Chapitre I : Lumière sur le film noir.
1) La naissance d'un genre ?
« Qu'est-ce qu'un film noir ? Le mot « noir "
implique un certain éclairage sur le monde, une vision subjective, une
façon pessimiste d'appréhender les choses. Le noir implique le
réalisme ".3
Le film noir emprunte à la fois aux films criminels
traditionnels, aux films psychologiques, aux films de gangsters ou aux films de
détectives et d'atmosphère.
C'est un « genre " difficile à délimiter.
Par ailleurs, le film noir est-il un genre, un style ou un
mouvement ?
Pour certains, comme Foster Hirsh le film noir est un genre
cinématographique à part entière, « Un genre,
après tout, est déterminé par des conventions de structure
narrative, de représentation de caractères, de thème et de
style visuel, de ce genre de choses justement que le film noir offre en
abondance. (...) Le film noir raconte ses histoires d'une manière
particulière, et dans un style visuel particulier. L'usage
répété de structures narratives et visuelles (...) fait
sans aucun doute du film noir un genre, en fait aussi fortement codé que
celui du western peut l'être "4.
Le film noir est marqué par l'influence des romanciers
anglais et/ou américains, et est doté d'une grande richesse
esthétique.
Cet esthétisme doit beaucoup à l'expressionnisme
allemand.
Il est intéressant de constater que quelques uns des
plus grands films noirs américains sont dus en particulier aux
réalisateurs germaniques immigrés tels que Fritz Lang, Robert
Sidomak, Otto Preminger qui fuyaient la montée du nazisme.
Effectivement, ayant importé leur technique, les
éclairages expressionnistes sont fortement contrastés, jouant
avec les clairs-obscurs qui donnent un effet dramatique, et ils sont
liés aux prises de vues subjectives qui amènent une
particularité psychologique.
3 François Guérif, Le film noir
américain, Paris, Edition Denoël, 1999, 413p, p. 13.
4 Foster Hirsch, The Dark Side of the Screen :
Film Noir, La Jolla, A.S. Barnes and Co, 1981, in
Anne-François Lesuisse, Du Film Noir au Noir, Traces figurales dans
le cinéma classique hollywoodien, Bruxelles, De Boek
Université, 2002.
Le décor est souvent urbain. En ville les scènes
nocturnes sont très nombreuses, parsemées de docks
menaçant, de cliniques, d'asiles, de bars mal famés, les
trottoirs sont vides et humides, les ruelles mal éclairées.
La campagne et les petites villes servent aussi de milieu au
film noir, à plus petites échelles, et elles sont souvent
idéalisées et représentent l'Amérique des
origines.
On utilise également la technique de la voix-off, qui
consiste en ce que le héros du film raconte son histoire
(généralement il est victime de son propre destin) sous forme de
flash- back.
La présence du crime est également un
critère en matière de classification d'un film noir. En outre
pour Raymond Borde et Etienne Chaumeton,
« C'est la présence du crime qui donne au film noir
sa marque la plus constante »5, alors que pour François
Guérif,
« la présence d'un crime ne rend pas non plus
obligatoirement un film noir »6.
Néanmoins pour d'autres, tels Raymond Borde et Etienne
Chaumeton, le film noir n'est pas un genre, mais une série se
définissant comme :
« un ensemble de films nationaux ayant entre eux quelques
traits communs (style, atmosphere, sujet, ...) assez forts pour les marquer
sans équivoque et leur donner, avec le temps, un caractère
inimitable »7 .
Ou bien encore Noël Simsolo pour qui les contradictions et
les définitions du film noir sont liées au terme
inventé par un critique de films français, Nino Frank (par
assimilation à la Série Noire, une collection de
romans de détectives) dans un article du numéro 61, d'aoüt
1946, de
/'EcEIX)lEIXçIfs,
« Sous le titre : « Un nouveau genre policier :
l'aventure criminelle », Nino Frank définissait ainsi quelques
films américains, venant de sortir en France, qui lui semblait montrer
autrement la violence physique et les actes criminels. Il les désignait
comme des oeuvres de psychologie criminelle et insistait sur leur
manière d'exploiter brillamment un dynamisme de la mort violente
».8
5 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du
film noir américain (1941-1953), Paris, Edition de Minuit, 1955,
283 p. p. 5.
6 François Guérif, Le film noir
américain, op. Cit, p. 25.
7Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du
film noir américain (1941-1953), op. Cit, p. 2.
8 Noël Simsolo, Le Film Noir, Vrais et faux
cauchemars, Cahiers du Cinéma, Essai, 2005, 429 p. p. 17
Mais ce n'est pas tout :
« Elles reposent également sur le fait que le film
noir n'est pas un « genre » spécifique, comme le sont le
western ou la comédie musicale. Ce n'est pas non plus un mouvement
artistique fédérateur, comme le furent le
néoréalisme italien, la Nouvelle Vague française, le
cinema nuovo ou le Free Cinema britannique. Il ne
développe d'ailleurs aucune plate-forme théorique
».9
Noël Simsolo continue :
« Aujourd'hui, des critiques englobent sous ce label tous
les films criminels de l'histoire du cinéma (passée,
présente et à venir) - thriller, suspense, film à
énigme ou d'investigation, aventures policières aux aspects
documentaires, mélodrame sur la délinquance juvénile, road
movie déjanté ou production gore avec serial killer - ,
citant comme prototypes exemplaires : Die Hard (Piège de
cristal,1988) de John Mc Tiernan et Blue Velvet (1986) de David
Lynch aux côtés de Laura (1944) d'Otto Preminger et
Kiss Me Deadly (En quatrième vitesse, 1955) de Rober
Aldrich ».10
Les simples ingrédients banalisés pour faire du
film noir un genre ne suffisent pas ou plus.
Il faut rajouter à cela « le choix d'une attitude
d'artiste »11, c'est à dire associer le travail du
réalisateur (ce qu'il conçoit et ce qu'il montre) à
l'imaginaire idéologique, sociale des spectateurs, « il faut
évoquer un inconscient collectif favorisant dans une période
donnée, la sublimation de sujets par le flou de la vision dü
à la perte d'identité ».12
Ces deux courants de pensées concernant «
l'identité » du film noir devraient se nourrir l'une de l'autre,
tout en restant objective pour ne pas classer trop facilement n'importe quels
films dans cette catégorie :
« Depuis, la vidéo, le DVD, et la
télévision par câble exploitent du film noir, sans toujours
se soucier que le produit soit conforme à ce label mythique
».13
Car autant le film noir est un genre en matière de
critères sélectifs, comme les effets d'éclairages, les
personnages sombres, l'atmosphère psychologique ou matérielle,
autant il est un concept, idéologique, psychologique, esthétique,
personnel propre à chaque réalisateur, luimême
évoluant dans le contexte de son époque.
9 Ibid., p.11
10 Ibid, p.11
11 Ibid. p.14
12 Ibid. p.14
13 Ibid. p.35
Que le film noir soit un genre, une série, un style, un
mouvement ou bien le choix d'une attitude d'artiste, ne nous expliquent pas de
quelle façon il a vu le jour, et par la suite donnée tant de mal
à le classer dans une catégorie.
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