2) Passage à l'acte.
Au moment où les femmes criminelles passent à
l'acte, c'est tout le summum de l'érotisme qui se dégage, surtout
lorsqu'elle utilise une arme à feu.
« Les armes procurent un plaisir évident à
ceux qui les portent dans le cinéma américain, mais Hollywood
hésite cependant entre la nécessité d'en dénoncer
l'usage abusif et le besoin d'en posséder. Tuer ou être
tué. Telle est la question existentielle américaine.
»128
Que cela soit Mary Astor dans Le faucon maltais, Rita
Hayworth dans La dame de Shanghai, Gaby Rogers dans En
quatrième vitesse, dans Shanghai, ces femmes amènent la
suggestion érotique à son comble.
« Avec le recul, cela paraît simpliste et sexiste,
mais à l'époque il était inédit et très
excitant de voir une femme prendre une pose agressive, une arme à la
main. »129
Raymond Borde et Etienne Chaumeton rajoute à cela :
« Ce nouveau type de femme, côtoyant et maniant le
crime, dure à l'égal du milieu qui l'entoure, aussi experte dans
le chantage et le « vice » que dans les armes à feu - et
probablement frigide - a donné sa marque à un érotisme
« noir » qui n'est parfois qu'une érotisation de la violence.
On est loin des héroïnes chastes du vieux Western ou du film
historique. »130
Dans En quatrième vitesse, Gaby Rogers, tire sur
des hommes qui veulent eux aussi le fameux coffret.
Elle tente également de tuer le détective Mike
Hammer, mais ne fait que le blesser, cela lui laisse le temps d'ouvrir la
boîte, mais aussi de mourir, car comme il a été dis, le
trésor n'est autre qu'une bombe atomique ;
Une scène de En quatrième vitesse
précède celle qui va marquer le passage à l'acte. Alain
Silver et James Ursini l'ont traduite comme tel :
« (...) Allongée sur le lit, la main gauche sur la
hanche, sa pose est une invite à l'adresse d'un personnage hors-champ
aussi bien que vers le public. Son air rêveur, sa bouche
légèrement
128 Michel Cieutat, Les grands thèmes du cinéma
américain, Tome 2 : Ambivalence et croyances, op. Cit, p. 47.
129 Eddie Muller, L'art du film noir, Les affiches de l'ge
d'or du film policier, op.cit, p. 93.
130 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du film noir
américain (1941-1953), op. Cit p. 10.
entrouverte, son regard brumeux accentuent la dimension
érotique. Le peignoir enfin, suggère qu'elle ne pore rien
en-dessous - ce qui fait écho à la premiere séquence du
film où l'on voit le héros prendre à bord une
auto-stoppeuse uniquement vêtue d'un pardessus. Le minuscule revolver
qu'elle tient à la main constitue une seconde menace, nettement plus
marquée celle celle-là. Ce symbole phallique dont la jeune femme
s'est emparée complete l'aspect androgyne des cheveux courts. (...) Un
homme ordinaire pourrait succomber à une telle situation - mais pas le
cynique Mike Hammer de En quatrième vitesse, qui ne voit
là qu'une dame pourvue d'un revolver. »131
Et pourtant Mike Hammer aurait dü de méfier, car
Lily Carver n'hésitera pas à s'en servir pour mettre à
terre ses rivaux, pour enfin posséder le fameux trésor, qui lui
explosera à la figure dans la scène finale.
Dans Shanghai, c'est Mother Gin Sling qui va tuer sa
propre fille.
Son acte est dénué de tous sentiments.
Exaspérée par le caractère et la
réaction Poppy, Mother Gin Sling n'hésitera pas une seconde
à tirer, de plus même si elle sa fille, elle ne l'a jamais connue
et n'éprouve aucun attachement. « Ce repas ne pourra finir que dans
le sang. Sir Guy, on le devine, apprendra à Gin Sling qu'elle est la
mere de Poppy. Mais Poppy se répand en sarcasmes et Gin Sling la tue.
»132
Dans La dame de Shanghai, Rita Hayworth se retrouve dans
un palais des glaces, une arme à la main prête à tirer sur
son amant.
Les miroirs volent en éclat, mais c'est elle qui trouve la
mort.
Cependant, même si l'on ne voit pas le meurtre, on apprend
que c'est elle qui a tué l'associé de son mari.
Dans Assurance sur la mort, Barbara Stanwyck tire sur
son amant, Fred Mc Murray, mais elle le loupe.
« Elle a voulu abattre son amant, Fred Mc Murray, mais le
projectile n'avait atteint que l'épaule ; Murray s'approchait d'elle,
prenait son revolver, l'enlaçait doucement, et lui tirait une balle
dans le coeur en murmurant : « Adieu Bébé ». Entre
temps, on apprenait d'ailleurs
131 Alain Silver, James Ursini, Les mille yeux du Film
Noir, op.cit, p. 83.
132 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du film noir
américain (1941-1953), op. Cit p. 44.
qu'elle avait fait disparaître la premiere épouse de
son mari et qu'elle couchait avec le fiancé de sa belle fille.
»133
Ici, le revolver peut éventuellement et dans une
certaine mesure servir de substitut phallique, car finalement ces femmes ne
trouveront jamais de satisfaction sexuelle avec la gente masculine.
En tout cas pas comme les sensations fortes que procurent le fait
de tenir une arme à la main et de pouvoir s'en servir.
Dans les autres films, ce n'est pas le pistolet qui tue les
victimes.
Par exemple, dans Péché mortel,
« Au cours d'une baignade, Ellen l'encourage (le
frère de son mari) à tenter un parcours qui dépasse ses
forces.
Il se noie. De sa barque, impassible, elle le regarde couler dans
le lac. Richard est accablé de douleur, mais de cette douleur même
elle devient jalouse. »
Get acte révèle vraiment la personnalité
machiavélique d'Ellen.
Elle pousse le frère de Richard a se fatigué, comme
cela, elle n'aura même pas à se salir les mains.
C'est un peu comme dans Un si doux visage.
Diane Treymayne (Jean Simmons), demande à Frank Jessup de
réparer la voiture de sa bellemère.
Elle l'observe, et le lendemain son père et sa belle mere,
en meurt dans un ravin.
On ne la voit pas le faire, mais c'est elle qui a trafiqué
la boîte à vitesse, et lorsque son père passe la
première vitesse, la voiture recule directement dans le
précipice.
Frank est accusé à tort et va en prison, mais
pendant ce temps, Diane est en pleur car elle est aussi à l'origine de
la mort de son père qui n'était pas prévu.
Plus tard elle va chercher en Frank en prison, le ramène
chez elle, lui promet une bonne situation, et celui-ci va se laisser berner.
Au final, la dernière scène du film est la
même, Diane emmène Frank à la mort avec elle, de la
même façon qu'elle a tué son père et sa belle
mere.
Dans Le facteur sonne toujours deux fois, c'est un plan
des deux amants, qui décident de faire croire à un accident.
Sauf que cela ne déroule pas comme ils l'avaient
prévu, et le mari se retrouve à l'hôpital pendant quelques
jours.
Durant ce temps, les deux complices décident de partir
ensemble, mais Cora se rend compte qu'ils ne savent même pas où
ils vont, et que ce qui l'intéresse c'est de pouvoir agrandir son
restaurant.
Elle demande donc à Frank de partir.
Ils ne voient pas pendant quelques temps, mais un jour, Nick le
revoie près d'entrepôts de marchandises, et lui demande de
revenir.
Cette fois, ils vont tentés de le tuer, en maquillant le
crime dans un accident de voiture ou Nick aurait trop bu pour conduire.
Enfin, dans Niagara, on sait que c'est Marilyn Monroe
qui est à l'origine de la décision de tuer son mari.
Le plan est « simple », l'amant doit jeter son mari
depuis le site des chutes du Niagara. Seulement, le plan échoue, c'est
l'amant qui meurt.
Le mari se fait passer pour le mort, et lorsque Marilyn Monroe
se rend à la morgue, en croyant voir son mari mort, elle tombe dans les
pommes et atterrit à l'hôpital sans ne plus rien y comprendre.
Voilà donc comment ces femmes sont devenues des
criminelles.
Cette liste de films n'est qu'une liste exhaustive, car il y a
tout de même plusieurs films de cette période où les femmes
sont des criminelles.
Il est possible d'aborder maintenant l'impact social des
femmes criminelles dans le film noir américain, car après tout
n'est-il pas que le miroir de la société qui les produit,
c'est-à-dire la société américaine.
|