1-2. LE CONSTITUANT SUJET AU MOYEN-ÂGE
Dans le sillage de ses prédécesseurs, Chenu
repris plus tard par Chevalier (1968 :220), explique au début du
XIIème siècle que le sujet
précède le verbe parce que le monde des essences
précède la création dans le flux du devenir et que Dieu
précède sa création. La position du constituant sujet
est précisée par Chenu, mais cette place relève de la
logique.
Selon Chevalier (1968 :53), la syntaxe
médiévale comprend trois axes qui sont la rection, le
rôle du verbe et la transitivité. Hélie, cité par
Chevalier (op.cit. : 54), affirme que régir,
c'est entraîner avec soi un autre mot de discours à
l'intérieur d'une construction pour la perfection de cette
construction.
La rection décrite par Hélie est d'ordre
logique. Aussi, se situe-t-elle en droite ligne de la perception des Anciens.
Le verbe de l'énoncé entraîne le sujet en
l'influençant par son sens ; il traduit en outre l'action. Nous
vérifions le phénomène de la rection et de la
suprématie du verbe dans [1] :
1a. Le premier ministre
préside ce matin la cérémonie d'ouverture de la
conférence [...]
(CT : 7953, n° 21, p 5) ;
1b. La dame, très énervée,
lui répond d'une voie cassante (CT: 7953, n° 21, p
5) ;
1c. Le mari travaille à
Yaoundé (CT : 7953, n° 21, p 5) ;
Les actions de présider, de
répondre et de travailler sont exprimées par
leurs verbes respectifs. Ceux-ci emmènent leurs sujets à
effectuer l'action qui est décrite. Le sujet se perçoit donc
comme une entité linguistique dont le référent est un
être animé, capable d'agir. Le verbe régit donc le
sujet.
Malgré cette approche sémantique, on se demande
pourquoi Chenu maintient l'appellation de sujet à la suite des
Anciens.
Par contre, le XIIIème siècle est
dominé par l'école dite modiste. Avec les modistes apparaît
le concept de mode de signifier. Les modistes reconnaissent
l'autonomie de l'expression et de la grammaire par rapport à la logique.
Reprenant les modistes, Ducrot et alii (1995 : 96) expliquent que le
concept de mode de signifier veut qu'un élément
grammatical ne soit pas défini par son signifier (sic), mais
par la façon dont ce signifier est visé ; par le type de
rapport institué entre mots et choses.
Selon les modistes, il existe certainement un autre type de
relation entre les éléments qui forment cette structure à
l'instar du sujet et du verbe. Ceci peut être vérifié
dans les énoncés [2] ci-dessous :
2a. Essola a vu sa condamnation se
dessiner (CT : 7735, n°32, p 9) ;
2b. Les faits remontent à
quelques semaines (CT : 7735, n°36, p 9) ;
2c. Les journalistes sont
sympathiques (CT : 7735, n°63, p 13).
En [2a] par exemple, Essola est le sujet du verbe
a vu non pas seulement parce qu'il est celui qui fait l'action de
voir, mais aussi parce qu'il existe entre ces deux termes d'autres
types de relation. Les auteurs n'expliquent cependant pas comment se
manifestent ces autres relations et ne disent pas non plus comment
procéder pour les démêler.
Par là, les modistes affirment que la logique et la
structure appartiennent à deux plans distincts de l'analyse. Les auteurs
ont toutefois conservé le terme sujet utilisé depuis
l'Antiquité. Ce qui nous pousse à nous interroger sur leurs
motivations.
La théorie des modistes sera cependant remise en cause
par d'autres grammairiens en l'occurrence, Meigret et Paillot. En effet, entre
le XIVème et le XVème siècles, la
position de Meigret, rappelle Chevalier (1968 :222), est la
suivante :
J'appelle le nom surpozé ou
appozé celuy qui gouverne le verbe e le
souspozé, celuy qui est gouverné [...] Ce qui ne doit pas
s'entendre selon l'ordre de paroles, mais selon le sens : car celuy qui
gouverne est réputé être verbes actifs, come ajant, et
celuy qui est gouverné come pacient e o contrer' é verbes
passifs ; car lors le soupozé est le
pacient e le surpozé
l'ajant. (sic)
Cet auteur décrit ainsi la structure d'un
énoncé selon un ordre sémantique. Il précise bien
que l'ordre dont il parle n'est pas un ordre syntaxique, mais sémantique
ou logique comme on peut le noter en [3] :
3a. La CNPS a effacé son ardoise
(CT : 7735, n°18, p.9) ;
3b. Le conducteur est anéanti
et abandonné dans le buisson (CT : 7735,
n°56, p.11) ;
3c. De son côté,
l'accusé rejette ces faits (CT :
7735, n°48, p.9).
Les noms CNPS, conducteur et
accusé sont subordonnés à leur verbe respectif
(effacé, anéanti et rejette) parce qu'ils font chacun
l'action exprimée par ces verbes. En [3a] et [3c], Meigret les baptise
ajants alors qu'en [3b], le conducteur subit l'action
effectuée par un tiers. Pour cette raison, l'auteur le nomme
pacient. A ces deux valeurs se superposent celles de
surpozé et de soupozé, deux mots identiques
à ajant et à pacient. Cette conception
prévoit plusieurs valeurs du constituant sujet.
Meigret revalorise ainsi la position de ses pairs du
XIIème siècle en ménageant toutefois une
ouverture aux implications de la perception sémantique sur les
désignations de la fonction sujet. Cette ouverture incite à
s'interroger sur les rapports susceptibles d'exister entre les
désignations de Meigret et les actions qu'il décrit.
A la fin du XVème siècle, Antoine
revient sur les propositions des modistes. Cet auteur cité par Chevalier
(1968 : 220) assure
qu'au commencement de la matière, il
y a ung nom substâtif ou un pronom primitif et après sensuit ung
verbe personel de meuf finy requerât avoir un nominatif cas devant luy
pour sô suppost si comme on dit magister legit. (sic)
Antoine décrit ainsi la phrase sur le plan de la
structure. La matière dont parle l'auteur est la phrase. Celle-ci
commence donc par un nom ou un pronom, puis vient le verbe à une forme
finie. Et le cas nominatif préposé à ce verbe lui sert de
support en même temps qu'il le régit. L'auteur tente d'expliquer
ce que les modistes ont énoncé auparavant. Cette approche domine
presque le siècle suivant.
En effet, le XVIème siècle conforte
le point de vue d'Antoine. D'ailleurs, pour Scaliger, explique Chevalier
(1968 : 184) :
Toute phrase, pour exprimer une pensée,
doit être référée aux cinq rapports logiques
fondamentaux : car dans toute action, il y a ce qui fait, ce qui est fait,
ce qui reçoit la chose, la privation et la fin dont elle est
cause.
Une pareille perception aurait incité à voir en
son auteur un logicien, s'il n'avait lui-même levé
l'équivoque en précisant que
le grammairien devra donc toujours soigneusement
distinguer le plan des
relations syntaxiques [...] de celui des liens
sémantiques qui se dévoilent
dans la réalisation du discours
[...].
Si le sens est envahissant, l'auteur craint ses
répercussions sur la désignation de la fonction sujet. Le
XVIème siècle renforce la perception syntaxique avec
une évolution certaine au niveau de la terminologie des fonctions
syntaxiques.
En définitive, de l'Antiquité au
XIIème siècle, c'est l'immobilisme, la seule
appellation de sujet prévaut. Le
XIIIème siècle marque le début de
l'élargissement des perceptions de la fonction de sujet sans pourtant
lui apporter une dénomination nouvelle. Les XIVème et
XVéme siècles confirment l'évolution avec
l'apparition des valeurs sémantiques du sujet telles que agent,
patient. Au XVIème le constituant sujet est nommé
primus, le COD segundus et le COI
tercius. Ces numéros d'ordre correspondraient à la place
de ces éléments dans la phrase. Cette tendance se poursuit
même au cours de la période classique.
2 - L'APPROCHE CLASSIQUE DU SUJET
- · La définition du concept de sujet par les classiques porte
les empreintes de la période préclassique. En fait, Chevalier et
alii (1969 : 176), Wagner et Pinchon (1962 : 226) et même
Grevisse (1993 :305) s'accordent pour reconnaître que le sujet
représente ce dont on parle dans l'énoncé,
c'est-à-dire le thème. Par ailleurs, ces auteurs
s'entendent avec Arrivée et alii (1997 : 654) sur le fait
que cette fonction n'est pas facile à circonscrire de
manière univoque.
- · Dans la définition du sujet donc, trois principaux
critères prévalent : la sémantique, le discours et dans
une moindre mesure la morphosyntaxe. Cette dernière approche est
rejetée par Port-Royal.
2.1. LA PERCEPTION DU SUJET PAR PORT-ROYAL
Née au seuil de la deuxième
moitié du XVIIème siècle, la grammaire
générale et raisonnée attribue au sujet les
mêmes propriétés sémantiques et logiques que
l'Antiquité et le Moyen-Âge. Pour Arnauld et Lancelot
(1969 :13)
le jugement que nous
faisons des choses ( comme quand je dis : la terre est
ronde) enferme nécessairement deux
termes ; l'un sujet, qui est ce dont on
affirme, comme
terre ; et l'autre appelé attribut
qui est ce qu'on affirme,
comme
ronde [...]
La notion de sujet chez ces auteurs prend
racine dans les catégories logiques d'Aristote. Il existe, de ce fait,
une analogie interne entre la parole et le contenu qu'elle véhicule.
L'énoncé devra alors être analysé non selon sa
structure externe, c'est-à-dire, la syntaxe, mais selon la structure de
la pensée qu'elle est censée reproduire.
- · En ce qui concerne la syntaxe, les grammairiens de Port Royal
remettent en cause les conclusions des grammairiens de la fin du
Moyen-âge. Ils associent le mode de signifier et le comportement
syntaxique des mots dans l'énoncé. La grammaire
générale et raisonnée marque ainsi une rupture dans
l'évolution déjà caractérisée par la
diversification des terminologies. Le retour à l'approche des Anciens
rétablit la prééminence du sujet dans
l'énoncé et de son appellation. Il y a lieu de s'interroger sur
les causes de ce revirement. Cette position est néanmoins nuancée
par une nouvelle génération des classiques.
- · 2.2. LA THÉORIE DES NÉO-CLASSIQUES
- · De manière générale, les néo-classiques
conservent l'approche de l'Antiquité et de Port-Royal. Avec eux, la
perception logique de la notion de sujet se clarifie davantage. Les Le Bidois
(1938 :3) présentent de la phrase la structure suivante :
sujet + verbe + attribut ou objet. Cet ordre, estiment-ils, est
habituel en français ; d'où l'appellation
d'ordre logique, car on ne conçoit pas une
action ou un état s'il n'y a pas un agent pour faire
l'action, [et] cet agent c'est le sujet.
- · Lorsque le sujet participe au déroulement de l'action et en
est l'instigateur, il est appelé agent. De manière
implicite, ces auteurs reconnaissent que, non seulement le sujet est ce
dont on parle, il est aussi agent de l'action comme on peut le
relever dans [4] :
- ·
- · 4a. Le Cameroun célèbre, le
16 octobre prochain, la journée mondiale de l'alimentation
- · (CT : n° 7951, p. 18, n° 173 ) ;
- · 4b. Le doyen a donné des
assurances à chacun...( CT : 7951, p.16, n°55) ;
- · 4c. Le recteur a tenu une réunion
... (CT : n°7951, p.16, n°109).
- ·
- · Les actions de célébrer, de donner
et de tenir sont faites respectivement par le Cameroun, le
doyen et le recteur. Ils sont les acteurs de ces
procès. Ils en sont les instigateurs. Ce sont des agents. Dans
la perspective logique, Wagner et Pinchon (1962 : 60-67) attribuent au
substantif sujet la désignation de thème. Ces auteurs
utilisent, pour désigner le même constituant les termes de
thème et de sujet. Notre préoccupation demeure
au niveau des raisons de ces appellations différentes par leurs
signifiants et apparemment identiques par leur signifié.
- · Au niveau du sens, Hamon (1966 :169) rappelle que le
sujet du verbe représente la personne, l'animal ou la chose qui fait ou
subit l'action ou alors qui se trouve dans l'état exprimé
par le verbe.
- · Ainsi, d'après les énoncés [5] :
- ·
- · 5a. Le MINEF a signé un
arrêté [...] (CT n°7951, n°70, p.15) ;
- · 5b. Le fonctionnaire supporte sur sa
rémunération des retenues réglementaires
- · (CT : n°7951, n°19, p.7) ;
- · 5c. Les résultats sont
encourageants ( CT n°7951, n°50, p.7).
- ·
- · l'action de signer est faite par le MINEF, le
fonctionnaire subit l'action que lui inflige une personne morale
(loi). Il est passif. Il ne réagit pas ; les
résultats sont présentés dans leur état,
état décrit par l'attribut encourageants et par
l'intermédiaire du verbe d'état (est). Pour
Arrivé et alii (1997 :655), il est question d'agent dans
[5a], de patient dans [5b]. Quant à [5c], les auteurs ont
conservé l'appellation de sujet pour ce dernier cas.
Néanmoins, la détermination de la fonction sujet se
précise progressivement.
- · Toujours pour identifier le sujet, la grammaire traditionnelle
affirme que le sujet est celui qui répond à la question qui
est-ce qui pour la personne et qu'est-ce qui pour la chose.
Ainsi, en procédant par cette technique de questionnement en [6]:
- · 6a. Les avocats lui conseillent de
recouvrer le reste de ses créances (C.T n°7735,n°20,
- · p.9) ;
- · 6b. Beyala a émis la
quatrième saisie-attribution (C.T n°7735, n°25, p.9) ;
- · 6c- La CNPS saisit le tribunal de grande
instance (C.T n°7735, n°26, p.9),
- · 6d- Il arrive des hommes (CT
n°7735, n°11, p.6).
- ·
- · nous avons les structures suivantes :
- · Qui est-ce qui conseillent ? Réponse : les avocats
- · Qui est-ce qui a émis la quatrième saisie ?
Réponse : Beyala
- · Qu'est-ce qui saisit le tribunal ? Réponse : La
CNPS
- · Qu'est ce qui arrive ? Réponse : des hommes
- ·
- · les actions de conseiller, d'émettre et de
saisir sont effectuées par les mêmes sujets avocats,
Beyala et CNPS. En [6d], l'auteur de l'action de arrive est
hommes, on lui donne le nom de sujet réel et à
il celui de sujet apparent. Il y a là une confusion
réelle entre le sujet du verbe et l'agent de l'action d'une part, et
entre le sujet du verbe et le thème du discours d'autre part.
Cette confusion est confortée par cette coïncidence presque
constante qui fait du sujet une notion véritablement ambiguë et
polysémique.
- · Au niveau morphosyntaxique, Chevalier (1997 : 176),
Arrivé (1997 : 654) et Grevisse (op. cit. : 306) reconnaissent
que le sujet donne au prédicat ses marques de personne, de nombre et
parfois de genre comme l'attestent les énoncés
suivants :
7a - Les autorités essaient
d'apporter une réponse (CT 7951, n°50, p.5) ;
7b - La direction [...] demande aux
organisations de régler le complément (CT 7951, n°50,
p.7) ;
7c - Les opérations seront
facilitées [...] (CT 7951, n°17, p.7).
Nous constatons que dans [7], les groupes nominaux
les autorités, la direction et les
opérations régissent effectivement leur verbe respectif
(essaient, demande et seront facilitées) en leur imposant leurs
marques de personne, de nombre et même de genre [7c]. Ce point de vue
n'est pas profondément analysé par cette grammaire. Il marque
pourtant l'aspect descriptif vers lequel semble tendre cette nouvelle
génération des traditionalistes. Parler des marques traduit
déjà un regard sur un énoncé non plus seulement sur
le plan logico-sémantique, mais aussi sur le plan de la construction. Il
existe entre le sujet et le verbe une connexion syntaxique qui se manifeste par
les caractéristiques morphologiques du sujet sur le verbe.
La grammaire classique maintient, dans l'ensemble, la position
de l'Antiquité. Toutefois, elle ménage à nouveau une
ouverture à l'évolution des terminologies par l'adoption des
terme et expressions thème, sujet réel,
sujet apparent pour désigner le constituant qui
assume dans la phrase la fonction sujet. Une même notion présente
plusieurs terminologies. Quel est en fait le rapport entre chaque
désignation et son contenu ? Pourquoi les auteurs créent-ils
d'autres appellations alors que le contenu semble être identique à
celles qui existent déjà ? Les néo-classiques
amorcent cependant une étude du sujet sur le plan morphosyntaxique.
Cette brèche entrouverte par la grammaire traditionnelle sera largement
exploitée par la grammaire structurale.
3 - LE POINT DE VUE DU STRUCTURALISME SUR LA
NOTION
DE SUJET
Née au début du XXe siècle, la
linguistique structurale se propose de rendre compte de la structure des
langues avec plus d'efficacité. Elle a donné une nouvelle
impulsion à l'activité grammaticale par l'introduction des
méthodes capables de décrire le fonctionnement réel des
langues. Les écoles linguistiques qui en découlent ont
donné naissance à diverses tendances grammaticales qui sont pour
l'essentiel : le fonctionnalisme, le distributionnalisme, la grammaire
générative et transformationnelle, la grammaire
dépendancielle et la grammaire prédicatrive. La grammaire
structurale se propose alors de rendre compte de la phrase non plus sur le plan
sémantique uniquement, mais aussi sur le plan structural. Cette
grammaire se préoccupe donc tout particulièrement de
l'organisation des mots et des constituants de phrase. Elle subordonne, sans le
négliger, le sens à la syntaxe.
Ce mode de combinaison est la syntaxe. C'est ce que cherche
à définir la grammaire structurale. Celle-ci affirme en effet que
les propriétés formelles suffisent à expliquer le
fonctionnement syntaxique du sujet. Ainsi perçues, l'organisation
syntaxique et l'organisation sémantique se situent sur deux
schémas distincts et ne peuvent prêter à confusion.
Il ne s'agit pas de faire ici une étude
systématique de chaque théorie linguistique. Notre tâche
consiste tout simplement à évaluer l'approche de la notion de
sujet par chacune d'elle, notamment la définition et le nom qu'elle
donne au constituant sujet.
3-1. LE SUJET PERÇU PAR LE
FONCTIONNALISME
La perception du sujet par le fonctionnalisme découle
de la fonction qu'il donne à la langue. Celle-ci a pour finalité
de véhiculer les pensées. Par elle, les hommes communiquent leurs
expériences. Cette communication se traduit dans les
énoncés qui sont l'objet de diverses études.
Dans ce sens, Martinet (1979 :159) découpe la
phrase en deux parties. La première relève du sujet et la
seconde, du prédicat. Ce découpage donne des
énoncés [8] le schéma suivant :
8a. La brise matinale / souffle (CT
n°7946, n°11, p.5) ;
Sujet prédicat
8b. Elle / quitte le lit (CT
n°7953, n°99, p.13) ;
Sujet prédicat
8c. Cette richesse / attise des
convoitises ( CT n° 7953, n°3, p.5).
Sujet prédicat
Les GN la brise matinale, cette richesse et
le pronom personnel elle sont appelés sujet alors que
souffle, quitte le lit et attise des convoitises sont des
prédicats. Cette bipartition n'est pas fondée sur la logique,
mais sur la syntaxe.
Ce genre d'analyse distingue Martinet des Anciens et des
Classiques. Pour Martinet (op.cit : 157), le sujet fait partie du noyau
nominal ; il reconnaît que le sujet est l'un des compléments
qui apporte au procès une information particulière. Il est ce qui
demeure après la suppression des expansions non essentielles du
prédicat. Entre le sujet et le prédicat, il existe, de ce fait,
une relation d'interdépendance. L'un ne peut exister sans l'autre. Le
constituant sujet peut subir l'influence du verbe et prendre diverses valeurs.
Par conséquent, si ce constituant est même
considéré comme sujet de l'énoncé, on ne
saurait lui donner une définition du type le sujet est celui qui
fait l'action, estime Martinet. Ceci se vérifie dans [9] :
9a. Les enfants vont à
l'école...(CT n°7953, n°11, p.13) ;
9b. Les enfants avaient été
brûlés par un incendie ...(CT n°7953, n°64,
p.14) ;
9c. Une trentaine d'infirmiers [...] vont
être formés (CT n°7951, n°86, p.15) ;
9d. 3% des enfants souffrent de
troubles mentaux ( CT n°7951, n°90, p.15).
En effet, dans [9a], enfants assume la fonction
d'agent parce qu'il fait l'action d'aller, dans [9d] enfants
est patient et dans [9c] infirmiers est
bénéficiaire.
Martinet relève que ces nuances ne sont pas
spécifiques au sujet. L'agent, le patient ou
même le bénéficiaire de l'action peuvent occuper
des postes syntaxiques autres que celui du sujet. Dans [9b] par exemple,
l'action de brûler est faite par un agent qui n'est pas le sujet du verbe
avaient été brûlés ; cet agent
(incendie) est au contraire complément d'agent de ce verbe.
A la suite de Martinet, Popin (1993 : 56)
reconnaît que le verbe nomme soit une action, soit un état
ou un changement d'état, soit un mouvement.
S'il affirme que celui qui fait l'action peut être
l'agent, il nuance cependant sa position par rapport à celui
qui la subit. En [9d], Popin trouve que le sujet ne subit pas la
souffrance ; il désigne l'endroit où s'exerce la douleur
décrite par le verbe ; pour ce faire, il est appelé
siège parce que ce terme est sujet du verbe subjectif
souffrent. Cependant, l'auteur ne définit pas clairement ce
qu'est un verbe subjectif. Il n'en propose pas non plus une liste.
Pour abréger cette polémique, Martinet
(1979 : 158) conclut que le sujet n'a pas de valeur
propre et c'est le sens du verbe qui va déterminer la valeur de la
fonction. Ces valeurs peuvent par conséquent être
variées selon le verbe employé. Ce qui présage leur
diversification.
Pour la grammaire fonctionnelle, le mot sujet est
conservé pour nommer ladite fonction.
3.2 - LE POINT DE VUE DU DISTRIBUTIONNALISME SUR LE
SUJET
Le distributionnaliste appréhende la notion de sujet
à partir de l'analyse qu'il fait de la parole. Pour lui, un acte de
parole n'est ni une expression de la pensée ni un outil de
communication. La parole est un comportement d'un type particulier, et ce
comportement est humain. Elle devrait, à cet effet, être
expliquée à partir des situations dans lesquelles elle
apparaît. Pour Dubois et alii (1973 : 164-165) la grammaire
distributionnelle
a son origine dans la constatation empirique que
les parties d'une langue ne
se rencontrent pas arbitrairement les unes par
rapport aux autres [elle se
propose] de décrire les
éléments d'une langue par leur aptitude (possibilité ou
impossibilité) à s'associer entre
eux [ ...]
L'analyse distributionnelle est donc la tendance de la
linguistique structurale qui a pour objet de décrire les unités
d'une langue en fonction de la possibilité que celles-ci ont de
s'associer entre elles par des procédés de segmentation et de
classification. L'analyse distributionnelle se garde de toute
considération sémantique. Ducrot et alii (1995 :49-52)
rallient cette idée des auteurs du dictionnaire linguistique et
s'opposent, sur ce point, au fonctionnaliste et aux mentalistes. Ainsi,
dans les exemples suivants :
10a. Kribi a su bâtir son
tourisme ( CT 7946, n° 22, p.5) ;
10b. Le maire de Kribi a
initié des travaux d'assainissement [...]( CT n° 7946,
n° 23, p.5) ;
10c. Le campus d'Ekounou
n'héberge que la filière gestion (CT n°7951,
n°127,p.17).
les constituants en gras peuvent commuter entre eux tout en
respectant la position syntaxique de chacun. Nous pouvons donc avoir en [10']
les structures suivantes :
10'a. Kribi a initié des
travaux d'assainissement ...
10'b. Le maire de Kribi n'héberge que
la filière gestion
10'c. Le campus d'Ekounou a su
bâtir son tourisme
Les expansions occupent dans la phrase les mêmes
positions syntaxiques que les constituants initiaux. Ils sont
préposés au verbe ; ils sont donc des sujets selon que le
reconnaît Dubois (1967 : 17)
l'ordre des syntagmes nominaux relativement aux
verbes permet de distinguer
le syntagme nominal sujet qui lui est
préposé et le syntagme nominal objet qui
lui est post posé
Schématiquement, Dubois représenterait [11] de
cette manière :
- Le Premier Ministre
/...préside / la cérémonie d'ouverture de la
conférence.
(SN1) ( V ) (
SN2)
[P1] = [ (SN1) + ([ V ]) + [( SN2 )] où SN1
représente le sujet du verbe, V le verbe et SN2 le complément.
En définitive, le distributionnalisme privilégie
l'analyse syntaxique. Il ne fait aucun cas du sens. De ce fait, il attribue des
numéros d'ordre aux différents éléments de la
phrase ; le chiffre 1 adjoint au premier SN de la phrase fait de lui le
SN1. Ce SN1 est donc le nom que cette grammaire donne
au constituant sujet. Ce procédé d'analyse dont nous devons
l'initiative aux grammairiens médiévaux a été
complété sinon enrichi par la grammaire générative.
3.3 - L'APPROCHE DU SUJET PAR LE
GÉNÉRATIVISME
L'idée que la grammaire générative et
transformationnelle a du sujet résulte de l'intégration de la
sémantique à l'ensemble de son modèle linguistique. Il
pense de ce fait qu'en négligeant le sens, la commutation peut aboutir
à des énoncés ambigus et parfois agrammaticaux. Pour
Dubois et alii (1973 : 216), cette grammaire définit la fonction
comme la relation grammaticale que les éléments d'une
structure entretiennent entre eux dans cette structure.
De manière schématique l'énoncé
[12] a la structure suivante :
Le samedi est consacré au
grand ménage (CT n°7953, n°105, p.13).
SN SV P SN + SV
Ceci se justifie par le fait que distributionnalisme et
générativisme rejettent la langue prise comme expression de la
pensée. Cependant, la grammaire générative déplore
le fait que la grammaire distributionnelle se contente de décrire les
phénomènes syntaxiques sans pour autant les expliquer. Cette
grammaire veut donc pallier ces insuffisances. A cet effet, elle intègre
la sémantique à l'ensemble de son modèle. Ainsi, les
règles de réécriture lui permettent de présenter
les constituants et l'ordre dans lequel ils apparaissent dans une phrase. De
manière graphique, les règles de réécriture sont
représentées sous la forme d'arbres syntaxiques. Avec Roberge,
(2002 :3), nous avons ci-dessous une forme simplifiée de cet
arbre :
W : représente la phrase
X,Y, Z : représentent les noeuds
T, U : représentent les branches,
c'est-à-dire les syntagmes qui sont une projection de la
catégorie. X représente, dans cet arbre, le noeud nominal (SN)
sujet.
Dans [13] de Roberge (op.cit)
Son chien mange un os dans la
cuisine,
nous avons l'arbre syntaxique suivant :
W = Ph : son chien mange un os dans la cuisine
X = SN : Son chien
Y = SV : mange un os
Z = SP : dans la cuisine
T, U = : Det (son), nom (chien) ou Det (un), nom (os) ou
encore Det (la) (cuisine).
Le schéma ci-dessus révèle que SN est un
noeud terminal. C'est ce noeud qui est le sujet. Il s'inscrit dans une
structure hiérarchisée des constituants de la phrase. Celle-ci
comporte à la base les couples (Det+nom), (V+SN) et (P+SN). Ce qui donne
respectivement les noeuds SN, SV et SP.
Nous notons plusieurs SN dans la phrase. Ceci pose le
problème de l'identification du sujet parmi ces SN. Pour résoudre
cette difficulté, Roberge fait une analyse des traits lexicaux de chaque
constituant. Ainsi, dans [13], les SN (un os et la cuisine) ne peuvent
être sujet de mange. En effet, ce verbe exige comme sujet un
être animé humain ou non.
Tout en privilégiant l'analyse structurale de la
phrase, la grammaire générative reconnaît un rôle au
sens. Cette grammaire ne s'intéresse pas aux différents
éléments de l'énoncé parce qu'ils assument des
fonctions, mais elle montre comment ceux-ci se combinent entre eux pour former
des phrases. Aussi, les désigne-t-elle par des symboles (SN, X, Y...).
En conséquence, le constituant sujet peut, selon
l'humeur de l'auteur être nommé SN0, X, etc. La
dénomination du sujet est davantage banalisée par cette recherche
obstinée de simplification.
3.4 - LE SUJET VU PAR LA GRAMMAIRE
DÉPENDANCIELLE
La théorie dépendancielle décrit les
fonctions syntaxiques dans un énoncé pour indiquer le
réseau de dépendance qui existe entre les éléments
de cet énoncé. Ce réseau de dépendance marque la
connexion, c'est-à-dire le lien susceptible d'unir les unités
d'une phrase : le verbe et son sujet, le verbe et son complément
par exemple. Cette grammaire se fonde sur les principaux
concepts suivants: la connexion, la translation et la jonction.
Tesnière (1976 :11) représente ces relations par un arbre
qu'il appelle stemma. Il reconnaît que la phrase est un ensemble
organisé dont les constituants sont des mots. Dans la phrase, il
étudie les diverses relations à deux niveaux : une relation
du premier niveau entre le prédicat et ses subordonnés (ou
dépendants) et une relation du deuxième niveau avec les
circonstants.
Les subordonnés immédiats du verbe sont
appelés actants par l'auteur. Tesnière (op.cit : 205) les
considère comme :
des êtres ou des choses qui, à un titre
quelconque et de quelque façon que ce
soit, même à titre de simples figurants et
de la façon la plus passive, participent
au procès, [...] les actants sont toujours des
substantifs ou des équivalents de
substantifs.
Ces différents actants ne remplissent pas les
mêmes fonctions. Ils sont classifiés selon un numéro
d'ordre, numéro qui reflète leur degré de participation
dans la réalisation du procès. Le premier de ces actants est
l'équivalent du sujet sémantique (celui qui fait
l'action) selon Tesnière (op. cit.:107), il porte le nom de
prime actant : il annonce les deux autres (second et tiers)
actants. C'est le cas des groupes de mots les enseignants, les
étudiants, le champ communautaire dans les énoncés
suivants :
14a. Les enseignants
apprécient cette ambiance de travail (CT 7953, n°85,
p.12) ;
14b. Les étudiants effectuent
des stages en entreprise (CT 7953, n°86, p.12) ;
14c. Le champ communautaire a
beaucoup produit (CT 7953, n°96, p.13).
L'auteur attribue à ces syntagmes nominaux le nom de
prime actant parce qu'ils participent à la réalisation
du procès soit pour apprécier [14a], soit pour
effectuer [14b], soit pour produire [14c]. La grammaire
dépendancielle voit ainsi l'énoncé comme un drame dans
lequel le prédicat représente le procès lui-même. Ce
procès, c'est l'action selon la grammaire traditionnelle et les
participants à cette action sont les dépendants du
procès.
Tesnière enrichit les dénominations des
structuralistes en introduisant le terme prime actant
pour designer le constituant sujet. L'auteur emploie une appellation complexe.
Ce n'est plus une unité lexicale. Il y a lieu de s'interroger sur le
lien susceptible d'unir le premier terme (prime) au second
(actant).
3.5- LA PERCEPTION DU SUJET PAR LA GRAMMAIRE
PREDICATIVE
Il ne s'agit pas de faire une étude profonde de la
grammaire prédicative, mais de relever que dans son étude de la
phrase, Riegel et alii (1994 :228) et Riegel (2002 : 50) donnent de
la phrase la représentation suivante:
N0-V-[N1]-[X] : N0 = constituant sujet
V = Verbe
N1 = COD
X = l'attribut
Ainsi dans les énoncés [15] :
15a. Le gouverneur a mis tous les
moyens à notre disposition (CT : 7735, n°70, p9) ;
15b. La police nationale a
renforcé sa présence sur les lieux (CT : 7957,
n°104, p11) ;
15c. Les exposés ont produit
des débats riches (CT : 7957, n°3, p6) ;
15d. Pourquoi les hommes
sont-ils si incrédules ? (CT
n°7735, n°60, p.7).
Ainsi, la grammaire prédicative donne pour nom au
constituant sujet (en gras ) le symbole N0. En [15d],
Riegel et alii (1994 : 139 ) reconnaissent au SN les hommes
le nom de sujet nominal et à il celui de
sujet pronominal. L'analyse que nous comptons faire dans la suite de notre
travail dira si ces expressions représentent aussi des
désignations de ce constituant de phrase.
Par ailleurs, le sujet est défini suivant les
écoles de grammaire. Pour Onguéné Essono Ch.
(2001 :135)
Cet éparpillement est la résultante
inévitable d'une divergence d'approches consécutives à une
diversification de points de vue par lesquels la notion est
appréhendée.
Les divergences naissent de l'embarras que les auteurs ont
à donner au concept sujet une définition stable. Chaque
école présente donc des insuffisances dans ses acceptions. Ce qui
risque de provoquer des difficultés dans la dénomination du
constituant de ladite fonction. C'est dans ce sens que nous avons jugé
nécessaire de faire, à ce niveau, le point sur les
définitions du sujet.
4. LIMITES DES DEFINITIONS ET DES MODES
D'IDENTIFICATION DU SUJET
Dans l'évolution des différentes perceptions du
sujet, on observe des lacunes à tous les âges :
période traditionnelle et époque structuraliste. Cependant
l'Antiquité et la période classique peuvent être
associées puisque leurs vues se recoupent.
4.1. LES INSUFFISANCES DANS LA DEFINITION
TRADITIONNELLE
DU SUJET
La perception traditionnelle de la notion de sujet
soulève beaucoup de difficultés. Certaines ont été
notées par Petiot (2000 :27) en ces termes :
La grammaire scolaire retient traditionnellement une
approche notionnelle, peu cohérente, ce que manifeste l'emploi du
ou disjonctif dans la définition de la fonction :
« le sujet est l'être ou la chose qui fait
ou subit l'action ou qui est dans
l'état exprimé par le verbe »...Á cet embarras,
signalé par le ou, s'ajoutent la confusion entre les signes
linguistiques et leurs référents, et la difficulté
d'appliquer à toute phrase verbale cette définition.
Ce problème surtout didactique se poursuit par le fait
que la grammaire notionnelle affirme que le sujet vient aussi en réponse
à une suite de questions. Cette affirmation présente des limites
tant au niveau du questionnement qu'à celui de l'action. Ainsi, dans les
énoncés ci-après :
16a. L'université
connaît beaucoup de difficultés (CT : 7946,
n°76, p12) ;
16b. Cet enfant a environ 10 ans
(CT : 7945, n°46, p8) ;
16c. Consulter un psychiatre est
pour certains s'avouer fou (CT : 7951, n°85, p 15) ;
16d. Qu'il fût plus utile que
Katow n'était pas douteux (Chevalier 1989,
111) ;
16e. Les gibiers sont chassés
de leur territoire par les lions (CT : 7945, n°2, p14).
les groupes de mots en gras sont dits sujet. Cependant, il
n'est pas toujours aisé de voir les actions qu'ils posent. En effet, si
l'action exprime un mouvement, un être agissant, les verbes en italique
dans [16a, b, c et d] n'ont pas cette propriété. On a
plutôt l'impression qu'ils expriment un état. Par ailleurs,
l'entité (université) en [16a], avec les traits
sémantiques [- Humains + - Animés] n'est pas en mesure d'agir,
elle ne subit pas non plus une action ; en [16b], le verbe avoir
présente, nous le pensons, une situation. Dans ces conditions, quelles
dénominations attribuer aux SN qui assument la fonction de sujet ?
En outre, le sujet est un infinitif en [16c] et une
proposition en [15d], aucun de ces éléments n'est capable
d'occasionner une action, de la subir ou même d'en
bénéficier. Ainsi, dans la logique sémantique,
devrions-nous les considérer comme sujet ? Si nous ajoutons
à ce problème le cas des énoncés suivants :
17a. Une association de la
cathédrale voudrait le réhabiliter
[...] (CT : 7951, n°2, p7) ;
17b. Le concours doit se
dérouler à Ouagadougou (CT : 7946,
n°91,p13) ;
17c. Nos hôtes rencontreront
des opérateurs économiques (CT : 7946, n°57,p8).
On peut se demander si la grammaire sémantique peut
rendre compte des énoncés dont le verbe exprime une
hypothèse comme en [17a] ou une action future comme l'indiquent les
énoncés [17b] et [17c]. Il est donc délicat de mettre
l'action au centre de l'analyse d'un énoncé. Ceci a poussé
Arrivé et alii (1997 :656) à reconnaître qu'en effet,
ces notions du « faire », du
« subir » et de « l'action » n'ont
qu'une pertinence relative.
En ce qui concerne le test de questionnement, le sujet
répond à la question de quoi parle-t-on ? qui est ce qui
... ? ou qu'est ce qui... ? Posée avant le
verbe. Dans les exemples suivants :
18a. Ma cousine, nous l'avons vue au
marché (CT : 7955, n°69, p 13) ;
18b. Les entreprises coupables de fraudes
sont sanctionnées par le gouvernement
(CT n°7946,n°115, p14).
A la question qui est ce qui a vu ? La
réponse est nous ; et à la question de qui
parle - t-on ? On répondra de ma cousine. Il est
effectivement dit d'elle qu'on l'a vue au marché. Le test de
questionnement n'est pas fiable. En effet, dans l'énoncé [18a],
le pronom nous indique l'agent de l'action de voir
et le sujet grammatical du verbe avons vue tandis que ma
cousine représente le thème du discours. Et pourtant les
deux tests de questionnement sont sensés présenter une seule et
même réalité. La différence entre le sujet de
l'énoncé encore nommé thème et le sujet
grammatical se perçoit nettement par le phénomène de
topicalisation. Il ne devrait, par conséquent, avoir aucune confusion
entre les deux aspects de la notion.
Par ailleurs, l'énoncé [18b] montre qu'il n'y a
pas que le sujet pouvant faire l'action. Celle-ci est effectuée par le
gouvernement, et le sujet (les entreprises) ne fait que
subir. Donc, les différentes valeurs que nous avons relevées au
cours de nos lectures ne sont pas propres au constituant sujet.
4.2. LES INSUFFISANCES DANS LA
DEFINITION STRUCTURALE
DU SUJET
La fonction sujet se figure parmi ce que
Creissels (1995 :203) nomme fonctions argumentales. L'auteur
déclare en effet,
Le terme de fonctions argumentales tel qu'il
est proposé ici de l'utiliser renvoie à
la possibilité de caractériser
les nominaux reliés à un même prédicat selon un
nombre limité de types de comportements
syntaxiques.
De manière globale, la grammaire moderne
considère que le constituant nominal sujet est celui qui est
postposé au verbe à qui il impose ses marques d'accord. Cette vue
est parcellaire et ne peut, à notre humble avis, rendre compte de la
globalité du sujet. Les phrases [19*] :
19*a. Le marteau ouvre la porte avec
une clef ;
19*b. Les oiseaux aboient sur la
basse cour.
sont agrammaticales. En effet, les constituants nominaux
sujets (en gras) marquent leurs verbes respectifs, chacun à sa
manière. Mais ces énoncés sont inacceptables parce qu'au
niveau linguistique, ils n'ont aucun sens. En fait, marteau et
clef dans [19*a] représentent deux instruments et le verbe
ouvrir exprime une action effectuée par un agent. Ce verbe,
dans cet énoncé, n'accepte pas deux arguments ayant le rôle
sémantique d'instrument.
Par contre, en [19*b], le verbe aboyer dans un emploi
propre requiert comme argument l'entité chien. A celle-ci
revient la propriété d'aboyer et non aux oiseaux. Même si,
sur le plan morphosyntaxique, le SN les oiseaux modifie le verbe,
celui-ci n'admet pas ce constituant pour sujet. Ainsi, la place et le type
d'argument sont préparés par le sens du verbe ; surtout que
Martinet reconnaît que la langue est un moyen de communication. Il existe
d'une part, une relation syntaxique qui lie le sujet à son verbe et
d'autre part, une relation sémantique que le verbe entretient avec son
sujet. Entre le verbe et le sujet existe une relation réciproque. Aucun
aspect ne prime sur l'autre. Il ne s'agit pas là d'une relation
d'égalité, mais d'une relation de complémentarité.
L'un ne peut exister sans l'autre. De ce fait, Petiot (2000 : 168) estime
qu'il n'est pas possible de donner au sujet une définition
comparable à celle du dictionnaire, c'est-à-dire une
définition unique et pertinente.
Un autre aspect de la difficulté vient de ce que la
grammaire moderne reconnaît que le constituant sujet est
préposé au verbe. Et pourtant dans les productions
langagières, il est possible que l'on rencontre des
énoncés avec des sujets postposés aux verbes comme le
montrent ces échantillons de notre corpus :
20a. En voilà une idée, disent
les sceptiques (CT : 7945, n°169, p 13) ;
20b. Tout se déroule bien depuis lundi denier,
affirme le docteur (CT : 7735, n°77, p
13).
Les SN (les sceptiques, le docteur), sont
respectivement sujet des verbes disent et affirme. Ces
constituants respectent les contraintes grammaticales (accord, nature,...) que
la grammaire structurale reconnaît au constituant sujet sauf celle de sa
place dans la phrase. Pour cela, il est nommé sujet
inversé. Les exceptions viennent ainsi brouiller l'harmonie qu'est
censé avoir donné au sujet la perception structuraliste.
Au terme du premier chapitre, il ressort que les
différentes acceptions que les grammaires donnent au sujet dans la
phrase sont également à l'origine de sa terminologie. Les
définitions du sujet sont soit logico-sémantique, soit
syntaxique.
Sur le plan logico-sémantique, nous avons
recensé les désignations qui sont : sujet, thème,
sujet réel, sujet apparent. A tout ceci se greffe une
pluralité de valeurs (agent, patient, site,
bénéficiare...) qui feront également l'objet d'une
analyse. Sur le plan structural, les appellations rassemblées sont
primus, SN1, SN0, régent, prime actant, N0. A ceci s'ajoutent
d'autres supports morphologiques (sujet pronominal, sujet nominal, sujet
inversé ...) qui, sans être considérées comme
des dénominations particulières du constituant sujet, feront
néanmoins l'objet d'une étude à part en temps opportun. Le
constituant sujet se retrouve toutefois avec une dizaine d'appellations, or
Creissels (op cit. 12), déclare
qu'une terminologie grammaticale doit s'efforcer
d'être le reflet d'un système de définitions qui
développe sans cercle vicieux, c'est-à-dire dans lequel la
définition d'une notion n1 ne comporte de
référence à aucune notion n2 dont la
définition ferait elle-même référence à
n1.
Le principe d'univocité des terminologies scientifiques
est ainsi rappelé pour sous-tendre notre étude. La
problématique de ce travail trouve sa justification sur cette
affirmation de Creissels. S'agissant du sujet, il résulte du principe
d'univocité des terminologies scientifiques un ensemble de
questions : pourquoi le constituant sujet possède-t-il tant de
dénominations? Quelles en sont les motivations? Quels rapports y a-t-il
entre chaque appellation et son signifié ? Quelles
difficultés peut engendrer la diversité des
désignations ? L'analyse des dénominations recensées,
que nous aborderons dans les chapitres suivants, nous permettra d'être
fixé sur ces préoccupations.
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