II.2 Problèmes au niveau des données
sociales
Les indicateurs du risque social en hausse (taux
d'absentéisme élevé, conflits, accidents de travail, ...)
étaient immédiatement perceptible. Par exemple, on pouvait
rencontrer certains employés en train de prendre une bière sur la
terrasse d'un snack bar de la ville d'Edéa, alors qu'ils devaient se
trouver sur les chantiers à ce moment précis. Des
opérateurs arrivaient fréquemment saouls sur les chantiers, alors
même que les dangers de risques électriques étaient
omniprésents, et, représentés par des panneaux avec des
têtes de morts et des éclairs. On assistait à des bagarres
sur les chantiers parmi les opérateurs. Les insultes et menaces de mort
étaient monnaies courantes entre opérateurs et chefs
d'équipes. Par exemple, on nous a fait état d'un conflit entre un
chef d'équipe, faisant partie de la parentèle, et le responsable
technique. La demande d'explication adressée, a été
déchirée par le chef d'équipe avec moult menaces à
l'endroit du responsable technique en sa présence. On peut aussi relater
le conflit survenu entre un membre de l'encadrement et un opérateur. Ce
dernier, originaire de la ville de Nanga Eboka a vertement menacé son
supérieur de le faire mourir en trois jours, après un
séjour au village34. L'interaction entreprise-famille
semblait poser un problème à ce niveau.
Aucun mécanisme de gestion de conflit officiel, tel que
le conseil de discipline n'existait au sein de l'entreprise. On
découvrait néanmoins dans la documentation de l'entreprise,
quelques sanctions écrites : mise à pied, mise en garde. Le
licenciement ou la sanction n'intervenant qu'à un stade avancé de
l'infraction susceptible de mettre en danger la survie de l'entreprise. Le cas
le plus frappant pour illustrer ce phénomène est sans doute,
celui d'un Sous Directeur, licencié en 2002. Ce dernier, a
profité d'un voyage à l'étranger de la gérante pour
mettre les employés en chômage technique, et signifier à
l'entreprise donneuse d'ordre l'arrêt total des activités de la
SMF. Il avait préalablement constitué les dossiers d'une
entreprise à son nom, dans le but de reverser les employés et les
marchés de l'entreprise dans son giron. Ce n'est qu'après un
mouvement d'humeur des employés, que ce dernier a été
licencié.
Les membres de l'encadrement technique étaient pour la
plupart démotivés. Le propriétaire dirigeant se plaignait
d'ailleurs à ce sujet de l'absentéisme quasi-permanent du
responsable technique principal, avec pour conséquence un laisser-aller
au sein des équipes.
Un groupe d'employés permanent du service technique, a
rencontré en fin d'année 2005, le Directeur Technique ALUCAM,
pour lui faire mention de l'irrégularité des salaires et des
retards de paiement.
Les relations avec les institutions étatiques telles
que l'administration fiscale et la Caisse Nationale de Prévoyance
sociale (CNPS) étaient tendues. En effet, en regardant la
documentation
34 Les populations de cette localité du
Cameroun, aurait semble t-il des dons innés dans la sorcellerie.
de l'entreprise, on retrouvait par exemple, de novembre 2005
à mars 2006 des lettres de mises en demeure adressées par le
Receveur des Impôts de la localité. On y lisait : « Par
avis de mise en recouvrement N°XXX du X le montant des impôts mis
à votre charge a été porté à votre
connaissance suivant le détail ci-après XXX. Cette dette à
ce jour étant demeurée sans effet, je vous enjoins de
procéder sans délai au paiement des impôts sus
évoqués aux fins de mise à jour du dossier fiscal y
relatif. A défaut je me verrai contraint, dans les 48 heures qui suivent
réception de la présente mise en demeure, de procéder
à la saisie et à la vente de vos biens sans autres
formalités. La présente mise en demeure vaut commandement.
». On constatait que depuis quelques mois l'entreprise ne
réglait plus ses charges sociales et fiscales de manière
régulière. Les bureaux du siège social ont
été scellés à plusieurs reprises.
Au niveau de la direction de l'entreprise, l'âge de la
gérante (64 ans) et son niveau de formation (CAP couture) semblaient
constituer un handicap par rapport à la réactivité de
l'entreprise face à ces difficultés. La gérante nous
disait à propos de son âge : « mes pieds ne me permettent
plus de monter les escaliers pour me rendre au bureau du Directeur Technique
ALUCAM pour résoudre les problèmes qui se posent actuellement
». En outre, cette dernière possédait un CAP en couture
obtenu en 1982, elle n'avait jusqu'ici suivi aucune formation en management.
Différentes études sont arrivées à la conclusion
que l'âge est un facteur influençant le comportement du dirigeant,
et par conséquent, le succès ou l'échec dans la gestion
d'une entreprise (Lalonde, 1985)35. La période entre 25 et 40
ans serait celle ou l'individu acquiert assez d'expérience, de
compétence, une maîtrise de soi, pouvant l'amener à prendre
plus de risque.
B. Duchéneaut (1996) trouve que la formation n'est pas
fondamentale dans l'acte de création, mais qu'elle devient ensuite un
facteur déterminant de succès pour une entreprise
créée. Dans notre cas d'étude, la formation et
l'expérience du fondateur ont été fondamentales dans la
création de la SMF. Ce dernier ayant terminé sa brillante
carrière à l'usine ALUCAM comme contremaître, après
avoir suivi plusieurs formations en soudure et chaudronnerie industrielle
notamment au Pays Bas. L'absence de formation et d'expérience de la
gérante ne permettait apparemment pas à l'entreprise de s'adapter
aux mutations en cours dans son environnement. Les rapports de certaines
études indiquent que deux tiers des entrepreneurs qui réussissent
avaient déjà une expérience dans leur secteur (B.
Duchéneaut, 1996).
En outre, la géographie du pouvoir semblait
pêcher par excès de centralisation et l'absence de contre-pouvoir.
On remarquait aisément que la gérante prenait des
décisions sans consulter les actionnaires. Une assemblée
générale des actionnaires ne s'était jamais tenue. La
gérante informait généralement ses enfants par
téléphone ou de vive voix sur les difficultés en cours.
L'irrationalité
35 Voir les recherches de Mayer et Goldstein
(1961), Shapero (1971), Cooper (1973), cité par Claude Lalonde (1985)
Caractéristiques et pratiques de management des
Propriétaires- dirigeants dont l'entreprise a été mise en
faillite : une étude en contexte régional au Québec.
Thèse : faculté des sciences de l'administration,
université de Laval.
des circuits relationnels de l'entreprise ouvrait une voie
royale au vieux principe « diviser pour mieux régner ».
L'arbre à palabre et la communication informelle étaient
omniprésents. Il était possible d'entendre ça et
là, « il paraît que », « nous avons
entendu que », « un tel à dit que ». Pour
gérer ces rumeurs et les cas d'indisciplines, la gérante
convoquait généralement, le mis en cause, les membres de
l'encadrement, l'épouse de l'intéressé ou des membres
influents de la famille de ce dernier, et toutes les personnes de son entourage
présents au moment de la rencontre. Il était possible de voir le
chauffeur de la gérante assisté à des réunions
sensibles de direction, ou, relatives à la gestion de conflits
individuels du personnel.
A cela s'ajoutait un organigramme flou, ce qui rendait difficile
la détection des circuits opérationnels réels.
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