Chapitre IX : Le Film Noir, vecteur de valeurs
3) Une morale tragique.
0 On touche ici à une question plus
générale : celle des rapports entre le genre noir et la morale.
Cette complaisance pour l'envers du décor, pour une jungle où,
derriére le crime, le chantage et la corruption, tous les désirs
sont à l'aff~t, ne donne t-elle pas une sorte d'accent anarchisant
à toute la série ?
Ecoutons pourtant l'avis d'un H.F. Rey, écrivant
à propos d'Assurance sur la mort : (Le film) 0 devient
grâce au personnage incarné par Robinson, une sorte de
leçon de morale se terminant par l'obligatoire confession quasi
publique, dans le meilleur style de l'Armée du Salut. Ici on a
illustré le fameux dogme du péché trop lourd à
supporter. A aucun moment de cette bande, la morale ne perd ses droits. Bien
sûr on y montre le diable sous les traits étonnamment
érotiques de Barbara Stanwyck, mais ce n'est que pour obéir
à la tradition chrétienne, qui n'hésite pas à
montrer le mal quand il le faut. Dans ce film, il s'agit de démontrer,
comme dans tous les films de gangsters, que le crime ne paie pas et ne peut pas
payer. C'est une propagande intelligente qui, loin de nier certaines tares
sociales, les décrit complaisamment pour mieux les stigmatiser.
»144
Raymond Borde et Etienne Chaumeton rajoute :
0 Appliquées à la série tout
entière, ces lignes appelleraient plusieurs réserves. Il est vrai
que les moralistes chrétiens peignent le Mal quand ils le jugent utile :
mais rarement sans 0 délectation morose » (pour emprunter leur
langage), et toujours pour en donner une image repoussante. Or, le film noir
tend à lui conférer des côtés attirants, tout en
rejetant des ombres patibulaires sur les représentants de l'Ordre et de
la Justice. Il est vrai que l'histoire finit mal pour les coupables (même
dans Le démon des armes) : la prison, la folie ou la mort
mettent un terme à leurs forfaits. Mais ce dénouement semble bien
être aussi, dans pas mal de cas, l'issue
144 Ecran français, n° 157, in
Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du film noir
américain (1941- 1953), op. Cit p. 44.
la plus vraisemblable, du point de vue réaliste
lui-même. Du reste, l'effet trouble d'un film sur le spectateur est-il
complètement effacé par les cinq dernières minutes ?
»145
Un film qui n'a pas été étudié ici,
semble tout de même intéressant pour Raymond Borde et Etienne
Chaumeton :
« On terminera cette énumération sur La
femme à L'echarpe pailletee (1949) qui porte la signature d'un
Siodmak un peu à bout de souffle. Le sujet est noir : une femme se sert
d'un procureur pour mener à bien des entreprises criminelles et le
délaisse, quand elle n'a plus besoin de lui, pour un gluant maquereau.
Ce requin femelle est incarné par Barbara Stanwyck qui s'est fait une
spécialité de ces rôles de « tueuses
dévorées de vices ». Et si la morale triomphe dans toutes
les dernieres images, c'est par un coup de pouce qui ne doit pas tromper grand
monde. »146
Le moral à travers le film noir s'exerce à travers
tous les domaines.
Pour l'argent par exemple :
« (...), Mary Astor, Sydney Green street, Peter Lorre
dans The Maltese Falcon, Rita Hayworth dans The Lady From
Shanghai, Barbara Stanwyck dans Double Indemnity. sont tous des
«money lovers», comme les appelle Stuart Whitman dans These Thousands
Hills. Tous sont irrémédiablement punis par Hollywood pour avoir
détourné de l'argent da sa fonction puritainement
rédemptrice et l'avoir adoré comme le Veau d'or américain.
(...) L'argent, selon Hollywood, doit titre considéré à la
fois comme un outil de travail et une récompense spirituellement
méritée au sein de la communauté américaine.
Convoité et obtenu de manière cupide, il perd toute sa valeur sur
le plan national et divin. »147
Mais également pour le sexe, la
violence,.148
Cette morale de l'Amérique, qui se veut puritaine, va
traverser l'Atlantique, pour débarquer en France, ou la
société ne vit pas du tout les problèmes
sociétaux.
145 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du
film noir américain (1941-1953), op. Cit p. 187.
146 Ibid, p. 108.
147 Michel Cieutat, Les grands thèmes du
cinéma américain, Tome 2 : Ambivalence et croyances, op.
Cit, pp. 120-121.
148 Voir annexe 2.
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