CONCLUSION
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En consacrant notre mémoire à la question de la
culture et du progrès chez Hegel, notre objectif était tout
d'abord de montrer comment, l'auteur de la Phénoménologie de
l'esprit a analysé le développement
phénoménologique de la conscience. Ainsi, dans le souci
d'apporter des éclaircissements à cette problématique,
nous sommes efforcés de voir la manière dont il a décrit
la trajectoire du parcours de la conscience.
La particularité de la démarche
hégélienne réside dans le fait que le processus de culture
de la conscience est une épreuve en ce sens que le négatif, la
contradiction, la violence sont les éléments qui ponctuent cette
marche. Ce qui apparaît un peu sensible dans la prise en charge d'une
telle problématique, c'est de montrer comment la violence et la
tragédie peuvent être source de progrès. Comment expliquer
le fait que ce soit à travers ces notions que la conscience parvienne
à sa vérité qui est l'universel et que c'est par ce
procédé qu'il progresse vers son affirmation ?
C'est là que l'on trouve toute l'originalité et
la spécificité de la pensée hégélienne. De
ce fait, c'est cette originalité que l'on essaie de mettre en exergue
dans son système philosophique. Voilà pourquoi, pour saisir
l'essence de la pensée de Hegel sur une telle problématique, il
faut considérer la place et le rôle qu'occupent les notions de
négativité, de contradiction et de violence dans ce processus de
culture de la conscience.
Cela revient à dire que c'est dans le négatif et
la contradiction que la conscience doit se frayer un chemin pour accéder
à sa propre culture. La conscience doit donc sans cesse travailler dans
« la douleur 78» dans la mesure où elle
est contraint à chaque étape d'affronter la mort. Mais, il faut
dire que cette conscience ne peut parvenir véritablement à son
affirmation qu'en osant supporter « le négatif 79» en
ce sens qu'il s'agit d'un long processus qui implique nécessairement
l'adoption de
78 G.W.F. Hegel, Phénoménologie de
l'esprit, Paris, Aubier Montaigne, 1939, t. I, p. 8.
79 G.W.F. Hegel, Op. cit. Paris, Aubier Montaigne, 1939,
t. I, p. 8.
« la patience 80» pour pouvoir
atteindre la vérité qui est l'universel. On voit alors que chez
lui, ces différentes notions recouvrent un statut philosophique toute
particulière. Cela étant, il ne s'agit pas de se pencher sur la
simple apparence des événements et des choses.
C'est ainsi que dans ce processus de culture, le sujet
était tout d'abord confronté à la nature qui est le
domaine de l'immédiateté et qu'il est parvenu à se
départir de ce stade et à changer de statut. C'est dans ce sens
également qu'il a pris conscience de son être et qu'il est parvenu
à s'affirmer en tant que tel. A partir de ce processus, on a vu que
l'individu, parce qu'il disposait d'une certaine liberté, était
en mesure de s'imposer pour pouvoir affirmer son humanité.
Le tableau qu'il nous présente permet de voir que,
contrairement à Condorcet et à Kant qui ne se sont
focalisés que sur des faits attestés pour analyser le processus
d'évolution de la conscience, son entreprise revêt une dimension
interne et multiforme. Pourquoi interne ? Parce qu'il s'agit de
l'épreuve de la conscience, une conscience qui doit, à travers sa
propre aliénation, sa propre expérience, parvenir à son
affirmation, à l'universalité.
A travers cette expérience de la conscience, on a pu
voir que la vie elle-même est un combat de tous les jours et qu'il faut
avoir le courage de surmonter certaines difficultés pour pouvoir
affirmer son humanité. Pourquoi multiforme ? Parce qu'il a voulu,
à travers l'expérience de la conscience, étendre celle-ci
dans tous les domaines de la vie humaine à savoir, politique,
religieuse, juridique, etc. C'est ce qui lui permet d'affirmer que : «
tant que l'esprit ne s'est pas accompli en soi, comme esprit du monde, il
ne peut atteindre la perfection comme esprit conscient de
soi81. »
Ce faisant, c'est à travers donc le mouvement
dialectique de la conscience, dialectique que nous retrouvons aussi dans
l'histoire, que l'individu accède progressivement au savoir vrai,
à la véritable affirmation. C'est ainsi que le contenu
80 G.W.F. Hegel, Op. cit., Paris, Aubier Montaigne,
1939, t. I, p. 8.
81 G.W.F. Hegel, Phénoménologie de
l'esprit, Paris, Aubier Montaigne, 1941, t. II, p. 306.
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de la conscience s'enrichit et s'universalise par la lutte que
se livrent les consciences de soi opposées au prix de leur vie, car
l'homme est un être de désir capable de s'élever au-dessus
de cette vie, de la mettre en jeu pour affirmer la conscience de soi comme une
valeur indépendante. Avec la dialectique, nous avons appris que toute
domination peut être renverser, à condition de s'approprier les
moyens par lesquels on subit celle-ci. Par le travail, l'homme peut non
seulement comprendre le mécanisme par lequel l'histoire se
déroule, mais également oeuvrer pour refuser toute forme
d'aliénation.
C'est pourquoi Hegel considère le négatif et la
contradiction comme des éléments essentiels dans la saisie du
savoir absolu. Par là, on comprend que la vie en elle-même est,
d'une certaine manière, une mort constante qui fait de l'esprit ce qu'il
est. Sous ce rapport, on peut remarquer que la violence et la contradiction
ponctuent pratiquement toute l'histoire de l'esprit du monde. Quand on observe
le trajet historique de l'esprit à travers les différents peuples
dans lesquels il s'est incarné pour sa réalisation, on se rend
compte qu'il n'a pas pu échapper à la violence dans la course qui
le mène à la fin ultime.
Par conséquent, la violence apparaît comme le
moteur méme de l'histoire universelle et ce par quoi, l'esprit acquiert
sa culture et accède à l'universalité. En
réalité, on peut voir à travers cette problématique
de la culture et du progrès et par rapport aux conclusions de notre
étude, l'impact de la pensée hégélienne sur la
postérité. Nous pouvons appréhender cet impact par exemple
dans la théorie de la lutte des classes de Karl Marx, théorie qui
va constituer, à la suite de la dialectique de Hegel, le moteur de
l'histoire. Tout comme la dialectique hégélienne, cette
théorie de Marx permettra d'analyser les rapports entre les individus
dans l'affirmation de leur humanité dans la société. La
conclusion à laquelle nous sommes parvenue nous montre que la vie en
tant que telle rime avec risque et que celui qui n'ose pas affronter la mort ne
peut jamais prétendre être libre.
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