3) L'atmosphère du film noir.
Il est entendu par atmosphère, la signification au sens
large, c'est-à-dire qui touche à la fois le film noir
lui-même, et la période qui le porte en parallèle.
C'est pourquoi, afin de situer cette atmosphere, l'ambiance du
film noir, il faut rappeler le contexte historique de cette période, qui
a un effet de miroir.
En 2003, Eddie Muller a sortis un ouvrage consacré aux
affiches du film noir.
Il commence en expliquant que :
« Du point de vue artistique, le film noir est un
mouvement qui, pareil à un raz-de-marée, balaya Hollywood
à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il réunit les sombres
visions expressionnistes des réalisateurs européens
expatriés et la fiction américaine, traditionnellement dure et
cynique. Le résultat ? Une nouvelle mythologie culturelle, un
marché noir qui offrait une solution de rechange aux sucreries
résolument optimistes proposées aux spectateurs. L'art de
l'affiche devait être aussi attrayant et aussi sombre que le produit
qu'il vantait. Pendant l'apres-guerre, les images de gaieté, de richesse
et d'amour sincere, qui décoraient les affiches se transformèrent
pour dépeindre l'appétit implacable de personnages
méfiants, désespérés et prêts à tout.
»26
Effectivement, les années quarante et cinquante
n'offrent pas beaucoup plus d'optimisme dans la vie des américains que
les deux décennies précédentes, qui ont laissé des
marques dans la société américaines.
L'impact de la dépression, de la Seconde Guerre Mondiale,
de La Guerre de Corée, ainsi que de la Guerre froide, ont crée un
climat propice à l'essor du film noir.
En effet, contrairement à l'Europe qui est en ouvertement
en guerre depuis 1939, les EtatsUnis ne sont atteint qu'à partir de
1941.
« C'est à la fin de 1941 qu'elle atteint les
Etats-Unis ; et rapidement l'effort militaire mobilise l'ensemble des
énergies nationales. Or le film noir, est dans une large mesure, «
anti-social ». Même s'il comporte une fin morale, son héros
reste ambivalent devant le Mal ; c'est parfois un tueur tout simplement ;
l'action se confine dans un milieu vénal et frelaté ; on ne cache
ni l'existence des gangs, ni la corruption de la police, ni la toute puissance
de l'argent. »27
26 Eddie Muller, L'art du film noir, Les affiches
de l'âge d'or du film policier, Toledo (Espagne), Editions
Calmann-Lévy, 2002, 272 p. p. 6.
27 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du
film noir américain (1941-1953), op. Cit p.35.
Il est intéressant de remarqué que pour la plus
part des auteurs d'ouvrages sur le film noir que le premier film reconnu comme
tel est Le Faucon maltais de John Huston tourné en 1941.
En ce qui concerne les films étudiés pour ce
travail de recherche, ils sont deux datant de 1941, Le Faucon maltais
et Shanghai Gesture (Shanghai) de Joseph Von Sternberg.
Toutefois, en1940, William Wyler signe un film qui
mériterait de se voir rajouter à la liste des films noirs,
The Letter (La lettre).
Il met en scène une femme criminelle, rôle
interprété par Bette Davis, qui tue son amant après avoir
appris qu'il l'avait trompée, et réussi presque à s'en
sortir.
Pour Jean Mitry, ce serait aussi un film de 1940, de Raoul Walsh,
They drive by night (Une femme dangereuse), qui serait
l'annonciateur du genre.
Ici, l'actrice Ida Lupino, tue son mari et le maquille le
meurtre en accident afin de posséder l'entreprise de camionnage du mari
et l'amour de Georges Raft, le chef du routage dont elle s'est
éprise.28
Il semble également que le film noir a connu des
périodes plus ou moins favorables. Après l'apparition du Faucon
maltais en 1941, le film noir connaît quelques années de
battement.
Comme le souligne François Guérif :
« C'est en effet à partir de 1944 que les
histoires du cinéma américain placent la réapparition du
film noir. La raison en paraît simple : la victoire alliée
paraissant un fait acquis, la censure peut relâcher son emprise.
»29
Il note également que :
« L'entrée des Etats-Unis en guerre changea
l'identité des ennemis publics. Puisque le gangster semblait avoir
disparu, il était plus facile, après une période
d'autocritique, d'affirmer que le mal venait de
l'extérieur.30»
Puis de 1946 à 1948, selon Raymond Borde et Etienne
Chaumeton, le film noir connaît son apogée, une sorte d'Age
d'or.
Ces deux auteurs mettent fin à l'aventure du film noir en
1953.
Pourtant, Kiss Me Deadly (En quatrième
vitesse) de Robert Aldrich, date de 1955, et correspond bien aux «
critères » du film noir.
28 Jean Mitry, Histoire du cinéma, Art et
industrie ; V.Les années 40, op. Cit. p 382.
29 François Guérif, Le film noir
américain, op. Cit. p. 110.
30 Ibid, p. 105.
Le contexte général (social, politique,
économique,...), ainsi que les avancées technologiques en
matière de cinéma, comme la naissance de la bande son, l'essor de
l'industrie cinématographique, le poids des maisons de production pour
la demande (la commande) des films (les plus importantes étant, la
Paramount, la Metro Goldwyn Mayer, 20th Century Fox, la Warner et Universal),
l'influence de l'expressionnisme allemand pour l'esthétisme du film
allait donner toutes ses caractéristiques au film noir, son
atmosphère.
Il paraissait donc important de resituer ce contexte de
l'époque, sans vouloir tomber dans un pessimisme extrémiste, car
il faut toutefois rappeler que les années quarante sont aussi
nuancées par la présidence de Roosevelt, qui laisse entrevoir une
issue à la dépression, l'avancé télévisuelle
et radiophonique, la victoire sur l'Allemagne.
«(...) les Etats-Unis sont redevenus une nation
prospère grâce à la guerre. Les commandes du gouvernement
aux industriels et la mobilisation ont résorbé le chômage.
Le niveau de vie a augmenté. Ce paradoxe entraîne une crise morale
augmentée d'un sentiment de culpabilité causé par la
neutralité du pays avant 1942, mais ce malaise persiste après
1945 avec la responsabilité d'avoir largué des bombes atomiques
sur le Japon. »31
Ces quelques lueurs d'espoir ne suffisent pas à apaiser
le climat que connaît la société américaine.
Car même si les Etats-Unis conservent leur puissance
économique, la décision du président Truman (successeur de
Roosevelt en 1945) visant à soutenir les investissements du capital
contribue à provoquer l'inflation et la montée des prix.
S'en suis une nouvelle montée du chômage, et un
mécontentement populaire général.
Les milles yeux du film noir de Alain Silver
et James Ursini, donne une première approche sur l'atmosphère du
film noir.
« La pièce est noire. Un puissant rai de
lumière filtre depuis le hall sous la porte. L'ombre des pieds se
découpe dans le rai de lumière. Bref silence. Suspense. Qui
est-ce ? Que va-t-il se passer ? Quelqu'un va-t-il actionner la sonnette ? Ou
glisser une clé dans la serrure et tenter d'entrer ? Une ombre dense
obstrue alors totalement la lumière, accompagnée d'un bruit
chuintant. L'ombre se retire et nous voyons dans le rai de lumière un
papier glisser sur le tapis. De nouveau les pas se font entendre... Cette
fois-ci, ils s'éloignent. Une lumière plus fort apparaît et
illumine le papier à terre. (...) »32
Nöel Simsolo, explique l'atmosphère par :
« Rues sombres, ennemis invisibles, être
désemparés aux pulsions de folie meurtrière, ombres
inquiétantes et couples maudits y réveillent les peurs ataviques
du spectateur. L'ambiguïté des personnages, la complexité
des situations et le glauque des images infiltrent son subconscient. Un
sentiment de gêne le gagne face à ces reflets masqués de la
honte qui pourrit l'époque où, hors la menace d'attentas et de
sabotages, le citoyen américain ne subit pas le conflit mondiale sur son
territoire. »33
Mais il va plus loin en fusionnant ce qui vient d'être
expliquée dans cette partie.
« Le citoyen américain est alors mal à
l'aise. Son subconscient est embarrassé de nouvelles hontes :
impérialisme militaire dans le monde, atteinte à la
liberté de penser, impuissance à éradiquer la
délinquance juvénile, la mafia, la corruption. (...) Impossible
d'abstraire le contexte où sont tournés les films entre Force of
Evil (L'Enfer de la corruption, 1948) et Kiss me Deadly (En quatrième
vitesse, 1955). (...) ces films témoignent de l'oppression
policière d'un pouvoir devenu antidémocratique et laissent
filtrer le pessimisme des uns et la paranoïa des autres. Dans cette
époque troublée, le calvaire individuel recoupe une
culpabilité collective.
( ...) C'est un cinéma de crise et en phase avec
l'Histoire.
Il s'est développé dans un climat de consciences
troublées. »34
Et justement, le film noir est un moyen commode pour
pénétrer dans tous les milieux et dévoiler ce qui se passe
derrière la façade.
Comme il a été vu précédemment, le
film noir sous entend un délit.
On distingue vulgairement trois types de personnages, celui qui
commet le délit, celui qui cherche à découvrir comment
celui-ci a été commis, et la victime.
Encore une particularité du film noir qui va s'attacher
avec beaucoup d'importance au grand mouvement naissant qu'est la psychologie,
et donner à ses personnages une identité propre à
chacun.
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