Section II : Les migrants sénégalais en
Italie : agents de développement
La contribution des migrants au développement du pays
d'origine et de celui d'accueil a acquis de l'importance après les
analyses des années 90 de la relation « migration et
développement » qui, en Italie, avait attiré l'attention
d'abord sur les immigrés vivant en Italie dans l'UE35 et les
flux financiers injectés par les étrangers dans leur pays
d'origine (paragraphe I) et constituent de véritables investisseurs
potentiels (paragraphe II).
Paragraphe I : Par le volume des transferts
financiers
Le transfert de fonds contribue aussi d'une manière ou
d'une autre au développement des pays d'origine des migrants tant au
niveau national (A) qu'au niveau local (B).
A : Au niveau national
Les études menées au Sénégal
indiquent que les transferts impactent positivement sur la pauvreté. En
effet, à Dakar, l'augmentation des dépenses par tête est de
95% dans les ménages qui reçoivent des mandats par rapport
à ceux n'en bénéficiant pas. Hors de la capitale, la
progression des dépenses est de 63,2% dans les villes de
l'intérieur et de 5,9% en milieu rural36.
Les envois financiers des migrants constituent une nouvelle
source de redynamisation de l'économie sénégalaise. Ils
consolident l'ancrage du Sénégal dans une économie monde
qui compte dans ses rangs les opérateurs spécialisés dans
les transferts d'argent.
L'argent envoyé par les émigrés
sénégalais est, au fil des années, une manne
financière importante. Selon les données locales, les
transferts rapides (les transferts rapides concernent essentiellement les
envois de fonds des travailleurs migrants) formels se
35 Identita in movimento.L'émigrante
imprenditore, Roma, Ed.IG Spa, 1995.
36 Source DPEE 2008.
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sont élevés à près de 544
milliards de FCFA pour l'année 200737 sans compter les
mouvements financiers informels qui seraient identiques voire plus importants
que les transferts officiels.
Sans doute, l'émigré contribue à
dynamiser l'économie locale et à accroître le «
capital humain ».Il constitue pour son pays, une ressource au sens
traditionnel (épargne, transfert d'argent à la famille,
construction de la maison familiale) et moderne (connaissances
professionnelles, relations économiques, culturelles et sociales) dans
le pays d'accueil et multiplie les échanges. En raison de sa position de
pivot entre deux espaces et deux cultures, le migrant occupe une place
particulière dans les relations entre le pays d'accueil et le pays de
départ.
Les estimations des flux monétaires à partir de
la balance des paiements, tant des pays de départ que des pays
d'accueil, témoignent de leur importance. Ces transferts pèsent
fortement dans la balance des paiements des pays de départ, leur poids
pouvant dépasser le montant total du solde des transactions
courantes.
Les envois de fonds permettent d'éviter à la
demande intérieure de chuter trop lourdement. En référence
au double déficit dont souffriraient les PED (épargnes et
devises), les transferts constitueraient, au plan macro-économique, une
source significative de devises, augmentant le revenu national et
finançant une partie des importations nécessaires à la
croissance. De par leur ampleur, les seuls flux officiels peuvent avoir un
impact considérable sur la balance des paiements des pays et contribuer
à réduire leur déficit d'épargne
intérieure38.
La question de l'impact des transferts financiers sur le
développement ne se résume pas au seul aspect économique.
La transmission de savoir-faire, l'influence des idées en matière
sociale et politique constituent autant de questions qui mériteraient
à elles seules d'être analysées à part.
37Source BCEAO 2008 38 Gubert 2005
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B : Au niveau local
L'impact des transferts d'argent ne se limite pas seulement
aux familles restées au pays. Les immigrés à travers tout
un réseau d'associations, contribuent aussi à la mise en place
d'infrastructures et d'équipements collectifs dans les villages et les
quartiers en suppléant à la carence des pouvoirs publics. En
effet, la participation des émigrés à l'activité
socio-économique de leur terroir n'est plus à démontrer.
Pour s'en convaincre, il suffit de faire un tour dans les régions Nord
et Est du Sénégal ou leurs réalisations ne se comptent
plus. Qu'il s'agisse de la construction de cases de santé,
d'écoles, de l'achat d'ambulances ou de la mise en place de magasin de
céréales ou encore de réseaux hydrauliques, etc.
En Italie, peu d'autorités locales étaient
impliquées dans les projets de coopération
décentralisée et les tentatives de collaborer avec les
immigrés et leurs associations ont été minimes. Schmidt di
Friedberg (2000 :258) attire l'attention sur le fait que dans certaines
régions les ONG ont demandé conseil auprès des migrants
issus des pays où ils s'activent. Un nombre restreint de projets a
été mis sur pied en Toscane, en Lombardie et en Emile Romagne par
des organisations italo-sénégalaises.
Selon Diop (2003), les trois quarts du volume des transferts
financiers sont utilisés pour satisfaire les besoins de consommation
courante des ménages du pays d'accueil. Ces envois revêtent donc
un caractère social élevé. Par conséquent dans de
nombreuses familles, on n'hésite pas à concevoir et à
financer des projets de migrations en direction de l'Italie.
Dans les régions pauvres, les associations ont mis en
service des équipements communautaires et amélioré les
systèmes d'adduction d'eau et d'irrigation. L'expérience de
l'association sénégalaise en Toscane est intéressante.
Née en 1993, l'AST est devenue une interlocutrice
privilégié dans les activités de coopération
décentralisée des collectivités locales de cette
région.
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L'Association des Ressortissants de Kébémer de
Toscane, née en 1994, est un exemple patent de coopération
décentralisée et de participation au développement
local.
L'ARK dirige ses actions en direction de
Kébémer, une bourgade située à 150 km de Dakar. En
Italie, elle comprend 150 membres. Ces derniers versent des cotisations
annuelles servant à la réalisation de micro projets dans leur
localité d'origine, comme par exemple, la construction d'une
école, l'installation de services de santé ou encore la
création de salles de classes, parallèlement à la gestion
de la réhabilitation de 1000m2 d'infrastructures sportives et
éducatives. D'autres projets ont contribué à
l'électrification de l'hôpital la rénovation des lits,
etc.
D'autres actions ont été menées en faveur
des personnes vivant dans des conditions d'extrêmes
précarités, notamment privées d'accès à
l'eau.
Par ailleurs, l'association a contribué à la
réalisation d'un centre interculturel qui fonctionne comme une
école franco arabe, qui abrite en même temps une mosquée.
Chaque fin d'année ; une assemblée générale de
l'association est organisée au pays, et ce au moment ou les membres
expatriés rentrent chez eux. Cette assemblée permet de
procéder à la planification et à la réalisation des
activités pour l'année suivante.
D'autres exemples patents peuvent venir s'ajouter à ce lot
de réalisation des émigrés sénégalais vivant
en Italie :
L'association « sunugal » basée
à Milan compte plus de 1500 membres et est née vers les
années 1990. Elle a été officialisée en 1998, ce
qui lui a facilité de constituer des partenariats et de rechercher des
financements. Avec l'appui de l'office SOCI (Servisio Orientamento
Cooperazione Internazionale) de la mairie de Milan, Sunugal
obtient un financement du programme MIDA (Migration for Development In
Africa) de l'OIM (Organisation Internationale pour les Migrations).
L'association a mis en place un projet de développement
agricole dans le royaume du Cayor (Sénégal) dénommé
« DEFARAL SA BOPP39». Le projet vise :
- A réduire la dépendance des familles aux envois
de fonds des migrants ; - Garantir la souveraineté alimentaire des
populations impliquées ;
- Augmenter les revenus dans les zones rurales ;
39 Mot wolof qui signifie « compter sur ses
propres forces ».
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- Décourager l'exode rural.
Le projet a ciblé les populations de 13
villages40 au Sénégal et a durée 04 ans (2006-
2010).
Il y'a également l'Association des Jeunes
Emigrés de Darou Mousty (Région de Louga) basée en Italie,
qui en 2006, dans le cadre d'un projet dénommé « adiamo
tutti a scuola : allons tous à l'école » a
acheté un car pour le ramassage des enfants qui vont à
l'école, située à plusieurs kilomètres du
village.
Ce sont autant d'exemples qui montrent la contribution des
émigrés sénégalais vivant en Italie au
développement de leur pays et plus précisément dans leur
localité d'origine. A travers aussi les envois de fonds, ils constituent
des investisseurs potentiels.
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