2) Les sources du film noir.
Pour Raymond Borde et Etienne Chaumeton,
« La source immédiate du film noir est
évidemment le roman policier noir d'origine américaine ou
anglaise »14.
Les études les plus récentes sur le film noir sont
toutes en accord sur la corrélation entre le roman policier et le film
noir.
« Si la source immédiate du film noir est le roman
noir (et cela ne parait contestable), le roman noir dérivant du roman
policier qui, lui-même, n'est pas sans entretenir de rapports avec le
roman noir anglais, (...) »15.
Le roman policier, lui-même descendant du roman «
à énigmes » dont l'innovateur est Arthur Conan Doyle avec
ses Aventures de Sherlock Holmes.
Aux Etats-Unis, les premiers romans policiers datent du
début des années vingt. Ils mêlent la mort, la violence,
les meurtres.
Souvent un détective se voit doté d'une mission qui
consiste à élucider une intrigue, « (...), nous avons
affaire au roman-problème, au jeu intellectuel et au divertissement
cérébral où, par les vertus du raisonnement et à
partir d'un certain nombre d'indices, la vérité se fait jour.
»16 Puis ces romans policiers deviennent ce que l'on appelle
des romans noirs.
En cessant d'être un jeu abstrait, situé dans un
monde imaginaire, peuplé de personnages eux aussi imaginaires, ils se
transforment en romans noirs car :
« Le roman policier prend des allures de constat, de
radiographie d'une société. »17 Effectivement une
bonne partie des films noirs les plus marquants comme The Maltese Falcon
(Le faucon maltais) de John Huston en 1941, Double
Indemnity (Assurance sur la mort) de Billy Wilder en
1944, The Postman always rings two times (Le facteur sonne toujours deux fois)
de Tay Garnett en 1946, sont l'adaptation à l'écran des romans
noirs du même nom.
Selon Noël Simsolo,
14 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du
film noir américain (1941-1953), op. Cit p.17.
15 François Guérif, Le film noir
américain, op. Cit p.14.
16 Michel Ciment, /HTEIPIV IPTEDC,
UCHK&FleEillgIMPPEing, Découverte
Gallimard Cinéma, 1992, 192 p. p. 55.
17 François Guérif, Le film noir
américain, op. Cit p.19
« De quelque maniere qu'on aborde l'histoire de la
littérature, il apparaît que le crime a toujours été
un élément majeur d'inspiration (...) Car, depuis le début
des temps, le meurtre a été présent dans la
réalité et dans l'imaginaire de chacun (...) Cette
particularité a nourri la littérature et le théâtre
»18.
Un des auteurs précurseurs de ce nouveau style de romans
est Dashiell Hammett.
« Vers la fin des années vingt, après la
transformation radicale du roman américain, le gangstérisme, la
violence, la corruption vinrent donner une impulsion nouvelle à la
littérature policiere. Le coup d'envoi fut donné par Dashiell
Hammett avec La moisson rouge (1927) bientôt suivie de Le
Faucon maltais (1930). »19
« Nul mieux que Raymond Chandler n'a résumé
la mutation de son essai : The Simple art of Murder (Le
Crime est un art simple, 1944) :
«
+aPPIIFIaI4RttiIBIhtiPeI11II4RCIvD4eIYCitiiCIeiId'aIulaCqX~I11DC4IGItX1441DX I
IRCICN4tISa4I
REal~I111I11I1Di44etIàIIDPD4V
IPDI4Il'i11~IICeISDta1444itISI4IPDX1ai4eI11eIl'éloigner autant que faire
se pouvait des conceptions petites-bourgeoises sur le grignotage des ailes de
poulets par les jeunes filles du grand mondes. »
»20
Ses principales oeuvres sont Le Grand Braquage,
La Moisson rouge, Sang maudit, Le Faucon maltais et
La Clé de verre, écrites entre 1927 et 1930.
« Hammett transpose l'univers du détective des
beaux quartiers aux décors sordides des grandes villes populeuses, dans
un climat malsain où regne l'atmosphere brutale du monde de la
criminalité (...) L'intrigue et les personnages du Faucon
maltais en font l'archétype d'un genre qui révèle une
société où la corruption est générale, et
non plus circonscrite comme dans les histoires classiques de détective.
»21
Dans leur Panorama du film noir américain,
Raymond Borde et Etienne Chaumeton voient Dashiell Hammett comme :
« ...à la fois le créateur de ce nouveau
courant littéraire américain et un auteur dont le talent
dépasse largement le cadre du genre (comme Georges Simenon pour la
langue française) et dont les premiers écrits remontent aux
environs de 1930. »22
18 Noël Simsolo, Le Film Noir, Vrais et faux
cauchemars, op. Cit p. 39.
19 Jean Mitry, Histoire du cinéma, Art et
industrie ; IV.Les années 30, Paris, Jean-Pierre Delarge,
éditeur, 1980, 736 p. p 468.
20 Noël Simsolo, Le Film Noir, Vrais et faux
cauchemars, op. Cit p. 43.
21 Michel Ciment, /1Iht/PIIà
Il'9htDCV I8 CfIhi4lRetlI11eIl'SPPtiqXg, op. Cit p.57.
22 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du
film noir américain (1941-1953), op. Cit p.17.
Mais François Guérif corrige en expliquant que les
premiers textes de Dashiell Hammett remontent à 1922, sous la forme de
nouvelles éditées sous le nom de Peter Collinson.23
D'autres oeuvres comme celles James Cain, ont également
été porté à l'écran.
Ces ouvrages sont Le Roman de Mildred Pierce et Le
facteur sonne toujours deux fois.
Ou bien encore les romans de Raymond Chandler, Le Grand
Sommeil, Adieu ma jolie ; de W.R. Burnett, Le Petit
César ; ceux de William Irish, La rue de la chance, David
Goodis, Les passagers de la nuit, James Hadley Chase, Peter Cheyney,
Horace Mc Coy, Richard Stark, Carter Brown et encore beaucoup d'autres.
Ces romans ont vu le jour à une époque ou le
gangstérisme devenait de plus en plus important aux Etats-Unis, et leur
essor a été favorisé par la crise économique et
politique de cette période.
« La corruption, la décadence morale, le vice
apparaissaient d'autant mieux qu'ils se produisaient dans un monde où le
chômage et la délinquance créaient un malaise propre
à la définition d'un climat inquiétant, sombrement
pessimiste, révélateur d'une société en
désarroi. »24
« Pendant les années vingt, le crime semblait donc
faire partie du quotidien et ces auteurs de nouvelles policières
s'éloignèrent des rébus meurtriers conçus par des
écrivains jouant sur les chambres closes, les as de la déduction
et les maîtres d'hôtels assassins. »25
Du point de vue politique, la loi Volstead du 16 janvier 1919
concernant l'institution de la Prohibition, et interdisant la fabrication, la
vente et le transport (exportation, importation) de boissons alcoolisées
contribua à donner naissance à un marché parallèle,
au commerce clandestin.
Cette loi sera abrogée en 1933 sous la présidence
de Franklin Roosevelt.
Sous la présidence de Warren G. Harding de 1921
à 1923, c'est l'instauration généralisée des
pouvoirs de l'argent sous prétexte de soutenir le commerce et
l'industrie et d'ouvrir une ère de prospérité.
Sur le plan social et culturel, les années vingt
connaissent le développement du racisme antinoir et antisémite et
du Ku-Klux-Klan (4 millions de membres en 1925).
On assiste à une progressive libération des
moeurs, et paradoxalement le gouvernement étatsuniens fait preuve de
répression et instaure un code moral pour les films le 15 janvier 1922
(qui deviendra par la suite le Code Hays).
23 François Guérif, Le film noir
américain, op. Cit. p. 13.
24 Jean Mitry, Histoire du cinéma, Art et
industrie ; V.Les années 40, Paris, Jean-Pierre Delarge,
éditeur, 1980, 653 p. p 380.
25 Noël Simsolo, Le Film Noir, Vrais et faux
cauchemars, op. Cit p. 43
Puis le 24 octobre 1929, c'est le crac boursier, « le jeudi
noir », l'Amérique vit une vrai crise, son marché financier
est interrompu par une chute brutale.
Cette réalité a influencé l'imaginaire des
auteurs qui viennent d'être cités.
Le pas entre le roman noir et le film noir était donc
presque déjà établi, il ne manquait plus que les moyens
technologiques, les sociétés de productions, et tous les «
acteurs » dont un film a besoin.
Le contexte établit a servi d'atmosphère quant
à l'épanouissement du film noir.
Car si le roman noir date des années vingt et trente, les
femmes criminelles dans le film noir n'apparaissent que dans les années
quarante.
|