolage
toutes les 72
41 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du
film noir américain (1941-1953), op. Cit p.22.
42 Ibid, pp. 23-24.
43 Ibid, p .24.
secondes, un vol toutes les 25 secondes, un hold-up toutes les
8minutes et un vol d'auto toutes les 2 minutes.
On compte 6.470 tués du fait d'actes criminels et plus de
54.000 blessés ou victimes de viols ». »44
En outre,
« Pour que le meurtre et la démence atteignent
cette mouvance noire, il faut confronter psychanalyse et monstruosité au
fatum et à la perte d'identité. L'angoisse naît de l'opaque
et de la confusion. Rien ne doit être manichéen.
Car il n'y a pas de vrais innocents. »45
La psychanalyse va alors permettre aux réalisateurs de
construire des personnages étudiés, leur donner une
identité propre, avec un passé, des angoisses.
Le cinéma va plus ou moins tenté de faire le lien
avec la réalité de la société américaine.
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