Chapitre VI
1) Les motivations du crime.
La plus part du temps, les motivations qui poussent les femmes
au crime, son soit l'app~t du gain, soit une vengeance quelconque, soit plus
subtilement un désir d'émancipation, en choisissant de refaire
leur vie avec un autre homme, souvent leur amant, aprés avoir
décidé d'éliminer leur mari.
Eddie Muller explique en parlant de l'affiche de cinéma de
Le facteur sonne toujours deux fois, illustré par
Klaus Dill, en Allemagne:
0 Cette interprétation classique de Cain est
remarquable par son caractère suggestif. Dill avait parfaitement compris
la passion des amants, comment elle les avait poussé à tuer,
comment ils finissaient par ne plus pouvoir se quitter, dévorés
par le désir et la défiance. »122
Pour Raymond Borde et Etienne Chaumeton,
0 La question des unions malheureuses inspire toujours les
scénaristes : l'un des conjoints (presque toujours la femme) s'est
marié par intérêt. Mais une aventure lui révile
l'amour physique et il tente de rompre ses chaînes par le meurtre.
»123
Dans ces scènes, le pistolet parle de violence, et
l'expression des actrices parle de sexe, et ce sont les deux composantes
psychologiques qui sont en jeu.
Assurance sur la mort, Le facteur sonne toujours deux
fois, La dame de Shanghai, Niagara, toutes les femmes de ces
films ont pour point commun un complot, celui de tuer leur mari avec l'aide de
leur amant, d'une part pour refaire leur vie, et d'autre part pour l'argent
qu'occasionneront les décès.
Dans Assurance sur la mort,
0 Le contraste entre objets quotidiens et situations
extraordinaires est thème récurrent du film noir. La
scène du supermarché dans Assurance sur la mort (1944)
en est un parfait exemple.
122 Eddie Muller, ilfart du fUtP nRUr, iles
affUFhes de tfale dfRr du fUtP SRtUFUer, op.cit, p.93.
123 Raymond Borde, Etienne Chaumeton, Panorama du
film noir américain (1941-1953), op. Cit p. 133.
Phyllis Dietrichson (Barbara Stanwyck) complote de tuer son
mari avec l'aide de Walter Neff (Fred Mc Murray). Cependant, les deux complices
ne peuvent prendre le risque d'un rendezvous privé. Aussi
décident-ils de se rencontrer « fortuitement » dans une
allée du supermarché local. L'agencement méticuleux des
produits autant que l'enseigne vantant les « quality foods » sont
l'impitoyable métaphore du monde ordinaire et ordonné qui
constitue le lot des mortels. Les lunettes de soleil que porte Phyllis cachent
ses yeux autant que les motifs inavouables qu'elle veut dissimuler à son
compagnon. Le visage de Neff au contraire est particulièrement
expressif, son regard désespérément tourné vers
elle qui garde les yeux fixés droit devant. Presque littéralement
cernés par le cadre de l'image, les deux tueurs sont
piégés non tant par leur culpabilité que par leur peur
d'être découverts, chacun dépendants de la solidité
nerveuse de l'autre dont ils ne peuvent pourtant être sürs.
»124
Dans Le facteur sonne toujours deux fois, Cora veut
supprimer Nick après avoir appris que celui-ci voulait vendre leur petit
restaurant, afin qu'elle s'occupe de sa belle-soeur handicapée au
Canada.
Pour La dame de Shanghai, c'est un peu pareil. Elsa
Bannister rencontre sur sa route un homme qui la sauve, et qui devient son
garde du corps.
Les deux amants décident de supprimer le mari, mais
l'histoire finit dans un bain de sang.
« Michael O'Hara sauve par hasard d'un enlèvement
une jeune dame d'une grande beauté. Le mari, un avocat infirme et plus
que suspect, nommé Bannister, lui offre de devenir le garde du corps de
sa femme. Il y consent et s'embarque avec eux sur le yacht, pour une
croisière lourde de dangers troubles. Un jour, l'associé de
Bannister, surgi au cours du voyage, propose à Michael O'Hara cinq mille
dollars pour faire semblant de l'assassiner. Or Michael a besoin d'argent pour
fuir avec Madame Bannister, et il accepte. Il s'apercevra trop tard qu'il est
tombé dans un piège : l'associé sera réellement
tué. »125
Dans Niagara, Rose (Marilyn Monroe) a déjà
un amant au début du film.
Son mari d'en doute fortement, il est très jaloux, mais
l'insolence de Rose le rend faible et docile.
Rose met donc au point un plan pour le tuer, et si dans les
autres films hormis Assurance sur la mort, c'est elle seule qui prend cette
décision.
124 Alain Silver, James Ursini, Les mille yeux du Film
Noir, op.cit, p. 29.
Son amant est aussi sous le charme, et elle le contrôle
mentalement.
C'est dans la boutique des chutes du Niagara qu'elle lui donnera
les indications.
Les motivations du crime dans La lettre, Un si doux
visage, Le roman de Mildred Pierce, Péché mortel et
Shanghai Gesture sont liées à la vengeance,
elle-même souvent issue de la jalousie ou d'un mauvais souvenir.
Dans La lettre, Bette Davis est jalouse d'une femme que
côtoie son amant.
Un si doux visage met en scène une motivation
vraiment très noire.
Joans Simmons demande à Robert Mitchum de tuer sa
belle-mere qu'elle ne supporte pas. Ce dernier ayant refusé et aimant
une autre femme, elle va planifier deux meurtres.
Dans Péché mortel, Ellen, jalouse du
frère de Richard, va être amené à le tuer. «
Affligée d'un terrible complexe oedipien (Ellen), elle a
rencontré Richard, dont elle s'est éprise à l'instant,
avec une sorte de frénésie. On saura plus tard pourquoi : il
ressemble à son père. Et Richard se laisse inviter, courtiser,
séduire. Il se trouve marié sans presque s'en rendre compte.
Alors la tragédie prend forme. Ellen, qui voue à son époux
un amour férocement exclusif, dépense tous ses efforts à
l'enchaîner à jamais, mais s'emploie inconsciemment à le
perdre. Richard avait, en effet, un jeune frère à demi
paralytique, égoïste et médiocre, qu'il chérissait.
Cet intrus larmoyant troublait leurs moments d'intimité. »126
Dans Le roman de Mildred Pierce, c'est une histoire de
trahison.
On pourrait croire que la tueuse n'est autre que Mildred,
d'ailleurs c'est ce qu'elle veut faire croire, seulement, c'est sa fille Veda
(Ann Blyth) qui commettra un meurtre lorsque Monte (Zachary Scott)
décide de la quitter.
Enfin dans Shanghai Gesture, Mother Gin Sling
décide de se venger de l'homme qu'elle a connu étant jeune.
Son plan devient encore plus diabolique quand elle apprend que sa
fille est également la sienne.
« Le film s'achève sur un repas somptueux et
sinistre, où les secrets des convives sont mis à nu, tandis
que les ressentiments s'assouvissent. Un géant écarte les
rideaux, ouvre une
fenêtre : on aperçoit de belles filles à
demi nues, enfermées dans des cages qui se balancent au-dessus d'une
foule vorace, hurlante. Alors Mother Gin Sling, l'hôtesse, annonce
qu'elle a été, elle aussi, suspendue autrefois dans une cage, un
jour de nouvel an, et vendue aux enchères. Un homme l'avait volée
et trahie, il a changé de nom, il assiste (bien entendu) au repas :
c'est un riche financier, Sir Guy Charteris. Mais Mother Gin Sling a
rencontré fille de Sir Guy, Poppy, et a eu sa revanche en la jetant dans
les bras du docteur Omar, poète de Shanghai et de Gomorrhe, «
Docteur en rien ... ». Quelques semaines de débauches et de drogues
en ont fait une loque. Une porte s'ouvre et Poppy entre, la robe
dégrafée, les cheveux en désordre. »127
Enfin, Le Faucon maltais et En quatrième vitesse,
dressent des motivations au crime relatif à l'acquisition d'un objet
précieux.
Dans Le Faucon Maltais, on se bat pour acquérir
un objet précieux, une statuette, qui se révélera
être en toc.
Puis enfin dans En quatrième vitesse, c'est
également pour une boîte qui est censée contenir un
fabuleux trésor que les personnages vont s'entretuer.
Toutes ces motivations prennent tellement d'importance,
qu'elles vont pousser les femmes criminelles à commettre leur crime, que
l'on pourra voire plus ou moins brièvement, et/ou plus ou moins
implicitement.
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