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Culture et progrès chez Hegel

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par Céline Ko Tine
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maitrise 2011
  

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3- L'impact de la violence dans la pensée hégélienne

En partant de la considération de certaines notions dans le système hégélien, il convient de mentionner que la violence apparaît essentielle dans le cours de l'histoire comme en atteste la lutte qui oppose les deux consciences et par-delà même, on voit qu'elle est au fondement de toute la pensée hégélienne. En effet, le thème de notre problématique permet de voir que chez Hegel, on ne peut pas parler de culture et de progrès en faisant abstraction de ce principe qu'est la violence.

Si nous observons bien le processus de développement de l'histoire, on se rend compte que la violence figure ce principe qui a ponctué le déploiement de l'esprit. Par rapport à notre préoccupation, il faut dire que cette notion peut être considérée comme particulièrement important, qu'elle occupe une place capitale dans le système hégélien dans la mesure où elle permet de saisir le sens de la notion de culture et son mode de progrès. C'est dans cette perspective qu'on peut comprendre le processus de développement de l'esprit vers sa propre réalisation.

De ce fait, plusieurs passages dans le corpus hégélien tentent de montrer le rôle et la place de la violence dans la réalisation de la fin absolue. Cela étant, le fait que Hegel inscrive celle-ci dans le cours méme de l'histoire humaine doit-il pousser à considérer l'auteur de la PhénoménoloJHeEdeEl)eJSrHt comme un partisan de la terreur ou comme celui qui se glorifie de l'avènement de la violence. Chez Hegel, la violence constitue non pas une source de glorification, mais elle apparaît comme un fait indéniable qui caractérise l'histoire et la réalité humaines et qu'il essaie d'expliciter et d'insérer dans son système.

S'il en est ainsi, on comprend dans une certaine mesure, l'évocation chez Hegel de la rationalité dans le cours l'histoire comme nous l'avons mentionné plus haut. La lecture qu'il fait de l'histoire apparaît tout de méme cohérente dans la mesure où il développe l'idée selon laquelle, au fond de la violence et de la négativité, il y a le positif qui se cache. Le recours à la violence dans le cours de l'histoire s'inscrit toujours dans la volonté de changer une situation donnée qui n'est

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pas convenable pour l'homme. Du point de vue de la démarche hégélienne, cela doit apparaître comme une leçon de vie pour l'homme dans la mesure où il peut recourir au combat et à la lutte quand la nécessité se fait sentir. Le chemin vers la vérité c'està-dire le processus de culture de l'esprit peut certes être pénible, mais il parvient tout de même à surmonter les contradictions.

C'est pour montrer le caractère chaotique dans l'évolution de l'histoire que Bernard Bourgeois écrit : « l'histoire comporte en elle un négatif inéliminable. Elle est le lieu du malheur, des crises, et des drames; ce négatif est même, par son autonégation, le moteur de la réalisation du positif74. » En d'autres termes, on ne peut pas séparer l'histoire de la violence, du négatif et des drames dans la mesure où ils constituent la source même du progrès. Cette considération se justifie par le fait qu'il n'y a pas véritablement de violence au sens destructeur du terme dans l'histoire puisque tout ce qui se passe trouve une justification, c'est-à-dire que tout est régi par un principe divin. En d'autres termes, la violence dans le cours de l'histoire obéit à une logique en ce sens qu'elle participe même à la formation, à la culture de l'esprit et qu'elle est source de progrès. C'est par ce procédé que l'on parvient à saisir le déploiement de l'esprit vers sa affirmation.

La réalisation de l'esprit dans l'histoire apparaît semblable à l'épreuve du Christ qui s'effectue à travers différentes étapes avant de connaître la gloire. La pertinence de cette référence réside dans le fait que, à travers la métamorphose qui s'est produite, on se rend compte que c'est seulement par cette épreuve que le Christ a pu s'élever à la gloire. Aussi, la conscience et même l'humanité dans leur ensemble doivent-elles impérativement passer par ce chemin de croix sinueux et tumultueux avant d'accéder à la véritable réalité.

Ainsi, le tragique, tel que formulé dans l'histoire, peut etre assimilé à la logique de la vie divine, c'est-à-dire à partir de la mort et du dépassement de cette mort pour se retrouver dans la réalité absolue. C'est ce qui justifie dans une certaine mesure ces propos de Hegel : « de la mort renaît une vie nouvelle [...]. L'esprit

74 B. Bourgeois, Hegel : in vocabulaire de philosophes, Philosophie moderne (XIXe siècle), Ed. Ellipses, 2002, p. 194.

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réapparaît non seulement rajeuni mais plus fort et plus clair75. » Cet esprit qui réapparaît a, durant son processus, subi de terribles épreuves, consistant à s'extérioriser, à se nier soi-même pour ensuite se retrouver, mais en devenant autre que ce qu'il était comme nous l'avons vu dans l'expérience de la conscience.

C'est ce processus de négation-récupération comme nous l'avons vu dans le rapport entre les deux consciences qui, au fond, fait progresser l'esprit vers son affirmation. La mort et la résurrection du Christ illustrent de manière explicite l'impact de la violence dans le déploiement de l'esprit vers le savoir absolu. On voit donc par là que Hegel s'est profondément inspiré de la religion, particulièrement du Christianisme dans la conception de sa dialectique contrairement à certains philosophes comme Kant, Voltaire, D'Holbach, Helvétius entre autres qui ont mené une lutte farouche contre la religion réduisant à néant toute référence d'ordre divin.

Voilà pourquoi, à cause de cette importance accordée à la violence, la Révolution française constitue pour lui un moment historique, un événement exceptionnel où l'universel cesse d'être une simple abstraction et devient effectif à travers l'action de l'homme. L'avènement de la Révolution française fut la résultante d'une longue conquête spirituelle qui a débouché sur la Déclaration des droits de l'homme. Cet évènement fut donc considéré, selon les mots de Hegel, comme « un superbe lever de soleil. Tous les titres pensants ont célébré cette époque. Une émotion sublime a régné en ce temps-là, l'enthousiasme de l'esprit a fait frissonner le monde, comme si et ce moment-let seulement on en était arrivé et la véritable réconciliation du divin avec le monde76 », car l'esprit s'était enfin retrouvé malgré tous les tumultes qu'il avait traversés.

S'il en est ainsi, on comprend parfaitement que l'on ne saurait parler de culture ou de formation mais aussi de progrès chez Hegel sans cette notions de violence. Par là, on voit bien qu'il s'érige contre ceux qui prône la passivité dans l'histoire au sens où la violence renverrait à la destruction ou à l'anéantissement. En faisant mention de cette apparence chaotique de l'histoire, il constate toutefois qu'

75 G.W.F. Hegel, La raison dans l'histoire, Paris, UGE (Coll. « 10/18 »), 1965, p. 54.

76 G.W.F. Hegel, Leçons sur la philosophie l'histoire, Trad. de J. Gibelin, Paris, Vrin, 1945, p. 340.

« il est déprimant de savoir que tant de belle vitalité a dû périr et que nous marchons sur des ruines Le plus noble et le plus beau nous fut arraché par l'histoire. Les passions humaines l'ont ruiné Tout semble voué à la disparition, rien ne demeure. Tous voyageurs ont éprouvé cette mélancolie. Qui a vue les ruines de Carthage, Palmyre, Persépolis, Rome sans réfléchir sur la caducité des empires et des hommes, sans porter le deuil de cette vie passée puissante et riche77. » Quand on observe, de nos jours, le cours de l'histoire, le décor qui s'offre á nous peut paraître déconcertant á cause des grands bouleversements et des destructions qui s'y produisent. A y regarder de près, tout semble n'avoir aucun sens.

Ainsi, il arrive parfois qu'on s'indigne face à l'ampleur de la violence perceptible dans certaines contrées au point de discréditer même cette notion dans la mesure où lorsqu'on en vient à la présence de celle-ci dans l'histoire et à sa nécessité, la question qu'on peut se poser est la suivante : est-il nécessaire de passer par ces atrocités et ces destructions pour accéder á la véritable réalisation ? Quand on constate tous ces sacrifices, on considère que c'est dans le seul but de réaliser un objectif précis qui, d'une certaine manière, ne peut etre obtenu que par cette procédure.

Mais, par delá cette apparence dévastatrice, il y a une raison qui explique ce processus et qui permet de saisir la portée d'une telle notion dans l'histoire. Il convient de préciser que l'histoire n'est pas seulement le lieu des guerres et des drames et Hegel en est parfaitement conscient. Sous cet angle, il faut comprendre que l'essence véritable de celle-ci ne peut etre saisie qu'en faisant abstraction de son apparence chaotique et c'est seulement à partir de là qu'on parviendra à percevoir sa propre rationalité. Cela nous permet aussi de voir le véritable processus qui se dégage du cours de l'histoire et nous autorise à dire qu'il n'y a rien de contingent et d'anarchique par rapport à cette question. C'est la raison pour laquelle on ne peut pas concevoir cette problématique de la culture et du progrès sans cette notion de violence car se serait se méprendre sur le rôle et la place

77 G.W.F. Hegel, La raison dans l'histoire, Paris, UGE (Coll. « 10/18 »), 1965, p. 54.

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qu'elles occupent dans le processus de culture de l'esprit comme cela apparaît dans la démarche dialectique de l'histoire universelle.

Si on se réfère à la logique de la méthode de Hegel, on se rend compte que l'esprit ne parvient à sa réalisation que dans et par la violence et l'exemple du rapport entre les consciences constitue une parfaite illustration. Cela revient à dire que dans ce cas précis, la violence a toujours été à l'origine de changement de situation, changement qui s'est soldé par un véritable progrès. En se référant au schéma hégélien, nous pouvons effectivement voir que la trajectoire de l'histoire repose sur la dualité apparente de la construction et de la déconstruction. Ce faisant, ces grands bouleversements dans le cours de l'histoire conduisent certains penseurs à considérer la violence comme étant la source de tous les maux qui assaillent l'humanité.

Mais, en se focalisant seulement sur l'apparence des événements, on risque de passer à côté de l'essentiel de la pensée hégélienne, c'est-à-dire de ne voir que le revers de la médaille, autrement dit l'autre face qui ne présente que le côté de la négativité. Par ailleurs, pour une meilleure compréhension, il faut considérer que la violence dans la pensée hégélienne n'est pas synonyme de destruction et d'anéantissement. Ce qui veut dire que dans la prise en charge de la problématique de la culture et du progrès chez Hegel, on ne peut pas passer sous silence l'impact et la portée de la violence dans le progrès de l'histoire universelle. On voit par là toute l'importance que requiert une telle notion dans sa pensée. Par delà toutes ces considérations, la conséquence qu'on peut en tirer c'est que pour comprendre l'évolution de l'esprit dans le cours de l'histoire universelle, il faut nécessairement prendre en compte cette notion de violence qui joue un rôle essentiellement important. Dans cette perspective, on voit alors qu'il est illusoire de penser les notions de culture et de progrès sans cette idée de violence.

Par-delà même, la conclusion qu'on eut en tirer c'est qu'on ne peut pas concevoir l'idée de progrès dans l'histoire universelle en dehors de la violence. Il convient alors de dire que la violence au sens destructif du terme n'intéresse en aucune manière mais plutôt celle qui promeut le progrès dans le cours de l'histoire et qui apparaît fondamental qui est à considérer ici. Ce qui revient à dire que tout le progrès dans l'histoire repose en dernière instance sur la violence. Compte tenu de

toutes ces considérations, nous pouvons dire que dans la prise en charge des notions de culture et de progrès chez Hegel, il faut prendre en compte un certain nombre de concepts pour pouvoir saisir l'essentielle de sa pensée.

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore