2-2 : Fondements empiriques
La transmission de la politique monétaire a fait
l'objet d'une abondante littérature empirique. Alors que le débat
s'est longtemps porté sur le clivage :
keynésiens-monétaristes, il s'est maintenant clairement
déplacé sur le partage : ISLM-monétaristes d'un
côté, et défenseurs de la théorie du cycle
réel de l'autre. Schématiquement, pour les premiers, les
variations non anticipées de la monnaie peuvent produire un effet
réel à court terme ; pour les seconds, la politique
monétaire ne produit pas d'effet réel. Nous ne reviendrons pas
ici sur tout l'historique de ce débat, sur les liaisons entre masse
monétaire et activité réelle. Nous nous limiterons ici
à exposer les travaux récents, qui posent explicitement la
question de l'existence des canaux de transmission en général et
d'un canal de taux d'intérêt en particulier. Leurs
résultats sont souvent contradictoires ou ambigus car les séries
de monnaie, de taux d'intérêt ou de crédit étant
très corrélées, il est difficile d'isoler leurs effets
respectifs.
Les études empiriques ont été nombreuses.
Nous les décomposons ici en deux catégories : la première
concernant celles des pays développés et la seconde celles
réalisées sur les pays en développement
2-2-1 : Cas des pays développés
Dans le but d'évaluer la nature et l'efficacité
des canaux de transmission de la politique monétaire en France, la
Banque de France (1998, pp. 205-207) a effectué des simulations, en vue
d'évaluer les effets sur la croissance et l'inflation d'une baisse d'un
point de pourcentage pendant deux ans des taux d'intérêt
directeurs. L'hypothèse sous-jacente d'une parité
inchangée du franc français vis-à-vis des autres monnaies
du «noyau dur» (France, Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg,
Danemark) du mécanisme de change européen a été
faite.
Les simulations économétriques ont reposé
sur l'hypothèse de base que la baisse a bien été
intégrée par le marché, c'est-à-dire qu'elle s'est
traduite par un repli des taux d'intérêt de toutes les
échéances, y compris à long terme. Le surcroît de
croissance obtenu par référence au scénario où les
taux directeurs seraient restés au niveau initial est de 0,2% la
première année, de 0,4% la deuxième, puis diminue
régulièrement par la suite. Il est nul à partir de la
cinquième année.
En revanche, l'effet sur les prix est beaucoup plus durable :
le surcroît d'inflation, par rapport au scénario de
référence, est encore de 0,3% au bout de six ans.
Au total, il apparaît que si une baisse des taux
d'intérêt est de nature à faciliter la reprise de
l'activité, elle ne peut à elle seule la relancer de
manière durable. Ainsi, les effets sur la croissance liés au seul
canal du taux d'intérêt sont dans l'ensemble limités et
transitoires. Par contre, le risque d'aboutir à une inflation
persistante, du fait d'une détente monétaire inopportune est,
lui, bien réel.
Plus généralement, pour les pays les plus
industrialisés (regroupés au sein du G8), les délais
d'action de la politique monétaire ne sont pas sensiblement
différents d'un pays à l'autre (S. Gerlach et F. Smets 1995 ; C.
Cortet, 1998). Ces délais sont les suivants :
- l'impact d'une variation des taux directeurs sur
l'activité est perceptible au bout de six mois et maximal au bout de six
à sept trimestres ;
- l'impact sur les prix n'apparaît significatif qu'au bout
de dix-huit mois à deux ans et atteint son maximum au bout de trois ou
quatre ans.
De ce fait, les différences entre pays portent plus sur
l'ampleur de l'ajustement des économies à un choc
monétaire que sur la vitesse d'un tel ajustement.
Selon Nubukpo (2002), les deux principales limites à
l'efficacité de la transmission de la politique monétaire au
secteur réel de l'économie sont les références
utilisées dans les contrats financiers et la structure des bilans
financiers des agents économiques. Selon cet auteur, lorsque les
crédits aux ménages ou les actifs financiers sont libellés
à taux fixes, les modifications des taux débiteurs et
créditeurs ne se répercutent sur le revenu des agents qu'à
la faveur du renouvellement des actifs et n'exercent donc qu'un impact
limité à court terme.
De même, la structure spécifique des bilans
financiers des agents non financiers limite l'influence de la politique
monétaire sur l'activité. Si les ménages ont une
capacité de financement plutôt qu'un besoin en financement, les
effets de revenu, de richesse et de substitution se compensent ; une hausse des
taux d'intérêt accroît l'attractivité de
l'épargne (effet de substitution et effet de richesse) mais induit une
hausse du revenu disponible des ménages, ce qui exerce un effet
stimulant sur la consommation (effet de revenu).
B. Mojon (1998) a mis en évidence l'impact de
l'hétérogénéité des structures
financières sur la transmission des chocs monétaires. Il ressort
globalement de cette étude que la politique monétaire est plus
efficace dans les pays où les contrats financiers sont libellés
à taux d'intérêt variables (par exemple l'Angleterre) que
dans des pays comme la France où 85% des crédits aux
ménages sont libellés à taux fixes.
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