2-2-3 : Les autres canaux de transmission
L'étude des canaux peut être
complétée par d'autres développements sur les prix de
différents actifs (devises et actions) et sur les effets d'annonce. Les
monétaristes examinent les mécanismes de transmission dans
lesquels les prix relatifs d'autres actifs et la richesse réelle
transmettent des effets monétaires dans l'économie.
2-2-3-1 : Canal du taux de change
Il joue un rôle non négligeable dans le cadre de
l'internationalisation croissante des économies. Dans un régime
de change flexible, les variations des taux directeurs sont susceptibles
d'induire des fluctuations des taux de change. En agissant sur les prix et la
compétitivité des entreprises nationales, cette modification de
change exerce alors un impact sur l'économie réelle. Toutes
choses égales par ailleurs, une baisse des taux entraîne une
dépréciation du cours de la monnaie, ce qui stimule les
exportations nettes et la production nationale. Cet effet ne se fait ressentir
qu'au bout de quelques années. La diminution des taux rend la monnaie
nationale moins attractive et provoque une sortie de capitaux. La
dépréciation augmente le prix des produits importés et
améliore le commerce extérieur en volume.
L'efficacité de ce canal dépend aussi du
degré d'ouverture des économies au commerce international. Les
effets du taux de change sont moins importants pour une grande zone
21 L'accélérateur financier représente des
mécanismes amplificateurs des cycles qui proviennent de la
présence d'imperfections financières.
monétaire relativement fermée telle que la zone
euro que pour une petite économie largement ouverte.
2-2-3-2 : Canal du cours des actions
Ce canal s'exerce par l'intermédiaire de la théorie
de l'investissement de Tobin (1969)22 et par les effets de richesse
sur la consommation.
D'après l'approche du ratio « q » de Tobin,
la politique monétaire affecte l'économie par le biais de ses
effets sur la valorisation des actions. Une politique monétaire
expansionniste (baisse des taux directeurs) entraîne une hausse du cours
des actions (valeur actualisée) ce qui conduit à une augmentation
du coefficient q et donc des dépenses d'investissement et donc de la
croissance de la production. Le coefficient « q » se définit
comme le rapport entre la valeur boursière des entreprises et le
coût de renouvellement du capital. Un ratio élevé signifie
que la valeur boursière est élevée par rapport au
coût de renouvellement et les nouveaux investissements productifs sont
donc peu onéreux par rapport à la valeur boursière. Les
entreprises peuvent ainsi émettre des actions et en obtenir un prix
élevé. Ainsi, les dépenses d'investissement augmentent
puisque les entreprises peuvent acquérir de nombreux biens
d'équipement en émettant peu d'actions nouvelles. Dans le cas
inverse, quand le coefficient « q » est faible, les entreprises
réalisent peu de dépenses d'investissement.
Un autre canal de transmission du cours des actions agit par
le biais des effets de richesse sur la consommation. Ce canal a
été mis en évidence par F. Modigliani23 dans
son modèle MPS. Les actions constituent une composante majeure
du patrimoine financier. Ainsi, l'augmentation de leur cours accroît ce
patrimoine, donc les ressources globales des consommateurs pendant leur
durée de vie s'accroissent, ce qui entraîne une augmentation de la
consommation et donc de la production.
D'après une étude de la BCE, l'ampleur de
l'incidence sur la consommation dépend de trois facteurs : l'ampleur de
l'exposition directe ou indirecte des ménages aux risques liés
à la détention d'actions par rapport à leur revenu
disponible, leur propension marginale à consommer via les effets de
richesse liés aux actions et la façon dont ils intègrent
les
22 J. Tobin (1969), « A general equilibrium approach to
monetary theory », Journal of Money, Credit and Banking,
feb. N°1, p. 15-29.
23 F. Modigliani (1971), « Monetary policy and consumption
» dans Consumer spending and monetary policy: the linkages, Boston,
Federal Reserve Bank of Boston, p. 9-84
variations des cours de bourse dans leur revenu
permanent24. Il est aussi possible d'intégrer dans l'analyse
le mécanisme de transmission de la politique monétaire agissant
par le biais des canaux des prix des terrains et des logements.
2-2-3-3 : Canal de l'information
Depuis le début des années 90, les banques
centrales prennent en compte un autre canal, celui de l'information. Elles
diffusent des informations que les agents vont ensuite traiter. Dans le cadre
de leurs décisions, les agents y intègrent de nombreuses
anticipations sur la consommation future, les capacités de production
futures, les rémunérations futures... Ils vont faire de la
projection à partir d'indicateurs anticipés comme
l'évolution du PIB estimé, le taux d'inflation estimé. Les
banques centrales vont utiliser des effets d'annonce. Par cette action, la
banque concernée indique aux agents par avance ses intentions. Il s'agit
d'un signal envoyé en direction des agents financiers, et surtout des
agents non financiers. Le message, avant tout effet quantité et/ou prix,
essaye d'influencer le comportement des acteurs économiques. Cette
action permet aussi de rendre plus crédible les actions de la banque
centrale ; elle doit permettre de la renforcer. Il faut noter que la perception
des effets d'annonce est complexe.
Par exemple, comment isoler l'effet de « feed back
», c'est-à-dire l'effet en retour des actions par rapport aux
autres variables ? Un phénomène « d'overshooting effect
» traduit-il une action délibérée des
opérateurs (par exemple, sur les taux longs) avec amplification plus ou
moins fort des résultats attendus ou bien une action propre due à
des facteurs internes (ajustements de portefeuille) ?
Actuellement, nous pouvons dire que l'impulsion des taux
directeurs ne peut plus s'étudier sans intégrer dans l'analyse
les taux longs. Comme le dit M. Aglietta, ils sont devenus
directeurs25, « Ces taux directeurs sont mus par des
anticipations qui n'obéissent pas simplement aux intentions des
autorités monétaires. Lorsque les autorités
infléchissent leur politique, (...), l'incidence sur les taux longs
dépend du jugement des marchés sur le mouvement futur des taux
courts ». Le taux long représente une moyenne des
prévisions relatives aux taux d'intérêt futurs à
court terme (théorie des anticipations). Les agents peuvent très
bien juger l'action à court terme de la banque centrale insuffisante,
donc considérer qu'il n'y aura pas d'effets à moyen et long terme
de cette action et ne pas modifier leurs
24 Bulletin Mensuel de la BCE, « L'importance des effets des
mouvements boursiers sur l'activité économique de la zone euro
», septembre 2002.
25 M. Aglietta, Macroéconomie financière, op.
cit.
anticipations (pas de baisse des taux longs). Les agents peuvent
aussi sanctionner une politique de baisse des taux courts par une augmentation
de la prime sur les taux longs.
2-2-3-4 : Canal du prix des logements
L'effet de richesse et la théorie du q de
Tobin s'appliquent également au marché de l'immobilier. En effet,
selon la théorie de Tobin, une hausse du prix des logements
accroît leur valeur par rapport au coût du renouvellement,
d'où hausse du q de Tobin et augmentation des dépenses
d'investissement sur le marché de l'immobilier. Pour ce qui concerne
l'effet de richesse, une hausse des prix de logement accroît la valeur du
patrimoine d'où hausse de la consommation. En effet, et comme le font
remarquer McLennan et al. (1998), le patrimoine immobilier
représente une part très important dans le patrimoine total net
des ménages : la fluctuation des taux d'intérêt produit
donc des effets notables sur les dépenses des consommateurs, à
travers les changements dans le patrimoine immobilier. Si l'on s'en tient
à une théorie simple en termes de cycle de vie, une augmentation
continue du prix réel des habitations a à la fois un effet de
richesse positif (pour les propriétaires qui occupent euxmêmes
leur logement) sur la consommation de biens non immobiliers, et des effets de
revenu et de substitution négatifs (pour les locataires).
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