Conclusion de la deuxième partie
La stricte application de la force obligatoire du contrat fait
de la qualité d'associé une qualité permanente. Cette
permanence a pour conséquence d'empêcher la sortie d'un
associé sur sa propre initiative. Il en résulte qu'un
associé désireux de quitter la société peut se
trouver prisonnier de celle-ci, ce qui est excessivement contraignant pour lui.
Une telle situation présente également un danger pour la
société puisque, dans ce cas, l'associé prisonnier
pourrait devenir un élément perturbateur susceptible
d'entraîner un blocage du fonctionnement de la société et
même d'en menacer la survie. C'est la raison pour laquelle la doctrine et
la jurisprudence reconnaissent à l'associé le droit de ne pas
rester prisonnier de ses titres. Le législateur autorise
également le départ de l'associé désireux de
quitter la société. Un tel départ traduit juridiquement la
prohibition des engagements perpétuels et peut s'effectuer soit avec
maintien, soit avec disparition du groupement.
La cession des droits sociaux et le retrait de
l'associé sont deux modes de sortie de celui-ci qui s'effectuent avec
maintien de la société.
S'agissant de la cession des droits sociaux, elle
transfère la qualité d'associé à autrui. Elle a
donc pour conséquence le départ de l'associé cédant
et l'entrée d'un nouvel associé au sein de la
société lorsque la cession est effectuée à un
tiers. C'est pourquoi la cession est plus ou moins aisée selon la forme
de la société et selon l'intensité de l'intuitus personae
qui la domine. Ainsi, la cession des titres dans les sociétés de
personnes requiert-elle en principe l'accord unanime des associés. Un
associé désireux de quitter la société risque donc
de se trouver prisonnier de celle-ci. En revanche, il ne court jamais ce risque
dans les sociétés de capitaux et les sociétés
à responsabilité limitée lorsqu'il trouve un
acquéreur de ses titres. D'une part, la cession dans ces
sociétés est plus facile que dans les sociétés de
personnes. Dans les S.A.R.L., elle est, en effet, libre entre associés.
Concernant la cession à un tiers, la loi n'exige pas l'accord unanime
des associés ; elle n'exige que l'accord de la majorité
représentant au moins les trois quarts du capital. Dans les
sociétés de capitaux, le principe est celui de la libre
cessibilité des actions, principe d'ordre public qui peut être
limité par le jeu des clauses d'agrément mais qui ne peut en
aucun cas être supprimé. D'autre part, que ce soit dans les
S.A.R.L. ou dans les sociétés de capitaux, la sortie de
l'associé est garantie, en cas de refus d'agrément, par
l'obligation légale d'achat qui oblige la société à
acquérir ou faire acquérir les titres dont le projet de cession a
été repoussé.
Outre la cession des titres, le retrait constitue
également une échappatoire à la permanence de la
qualité d'associé par lui redoutée. Ce droit est
expressément reconnu par le législateur au profit des
associés des sociétés à capital variable et
revêt, à cet égard, un caractère d'ordre public. Par
conséquent, s'il peut être aménagé, il ne peut en
aucune manière être supprimé.
Le droit de retrait peut aussi être reconnu par une
clause au profit des associés des sociétés à
capital fixe. Les clauses de retrait sont, en effet, valables tant au regard du
droit des contrats qu'au regard du droit des sociétés. Cependant,
l'associé désireux de quitter une société à
capital fixe ne peut le faire en l'absence d'une clause autorisant son retrait.
C'est la raison pour laquelle on s'est demandé s'il ne convient pas que
le droit tunisien évolue en la matière. A cette question
on a répondu par l'affirmative en partant d'un constat et d'une
nécessité. On a, en effet, constaté que si
l'associé peut utiliser la cession de ses titres pour quitter la
société, des difficultés peuvent le rencontrer dans la
réalisation de ladite opération. Ces difficultés tiennent
surtout à l'absence d'un acquéreur des titres et se rencontrent
notamment lorsque ceux-ci appartiennent à un associé minoritaire
d'une société par actions ne faisant pas appel public à
l'épargne ou à un associé d'une société de
personnes. Elles peuvent avoir pour effet de rendre un associé
prisonnier de la société alors même qu'il ait perdu
l'affectio societatis. Sur la base de ce constat, une intervention
législative en matière de retrait se révèle
nécessaire à plus d'un titre. D'une part, elle serait de nature
à protéger l'intérêt personnel de l'associé
désireux de quitter la société. D'autre part, elle
permettrait de préserver l'intérêt social puisqu'elle
éviterait les dangers que l'associé prisonnier pourrait
présenter sur le bon fonctionnement de la société, voire
sur sa survie.
Le départ de l'associé peut
également s'effectuer avec disparition de la société
lorsque ce dernier en demande la dissolution. Une telle possibilité
est reconnue par le législateur aux associés des
sociétés en nom collectif et des sociétés en
commandite simple à durée illimitée quand ils se trouvent
dans l'impossibilité de céder leurs parts. En outre, tout
associé a le droit de demander la dissolution de la
société pour justes motifs tels que l'inexécution par un
ou plusieurs associés de leurs obligations et la survenance d'une
mésentente grave entre associés. L'exigence d'un juste motif
montre le souci du législateur de préserver
l'intérêt social puisque la disparition de la
société est en jeu. Mais l'intérêt personnel de
l'associé n'a pas été négligé dans la mesure
où le droit de demander la dissolution de la société pour
justes motifs est reconnu comme étant d'ordre public. L'associé
ne peut, par conséquent, en aucune manière en être
privé.
Au terme de cette étude, il apparaît que la
permanence de la qualité d'associé, telle qu'elle découle
du droit des contrats, est loin d'être absolue.
La stricte application de la force obligatoire du contrat fait
que la sortie d'un associé de la société doive être
consentie tant par celle-ci que par l'associé dont la sortie est
envisagée. Ainsi, la société ne peut-elle pas
écarter un associé contre son gré alors même que son
intérêt l'exige. Inversement, un associé désireux de
quitter la société ne peut le faire par sa seule volonté
et risque, par conséquent, de se voir prisonnier de ses titres. La
qualité d'associé présente donc un caractère
permanent, désiré par l'associé dans le premier cas et par
lui redouté dans le second.
Or, le principe de la permanence de la qualité
d'associé est excessivement contraignant en la matière. C'est la
raison pour laquelle plusieurs modes de sortie de la société
viennent atténuer sa rigueur. Qu'elle soit désirée ou
redoutée par l'associé, la permanence de sa qualité subit
des atténuations, voire des exceptions justifiées tantôt
par l'intérêt social, tantôt par l'intérêt de
l'associé.
Ainsi, la permanence de la qualité d'associé par
lui désirée est-elle fortement atténuée par la
diversité des cas d'exclusion. Ces cas se justifient par le souci de
préserver l'intérêt de la société, celle-ci
étant une institution, une personne morale autonome par rapport aux
associés. Loin d'être permanente, la qualité
d'associé se révèle donc précaire. Il est à
noter, à cet égard, que bien que le droit tunisien consacre
plusieurs hypothèses d'exclusion, la situation actuelle n'est pas
satisfaisante et on espère que l'exclusion sera au nombre des prochaines
interventions du législateur en droit des sociétés.
L'intervention du législateur devrait se faire dans un sens qui
permettrait de libéraliser davantage l'exclusion d'un associé
afin d'assurer une meilleure protection de l'intérêt social.
La précarité de la qualité
d'associé est, cependant, contrebalancée par les garanties
accordées à l'exclu. Celui-ci reçoit, en effet, un
remboursement de son apport. Il peut, en outre, soumettre au juge le
contrôle de son exclusion, à la fois quant à sa
procédure et quant à ses motifs, afin d'écarter toute
exclusion arbitraire. Un tel contrôle peut même aboutir à la
réintégration de l'associé injustement exclu qui reprend
ainsi sa qualité.
Quant à la permanence de la qualité
d'associé par lui redoutée, elle subit aussi des
atténuations justifiées par l'intérêt personnel de
l'associé et traduisant l'idée selon laquelle celui-ci a un droit
à quitter volontairement la société et à ne pas
rester prisonnier de ses titres. Ces atténuations traduisent
également la prohibition des engagements perpétuels. Ainsi, un
associé peut-il échapper à la permanence de sa
qualité par lui redoutée en exerçant l'un des modes de
sortie qui lui sont permis.
La cession des droits sociaux constitue l'une des
échappatoires possibles. Elle a l'avantage de permettre la survie de la
société suite au départ de l'un des associés. Elle
est plus ou moins aisée selon la forme de la société et
selon la qualité de l'acquéreur. Eu égard à
l'intensité de l'intuitus personae dans les sociétés de
personnes, la cession dans ces sociétés n'est, en effet, pas
garantie par la loi dans la mesure où elle requiert en principe l'accord
unanime des associés. Au contraire, dans les sociétés de
capitaux et les S.A.R.L., elle est garantie par la loi puisque ses conditions
ne sont pas assez rigoureuses et surtout puisqu'une obligation légale
d'achat bénéficie à l'associé désireux de
quitter la société en cas de refus d'agrément.
Le retrait de l'associé constitue une autre
échappatoire permettant à celui-ci de fuir la permanence de sa
qualité par lui redoutée. Comme la cession des titres, ce mode de
sortie a l'avantage de laisser survivre la société à
laquelle appartenait l'associé partant. Il permet, par
conséquent, la conciliation des intérêts en
présence. Ce droit est consacré par le législateur au
profit des associés des sociétés à capital variable
et est reconnu, à cet égard, comme étant d'ordre public.
Il peut également être reconnu par le jeu d'une clause aux
associés des sociétés à capital fixe. Mais à
défaut de fondement conventionnel, ces associés ne peuvent
exercer un tel droit. Une intervention législative en la matière
dans le sens de la généralisation du droit de retrait serait donc
la bienvenue.
La demande de dissolution de la société permet
également à l'associé de quitter celle-ci. Mais le
départ de l'associé entraîne dans ce cas
l'anéantissement de la personne morale. Ainsi, un associé d'une
société en nom collectif ou d'une société en
commandite simple à durée illimitée pourrait-il demander
la dissolution de la société lorsqu'il se trouve dans
l'impossibilité de céder ses parts. Un associé pourrait
également invoquer un juste motif de dissolution, comme
l'inexécution par un ou plusieurs associés de leurs obligations
ou la mésentente survenue entre associés, afin de provoquer
l'éclatement de la société et assurer par là
même sa sortie de celle-ci. Une telle possibilité est unanimement
reconnue comme étant d'ordre public.
Toutes ces possibilités constituent des applications du
droit de l'associé de ne pas rester prisonnier de la
société et permettent donc de tempérer la rigueur de la
permanence de sa qualité par lui redoutée.
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