3. ELEMENTS CONCEPTUELS DE L'APPROCHE THERAPEUTIQUE
LACANIENNE
La théorie des thérapeutes construit la pathologie
qu'ils soignent.
L'approche théorique psychanalytique lacanienne de
l'autisme est à l'origine nous l'avons vu de la conception des troubles
des enfants accueillis.
Elle est également à l'origine des grands principes
thérapeutiques qui guident la prise en charge thérapeutique des
enfants atteints d'autisme ou de psychoses aux Dominos.
· L'inconscient structuré comme un
langage
Dans l'interprétation des rêves et dans
psychopathologie de la vie quotidienne, FREUD montre que les formations de
l'inconscient que sont les rêves, les lapsus, les actes manqués et
les symptômes ont en commun d'être des constructions
langagières.
Ils sont construits comme des rébus et donc lisibles
à condition de se détacher du sens des images et d'écouter
leur enchaînement phonétique.
FREUD explique les mécanismes de déplacement et
de condensation qu'utilisent les désirs interdits pour se figurer en
rêves et en symptômes. LACAN montre que ces mécanismes
sont
respectivement les mécanismes analogiques des figures
langagières que sont la métaphore9 et la
métonymie10.
Un désir interdit va donc pouvoir utiliser un
élément phonétique commun entre deux noms pour se
déplacer par exemple de la personne aimée vers un autre
personnage dans le rêve... Ainsi, les symptômes étant
construits par ces jeux d'association, la vérité dont ils sont le
déguisement pourra être accessible par la technique
psychanalytique de l'association libre...
· Besoin / Désir / Demande
LACAN a développé les concepts de Besoin
-Désir -Demande.
Il les distingue ainsi : « Le désir
s'ébauche dans la marge où la demande se déchire du besoin
»11.
Ainsi, si le désir paraît se référer
à un objet, c'est toujours au prix d'une illusion car il est en
réalité relation à un manque.
Pour l'autiste, le désir de l'autre représente
une menace : il doit donc se maintenir à distance pour ne pas être
englouti dans ce désir L'enfant autiste ne veut même pas
apercevoir que l'autre aurait un désir...
Aussi importe t'il d'assurer à l'enfant une
présence absente de tout désir : « une présence
absente » qui est la seule possibilité pour que l'enfant vienne
chercher l'autre qui ne lui demande rien mais qui est là...
Lors des séances de groupe thérapeutique, les
soignants ne proposent pas d'activités aux enfants. Ils les laissent
aller prendre l'objet vers lesquels leur désir les porte sans
interférer sur ce choix ni sur la façon d'approcher ou de se
saisir de cet objet. Ainsi l'enfant n'attend pas du propre désir de
l'adulte soignant mais se retrouve face à son désir(ou son
absence de désir...).
Il paraît important pour des raisons à la fois
éthiques et thérapeutiques de ne pas substituer notre propre
désir à celui de l'enfant ; de respecter le désir de
l'enfant et son analyse en tant que révélateur de sa
subjectivité.
Si la plupart des soignants guident leur thérapie de ce
grand principe, certains m'ont semblé plus dogmatiques dans cette
approche.
Pourtant, une trop grande neutralité du soignant
entraîne quelquefois une pauvreté des interactions enfant/soignant
qui peut poser la question des effets produits sur l'enfant en pleine
période de développement.
9 Métaphore : Cette figure de
rhétorique est une comparaison incomplète. Le comparé est
donné est donné ainsi que le comparant(parfois juste
suggéré) mais il n'y a pas d'outil de comparaison.
Il appartient alors au lecteur de retrouver les analogies qui ont
permis le rapprochement : couleur, forme, apparence, activité,
caractéristiques...
Exemple: « Ma jeunesse ne fut qu'un
ténébreux orage traversé ça et là de
brillants soleils » Baudelaire (1857), Les fleurs du mal
,L'ennemi.
10 Métonymie : Figure
de rhétorique qui consiste à remplacer un mot par un autre ayant
avec lui une relation de contiguïté (proximité), ou une
relation logique (contenant/contenu ; cause/effet ; lieu/personne...)
Exemple : « une fine lame » désignera un
escrimeur habile ; dans « Paris s'éveille », le nom de la
ville désigne ses habitants.
11 LACAN,J.(1966 )Ecrits, Paris, ed. du Seuil p 814
· Stade du miroir
En 1936, Jacques LACAN donne une conférence dans laquelle
il va développer ce concept de stade du miroir qui est un concept
central de sa théorie.
Lacan s'appuie sur une observation : l'enfant
(étymologiquement infans : l'enfant qui ne parle pas encore),
encore immature sur le plan moteur ne ressent pas l'unité de son corps.
Lorsqu'il remarque son image dans le miroir, il cherche à l'identifier.
Quand il saisit que cette image a un rapport avec lui, il se retourne vers
l'adulte pour lui demander confirmation. La réponse de la mère
est alors déterminante : en répondant «oui, c'est toi
Julien, mon fils» elle permet à l'enfant d'accéder
à l'unification de l'image de son corps, jusque là
morcelé. Dans le même temps, elle le fait entrer dans le
symbolique, dans le monde des contraintes imposées par le fait de parler
: «la matrice symbolique où le Je se précipite». La
mimique jubilatoire que présente alors l'enfant signifie
l'identification de son image à son prénom prononcé par
l'adulte.
Ce tissage de l'image et de la parole ne nécessite pas un
miroir : ce qui compte, c'est le regard et la parole de l'Autre.
Lacan montre le pouvoir structurant de l'image et de la parole en
définissant les registres correspondants, l'imaginaire et le
symbolique.
· Réel / Symbolique / Imaginaire
(RSI)
Lacan distingue ces trois ordres dans son séminaire du 18
novembre 1975: « Le sinthome ».
Il donne la primeur au Symbolique : le Réel n'en
étant qu'un au-delà indicible tandis que l'imaginaire n'en serait
qu'un en deçà en ce sens que toutes les manifestations de
l'Imaginaire sont explicables et déterminées par le
Symbolique.
A la différence de FREUD qui restreint l'usage et
l'interprétation des symboles à une partie très
limitée de la psychanalyse et qui fait correspondre aux symboles des
significations très stéréotypées, LACAN donne une
extension prodigieuse à la symbolique tenant quasiment l'inconscient
pour réductible à la fonction symbolique.
Quelque chose de l'Imaginaire, du Symbolique fait que nous ne
sommes pas pénétrés du regard de l'autre ; nous pouvons
refouler. Ceci ne fonctionne pas chez l'enfant autiste qui ne peut rien
refouler, rien « laisser tomber »...N'ayant pas accès au
symbolique, l'enfant autiste n'a pas pu construire sa représentation
lui-même ; son rapport au monde est donc toujours du réel, il
traite tout le réel !
J'ai assisté à plusieurs ateliers « Contes
» à l'hôpital de jour « La Pomme Bleue ».
A chaque séance, un conte très connu était
raconté à un groupe d'enfants qui écoutaient puis chaque
enfant était invité à choisir de jouer le rôle d'un
personnage du conte.
Lors de la séance du conte «Le loup et des trois
petits cochons», au seul mot de «loup», les enfants autistes ou
psychotiques étaient extrêmement effrayés. Certains
venaient se blottir un peu plus contre les adultes et on pouvait sentir leur
corps pétrifié trembler. Au moment de jouer la scène il se
produisait des mouvements de panique générale quand l'enfant qui
jouait le rôle du loup s'approchait des maisons des enfants qui jouaient
le rôle des 3 petits cochons...
Ainsi pour ces enfants, le langage peut être terrifiant .En
effet, pour eux, le mot ne représente pas la chose : le mot est la chose
!
Les soignants tentent de permettre l'accès manquant au
symbolique, à la métaphore et répètent souvent
« il fait comme le loup dans l'histoire mais ce n'est pas le loup
»
Ces enfants n'ont pas accès à la métaphore
langagière.
Dire à un enfant « secoue-toi un peu » sera pris
le plus souvent à la lettre par l'enfant qui va secouer son corps sans
qu'on ne puisse plus l'arrêter !
Le soignant doit donc prendre conscience de l'impact de ses
propres métaphores langagières dans la communication avec ces
enfants et éviter d'utiliser un mode de communication trop
métaphorique.
· Le Nom-du-Père
Au sujet de l'enfant dans sa famille, LACAN aborde le cas
où le problème de l'enfant correspond à la «
subjectivité » de la mère. L'enfant est alors exposé
à tous les fantasmes de sa mère : si la fonction paternelle n'a
pas été médiatisée dans sa relation à son
enfant, si au moment du stade du miroir, elle n'a pas convoqué le
signifiant fondamental, le Nom-du-Père qui peut faire coupure dans sa
relation charnelle avec son enfant, alors l'entrée de l'enfant dans le
langage n'est pas assurée.
Le registre imaginaire n'est pas noué au registre
symbolique, le symbole ne vient pas permettre l'absence de la mère. Dans
ce cas l'intervention du psychanalyste est difficile, il va s'agir d'une
intervention dans une relation d'image à image, dans laquelle il n'y a
pas eu de médiation, où le Je n'a pu émerger.
« La distance entre l'identification à
l'idéal du Moi et la part prise du désir de la mère, si
elle n'a pas de médiation (celle qu'assure normalement la fonction du
père) laisse l'enfant ouvert à toutes les prises fantasmatiques.
Il devient l'objet de la mère et n'a plus de fonction que de
révéler la vérité de cet objet. L'enfant sature en
se substituant à cet objet le mode de manque où se
spécifie le désir de la mère qu'elle qu'en soit la nature
spéciale : névrotique, perverse ou psychotique. »
(LACAN, 1966)
Pourquoi l'enfant autiste ou psychotique a t'il un rapport si
compliqué à ce qui l'entoure ? Probablement car il s'agit de la
psychose : l'enfant psychotique n'a pas accès au Nom-duPère, au
symbolique, à la signification phallique, à ce qui donne sens et
structure tout notre environnement.
· Jouissance
« En même temps que le sujet cherche son
plaisir en le limitant, le sujet tend non moins constamment, à
dépasser les limites du principe de plaisir. Il n'en résulte pas
pour autant le plus de plaisir attendu, car il est un degré de plaisir
que le sujet ne peut plus supporter, un plaisir pénible que jacques
LACAN appelle la jouissance dans le livre VII du séminaire. La
jouissance n'est pas le plaisir ; elle peut même être souffrance.
» (CLERO, 2002)
LACAN nomme « pulsion de mort » le
désir constant de dépasser les limites fixées par le
principe de plaisir afin de rejoindre « La Chose » et de et de gagner
par-là un surplus de jouissance. La jouissance est alors le «
chemin vers la mort ».
« La Chose » :« das Ding
» en allemand, étant l'objet qui « aimante » le
désir bien que le terme d'objet ne soit inadéquat. En effet,
tout objet de désir ne pouvant être comme nous
l'avons vu précédemment qu'un leurre, une
illusion. Nous ne faisons qu'imaginer que nous désirons tel ou tel
objet. En réalité, le désir, à travers les objets
dont il paraît en quête, ne cherche jamais que « la Chose
»dont il n'aura jamais aucune représentation, qui n'est pas un but,
puisqu'il ne sera jamais atteint mais autour duquel tout ne cesse de
tourner...
La stéréotypie a pour fonction de soutenir
l'enfant autiste dans son existence. Elle représente pour lui une
solution pour traiter les choses de son environnement. Elle serait
l'équivalent de ce qu'est le symptôme pour le
névrosé. Si nous souhaitons que l'enfant autiste cesse ses
stéréotypies, nous lui enlevons la possibilité qu'il a
trouvé de traiter les choses...
La stéréotypie n'est donc pas un « tic »
à faire disparaître : par elle , l'enfant tente d'être
séparé de la jouissance...
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