2-1-2 : Analyse théorique du taux
d'intérêt
Selon les monétaristes, la politique monétaire a
un rôle actif sur la conjoncture économique. De leur point de vue,
une politique monétaire restrictive par exemple entraîne une
diminution des prix relatifs des actifs monétaires, financiers et
réels dans le cas des pays développés. Cela se traduit par
une modification des demandes réelles que sont la consommation et
l'investissement mais également les stocks réels accumulés
(capital et richesse).
Principal mécanisme de transmission de la politique
monétaire dans la théorie keynésienne, le canal du taux
d'intérêt concerne l'ensemble des moyens par lesquels la variation
des taux directeurs est susceptible d'affecter la sphère réelle,
à travers les décisions d'investissement et de consommation des
entreprises et des ménages.
Selon la théorie néo-keynésienne
représentée par le modèle IS-LM, les
chocs monétaires sont transmis à la sphère réelle
à travers le taux d'intérêt qui est le canal
privilégié. Etant le loyer de l'argent, il peut s'analyser
à la fois comme le taux de rendement d'un actif composite (titre
financier ou capital physique) mais également comme un prix relatif ou
une charge financière. Lorsqu'il est considéré comme un
prix relatif, il influe sur la composition des portefeuilles des agents
économiques, la liquidité de l'économie ou sur le solde
des paiements courants. Analysé comme une charge financière, il
affecte le coût de production des entreprises et reste déterminant
dans le choix entre les différents modes de production intensifs en
capital ou en travail.
D'après Robinson (1965), une politique de taux
d'intérêt bas permet de promouvoir l'investissement et la
croissance économique. Renforçant ce point de vue, Chandavarkar
(1971) assure que la fixation des taux d'intérêt à des
niveaux appropriés, permet d'assurer l'investissement
désiré en volume et en composition. Selon lui, le taux
d'intérêt doit être maintenu à des niveaux bas pour
stimuler l'investissement.
Mc Kinnon et Shawn (1973), prenant le contre-pied de ce
raisonnement, ont montré que des niveaux de taux d'intérêt
bas ne favorisent pas l'accumulation du capital et la croissance
économique. En effet, des taux d'intérêt faibles peuvent
stimuler la demande d'investissement. Toutefois, du fait de leur niveau assez
bas, ils ne peuvent pas susciter l'épargne nécessaire en vue de
satisfaire cette nouvelle demande créée. Il en résulte,
par conséquent, une diminution de l'investissement. Pour ces raisons,
ces auteurs prônent la libéralisation financière. En
conséquence, développant la théorie de la
répression financière,
ils arrivent à montrer que des taux
d'intérêt maintenus à des niveaux bas pouvaient
entraîner des effets néfastes sur l'épargne.
Pour Catherine Bruno3, le canal du crédit
constitue le principal mécanisme de transmission de la politique
monétaire dans le modèle IS-LM. Ainsi, une
politique monétaire expansionniste conduit à une baisse du taux
d'intérêt réel, ce qui stimule l'investissement et
accroît par conséquent le produit. Le fait qu'une variation du
taux d'intérêt nominal à court terme conduise à une
variation du taux d'intérêt réel à court et long
terme s'explique par la rigidité des prix. Taylor (1995) montre, en
prenant appui sur des études récentes, que les taux
d'intérêt exercent un effet considérable sur les
dépenses de consommation et d'investissement. Cependant, ce point de vue
est contesté par Bernanke et Gertler (1995) qui souligne l'échec
de nombreuses études empiriques à mettre en évidence
l'incidence significative du taux d'intérêt sur l'activité
réelle.
Dans le cadre de leur étude sur les indicateurs
avancés du NBER, Stock et Watson (1989) ont montré que les
agrégats monétaires et le crédit peuvent être de
bons indicateurs avancés de l'activité dans une analyse
bi-variée, mais perdent leur pouvoir prédictif dès que
d'autres variables contenant davantage d'informations sur l'activité
future, notamment le taux d'intérêt (de long et de court terme ;
public et privé) sur les obligations publiques substituent les variables
telles que la monnaie, le crédit, ainsi que le prix des actions,
l'emploi, les ventes, les stocks... Ils retrouvent ainsi le résultat de
Sims (1980), qui montrait l'importance du taux d'intérêt dans la
prévision de l'activité.
D'autres contributions, Bernanke (1990), Bernanke et Blinder
(1992), Friedman et Kuttner (1989,1991 et 1992) trouvent également que
les taux d'intérêt et les spreads dominent les
agrégats monétaires dans les tests de causalité sur les
variables réelles.
Sims (1980) avait déjà mis en évidence le
fait que le taux d'intérêt dominait la masse monétaire dans
l'estimation de l'activité réelle. Il interprétait ce
résultat comme une preuve de la neutralité de la politique
monétaire. Bernanke-Blinder et Friedman-Kuttner s'opposent à
cette interprétation et reprennent la critique formulée par
MacCallum (1983) : le taux d'intérêt est un reflet de la politique
monétaire plus fidèle que les agrégats, le fait qu'il soit
un indicateur avancé de l'activité démontre la non
neutralité de la politique monétaire.
Le pouvoir prédictif des spreads n'a pas une
interprétation économique immédiate, puisque ce sont a
priori des variables artificielles qui n'équilibrent aucun
marché et ne sont pas maniées directement par les
autorités monétaires. Aux Etats-Unis la plupart des
études
3 « Transmission de la politique monétaire et
régime de changes : une comparaison France-Allemagne-Etats-Unis ».
In : Revue de l'OFCE. N°61, 1997. pp. 139-164.
empiriques ont montré que le spread entre taux
des papiers commerciaux et taux des bons du trésor était le plus
significatif. C'est notamment le cas de l'étude de Bernanke (1990), qui
fait une comparaison systématique des indicateurs avancés fournis
par 8 taux d'intérêt et de 5 spreads de taux.
Dans une étude ultérieure, Friedman et Kuttner
(1991) confirment le rôle prédictif des spreads de taux
d'intérêt entre marché des "commercial paper" et
marché des bons du Trésor. Ces spreads ont tendance
à augmenter avant les récessions.
Selon Nubukpo (2002), le canal de transmission du taux
d'intérêt directeur de la Banque Centrale est le suivant : une
modification du taux d'intérêt directeur engendre une variation
des taux bancaires qui influe sur la demande de biens. La modification du taux
directeur entraîne un changement des taux d'intérêt et de
rendement des nouveaux emprunts et des placements. Elle pèse aussi sur
le taux d'une partie des contrats existants et, en conséquence, sur les
flux de revenus et les possibilités de dépenses. La variation du
taux d'intérêt directeur induit également un effet de
valorisation des actifs financiers. Ces différents enchaînements
sont eux-mêmes fonction des structures financières de
l'économie. En outre, la modification du taux directeur a un impact sur
le taux de change (dans les régimes de changes flexibles) et, par suite,
sur les prix relatifs des biens et des actifs selon les devises.
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