3.4. Discussion
3.4.1. Minéralisation du carbone organique
L'apport des matières organiques exogènes dans
le sol a induit un dégagement de CO2 significativement supérieur
à celui produit par un sol sans aucun apport organique. Les
matières organiques exogènes contiennent une concentration en C
organique facilement dégradable qui permet le développement de
l'activité microbienne du sol provoquant un surplus de dégagement
de CO2. Les courbes de CO2 respiré par des sols avec ou sans apport de
produits organiques, conformes à celles obtenues par de nombreux auteurs
avec des expérimentations similaires (Levi-Minzi et al., 1990;
Parnaudeau et al., 2004; Pedra et al., 2007; Thuriès
et al., 2002; Tognetti et al., 2008), présentent un
pic de flux de CO2 au deuxième jour d'incubation qui correspond à
un « flush » de minéralisation liée à l'apport
des produits organiques et à l'humidification du mélange sol et
matière organique (Hermann et Witter, 2002 ; Bernal et al.,
1998 ). Ce flush de minéralisation, observé pour les trois
matières organiques, est significatif à partir des doses d'apport
0.5, 1 et 1.5 respectivement pour les matières organiques terreau,
compost et fumier. En revanche, quelque soit la matière organique
apportée, le flush de minéralisation se situe au même
niveau pour les doses les plus
élevées. On a donc dans un premier temps pour
des apports faibles en terme de C organique une limitation liée à
la qualité de la matière organique puis si l'on augmente la
quantité de C organique une limitation du flux journalier de CO2 qui
n'est pas déterminée par le type de matière organique,
avec un effet de seuil pour des matières organiques du type compost ou
terreau. Il est admis qu'au cours d'une incubation in vitro, le
premier pic de CO2 entre 0 et 48h est une réponse à la
décomposition de composés solubles facilement
décomposables (sucre simple, acide aminé, phénol
soluble...). Un autre processus qui n'est pas pris en compte est le priming
effect tel que le décrive Fontaine et al (2004) qui est
une accélération de la minéralisation de la matière
organique native par l'apport à la suite de l'apport de composés
riches en énergie potentiellement exploitable par les microorganismes.
Par ailleurs, un substrat comportant plusieurs sources de carbone stimule plus
la communauté microbienne qu'un substrat composé d'un seul
composé organique. En d'autre terme, ce ne serait pas la quantité
de carbone organique qui serait mis en jeu au début de l'incubation mais
bien la diversité des sources de carbone organique (Meli et
al., (2003).
La différence dans la composition biochimique entre
fumier d'une part et compost et terreau d'autre part se situe surtout sur la
proportion du compartiment HEM et CEL qui est largement plus
élevée pour fumier et quasiment absent de terreau. Le
compartiment HEM considéré comme faisant partie des
composés facilement minéralisables (Thuriés et
al, 2002) expliquerait la différence de dynamique entre les trois
matières. La quasi absence de composés dans le compartiment HEM
et CEL dans le terreau, et une diversité moindre des sources organiques
expliqueraient le faible flush de minéralisation avec l'apport de
terreau à dose faible.
Avec les doses d'apport organique élevées, les
quantités de composé facilement minéralisable augmentent.
Or, le flux CO2 apparaît être limité même pour des
apports conséquents. Ceci indiquerait une limitation de
l'activité microbienne. Plusieurs hypothèses explicatives peuvent
être émises. La minéralisation des matières
organiques serait limitée par les microorganismes eux-mêmes, ne
pouvant notamment pas fournir suffisamment d'exoenzymes nécessaires
à la dégradation des composés organiques. Manzoni et
Porporato (2007) ont montré l'intérêt d'introduire dans les
modèles mathématiques de minéralisation de la
matière organique à la fois un facteur intrasèque de
décomposabilité des matières organiques mais
également un coefficient simulant une limite de cette
décomposabilité par la biomasse microbienne. Ceci est, selon ces
auteurs, d'autant plus important pour une simulation de la dynamique à
des petites échelles de temps et d'espace. La disponibilité en
nutriments est nécessaire au développement de la biomasse
microbienne. L'azote est le nutriment le plus pris en compte dans les
modèles de dynamique des matières organiques. Le fumier et le
terreau contiennent très peu d'azote minéral, ce qui peut
contraindre la croissance microbienne. En revanche, le compost comparativement
au terreau est plus riche en azote minéral pouvant ainsi accompagner le
développement des microorganismes bien que ces deux matières
présentent
une qualité organique proches notamment dans les
composés les plus difficilement minéralisables. L'effet de
l'apport « massif » de matières organiques a pu modifier les
interactions entre les matières organiques apportées et le sol.
On peut ainsi émettre l'hypothèse que l'augmentation des apports
organiques accentuerait le phénomène de priming effect.
Ainsi, après un certain seuil d'apport, les quantités de
composés organiques riches en énergie seraient alors suffisantes
pour enclencher une activation de la biomasse microbienne s'attaquant à
la matière organique native du sol, et de manière concomitante
les flux de CO2. Il est également possible que les microorganismes
contenus dans les matières organiques apportées pourraient
prendre de l'importance et interagir avec ceux issus du sol. Fontaine et Barot
(2005) ont montré l'importance de la prise en compte de la
diversité microbienne dans les modèles de dynamique des
microorganismes du sol. Enfin, les conditions environnementales dans le
mélange sol et matière organique ont pu agir sur la
minéralisation du carbone organique. Notamment l'apport d'un
composé riche en éléments non organiques comme terreau a
pu changer les conditions d'humidité du mélange et agir sur
l'activité microbienne.
Au-delà du deuxième jour, les flux de CO2 ont
diminué et se sont maintenus à un niveau pratiquement constant
jusqu'au 60ème jour d'incubation quelque soit le sol
incubé et la matière importée. Cependant quelque soit la
matière organique, le flux de CO2 est supérieure au flux
mesuré avec le sol sans apport. Avec fumier, il existe une
corrélation positive entre le flux de CO2 et la quantité de
matière organique apportée, alors que pour les autres
matières organiques, l'effet dose sur le flux de CO2 est limité.
Cette période au cours de l'incubation permet l'établissement
d'un équilibre entre microorganismes et matières organiques du
sol plus ou moins utilisables (Kuzyakov et Bol, 2006). Le fumier est la
matière qui contient les proportions les plus importantes de
composés minéralisables (HEM et CEL) qui peuvent maintenir un
flux de CO2 relativement élevé, et proportionnel à la
quantité de matières présentes. Le compost et le terreau
apportent proportionnellement plus de composés difficilement
minéralisables, ce qui accélèrerait le déclin de
l'activité microbienne.
Taux de minéralisation de carbone
Dans cette étude, deux observations concernant
l'évolution du taux de minéralisation en fonction de la
quantité de carbone organique apportée ont été
faites.
· A la dose la plus faible (0,5), les taux de
minéralisation sont identiques quelque soit le type de matière
organique.
· Puis si on augmente la dose d'apport, et quelque soit
la matière organique, le taux de minéralisation diminue avec les
quantités apportées ; les matières les plus stables
présentant des diminutions du taux de minéralisation les plus
importantes.
Si l'on considère que le taux de minéralisation
est lié à la quantité de carbone facilement
minéralisable, et que cette part facilement minéralisable soit
effectivement totalement minéralisée, on devait s'attendre
à ce que le taux de minéralisation soit constant quelque soit la
quantité apportée. Or, les résultats ont montré,
bien que les quantités de CO2 dégagées augmentent, le taux
de minéralisation diminuent en fonction de la quantité de
matière organique apportée quelque soit le type d'apport
organique. On a donc un déficit de minéralisation au fur et
à mesure que la quantité de matière organique
apportée augmente. Busby et al (2006) ont obtenu des
résultats similaires dans le cas de déchets d'ordure
ménagère non compostées et associées à un
sol riche en carbone et en azote organique, comparativement à des
déchets organiques compostées ou si les matières
organiques sont apportées à un sol avec une faible teneur en
matière organique native. Pour ces auteurs, l'augmentation de la
matière organique implique des besoins croissants en azote, qui s'ils ne
sont pas en quantités suffisantes limiteraient la croissance microbienne
et la minéralisation du carbone organique. La minéralisation des
matières organiques est un processus qui met en jeu des microorganismes
qui sont consommateurs d'une ressource organique. Cette ressource leur apporte
de l'énergie (liaison carbonée) et des éléments
minéraux (par exemple l'azote), dans un environnement qui peut
influencer sur les vitesses de réaction chimique (humidité,
température, pH).
Dans cette expérimentation, l'activité
microbienne est un facteur limitant la respiration à un certain seuil
malgré l'augmentation de la matière organique
minéralisable. Pour manure, la quantité de biomasse microbienne
apportée par la matière (1577 ug biomasse C. g sol-1)
est suffisante pour dégrader le carbone organique quelque soit la
quantité de carbone organique apporté mais l'activité
microbienne est extrêmement limitée par la disponibilité
d'azote minéral. Pour le terreau, la quantité de biomasse
microbienne apportée par la matière est faible (30 ug biomasse C.
g sol-1), par ailleurs, pour les deux matières
compostées, (terreau et compost) les composées organiques sont
humifiées, la croissance microbienne est limitée par la
disponibilité des sources carbonées.
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