IV. Discussion
On se propose à présent d'expliquer et
d'interpréter les constats concernant les résultats de notre
recherche. On a pu constater qu'aucune hypothèse ne s'est trouvée
entièrement vérifiée. La raison qui explique cette absence
de corrélation est l'existence, non pas d'un seul type d'apprentissage,
comme supposé en début de recherche, mais de deux composantes
différentes.
On peut identifier deux types d'apprentissage liés de
manière différente avec les variables des hypothèses :
- Niveau de rappel : impact sur la motivation, et
corrélation négative (faible) avec la gêne et la
complexité des sujets.
- Evaluation de l'apprentissage (visite intéressante,
découvertes...) : corrélée avec la satisfaction.
Figure 3 Schéma récapitulatif des
relations entre les variables
1er Constat : Le constat le plus surprenant de nos
résultats demeure celui d'une absence de corrélation entre le
niveau de rappel et l'évaluation de l'apprentissage. En effet, cela
signifie qu'un sujet peut évaluer positivement sa visite : juger la
visite instructive, intéressante, évaluer avoir appris des
choses, sans pour autant être capable de rappeler des objets à la
question du rappel. Si la tâche de rappel paraît bien être
une épreuve d'apprentissage, la question que pose cette absence de lien
est de savoir ce que mesurent véritablement ces items dits «
d'apprentissage ».
Les moyennes de ces items sont élevées (voir
partie résultats), ce qui permet de dire que pour la majeure partie des
sujets, la visite est évaluée positivement. On pourra ici
rappeler les constats des études de Gottesdiesner, Vilatte, &
Vrignaud (2008) et Protoyerides (1997) qui expliquent la venue au musée
par des images sociales du visiteur de musée, ou du musée
luimême. On peut ainsi penser que c'est pour cette raison qu'un visiteur,
à la sortie d'un musée
évaluera avoir fait une visite intéressante ; le
musée est associé à une image « éducative
» qui peut encourager un sujet à donner un jugement
stéréotypé, plus qu'un jugement personnel. Ce qui
expliquerait le décalage entre le rappel et l'évaluation de la
visite.
On peut également penser au phénomène de
désirabilité sociale « tendance qui consiste, chez
l'individu, à se faire bien voir en exhibant des qualités telles
que, secourable, consciencieux, digne de foi ou amical tout en évitant
de se présenter comme envieux, maussade, ou vaniteux » Bem, 1977
cité dans Meyer, et al., (2005). Un visiteur pourra donc évaluer
sa visite intéressante par crainte de donner une image de lui moins
avantageuse s'il juge un musée « inintéressant », ou
qu'il évalue n'avoir rien appris.
Le phénomène de dissonance cognitive (un manque
de cohérence entre cognition et comportement est source de tension, et
motive les individus à rétablir la consistance) (Meyer et al.,
2005) peut également avoir un impact sur les réponses aux
questions : en effet, un visiteur de musée, quelle que soit sa
motivation, a décidé de visiter le musée, même s'il
estime que la raison de sa venue est une « occasion », il peut donc
paraître incohérent que ce visiteur trouve sa visite
inintéressante. Cela pourrait constituer une forme de contradiction
entre sa venue au musée et son comportement. De la même
façon, le choix de répondre au questionnaire peut encourager le
visiteur à avoir une meilleure opinion de sa visite.
Il peut donc paraître que ce facteur est davantage
influencé par des composantes sociales. La question du rappel, en
revanche, a pu laisser davantage de liberté au visiteur, en ne lui
imposant pas de répondre. On peut donc penser que cette question est
plus révélatrice de l'apprentissage personnel décrit par
Falk et Dierking (1992) (Voir Partie théorique sur l'apprentissage dans
les musées). On peut donc penser, ayant fait ce constat d'une absence de
corrélation entre les deux composantes, qu'il serait intéressant
dans une étude future, de développer des questions de type «
rappel », afin de préciser l'apprentissage.
2ème Constat : Les corrélations avec
les autres composantes. Le deuxième constat de cette recherche concerne
les corrélations avec les autres composantes, ces corrélations
sont cohérentes avec les explications précédentes, en
effet : le niveau de rappel, qui représente l'évaluation «
réelle » de l'apprentissage du sujet est influencé par la
motivation (un sujet motivé personnellement pour venir au musée
démontre un meilleur niveau de rappel des objets du musée qu'un
sujet non motivé). Ce qui permet de répondre à la
problématique générale de la recherche : la motivation a
bien un impact sur les apprentissages. Cependant, comme mentionné
précédemment, l'existence de deux composantes de l'apprentissage
non
corrélées entre elles a perturbé
l'opérationnalisation des variables, c'est pourquoi, ce résultat
mérite d'être nuancé.
L'évaluation de l'apprentissage quant à elle,
est corrélée avec la satisfaction. Comme expliqué
précédemment, cette évaluation ne démontre aucun
lien avec les apprentissages réels (niveau de rappel). On rappellera ici
le constat de Burigana et Caucat (2005) ainsi que de Pearce et Moscado, (2005),
cité dans Kool (1985) : la satisfaction n'est pas liée aux
apprentissages dans les musées. Ce que précise le résultat
de notre étude est le fait que la satisfaction n'est pas liée aux
apprentissages, mais qu'elle peut être liée à
l'évaluation des apprentissages de la visite. On pourra également
poser la dimension sociale pour expliquer ce résultat ; la satisfaction
peut subir les mêmes influences que l'évaluation de la visite.
Ce résultat porte également un enjeu important
puisque la satisfaction est une dimension assez étudiée dans les
musées ; les études démontrent que la satisfaction est un
prédicteur de la fidélité (Passebois, 2005). Or le
résultat de notre étude démontre que la satisfaction est
corrélée avec l'évaluation de la visite, elle-même
influencée par des dimensions sociales. Il serait donc
intéressant de préciser à quoi est véritablement
liée la satisfaction dans les musées, de manière à
évaluer si la mesure de cette dimension est pertinente.
La faible corrélation négative entre la
gêne et la complexité d'une part, et le niveau de rappel d'autre
part est cohérente avec nos interprétations : la gêne
influence (faiblement) l'apprentissage, mais n'influence pas
l'évaluation de l'apprentissage.
Autres constats : Les résultats des entretiens
ont permis de laisser penser à une influence de variables telles que le
niveau de connaissances du domaine ou le lien professionnel avec la
thématique sur l'apprentissage; il était en effet cohérent
de supposer que l'apprentissage serait différent chez les experts du
domaine et les novices. Les résultats ne démontrent cependant pas
cette tendance : le niveau de connaissances du domaine ne change pas
l'évaluation de l'apprentissage, de même, exercer une profession
en lien avec la thématique n'a pas d'impact sur l'apprentissage ; aussi
bien pour l'évaluation de la visite que le niveau de rappel.
On peut mettre en relation ce constat avec ceux de Falk &
Dierking (1992) d'un apprentissage « personnel ». En effet, on peut
penser que le sujet sélectionne ce qu'il désire apprendre et
parvient à un apprentissage quelque soit son niveau de connaissances. Ce
constat permet également de penser, contrairement à ce qui a pu
être remarqué dans les entretiens, qu'il n'est pas
nécessaire d'avoir des connaissances pour apprendre au Musée des
Arts et
Métiers. L'item Découvertes semble être le
seul item à avoir des scores différents selon le niveau de
connaissances et le lien professionnel ; cet impact est toutefois faible dans
le cas de la variable Niveau de connaissances. On rappellera à cet effet
que l'item Découvertes a parfois présenté des
résultats surprenants : corrélation positive (faible) avec la
complexité des sujets. Ce qui permet de se poser la question de la
pertinence de cet item.
L'item Temps passé sur les objets présente
également quelques résultats différents des autres items,
ce qui permet de penser qu'il est possible que cette question soit moins
révélatrice de l'évaluation de l'apprentissage que les
autres items. On peut effectivement percevoir qu'il soit difficile pour un
sujet d'évaluer s'il a « consacré du temps » à
un objet. Il est possible que cette question ait gagnée à
être formulée autrement, en mettant l'accent sur le fait de
consacrer davantage de temps à certains objets par exemple.
Les résultats ont également permis de
démontrer qu'il n'y a pas de lien entre la motivation à venir au
musée et le temps depuis lequel la visite est envisagée.
Même si cette réponse avait pu être déjà
amorcée par les entretiens, elle n'en demeure pas moins un constat
intéressant, permettant d'apporter une caractéristique de la
motivation dans les musées.
On notera un autre résultat surprenant,
particulièrement au vu des études précédentes :
l'accompagnement dans le musée ne semble pas voir d'impact sur
l'apprentissage. Selon Debenedetti (2003), l'apprentissage est plus important
dans le cas d'une visite en famille qu'entre amis (voir partie
théorique). Cette question pourrait donc mériter des recherches
plus approfondies.
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