IV. 2. S'accomoder de la légalité pour
organiser des soirées
Même si organiser des fêtes "à l'arrache" a
l'avantage d'assouplir l'organisation de soirées, de croire que ce qui
se produit n'est qu'une fête entre amis, la clandestinité enferme
l'organisation dans une sphère occulte. Pour décrire ce passage
de la clandestinité à la légalité, il convient de
se pencher sur le cas de Tromatik System, un sound system devenu une
association.
Les Tromatik sont nés en 1998 à Perpignan sous
forme de sound system, c'est-à-dire en groupe informel de djs
possédant leur propre système d'amplification du son, d'où
cette terminologie. Henri est un des djs du groupe, "Pitz" est son surnom et
son pseudonyme. Il est le seul membre du groupe avec qui je me suis entretenu.
Il qualifie sa découverte des soirées techno deux ans auparavant
de "gros coup d'électrochoc", un moment fort qui le pousse
à devenir dj. Cela rappelle le "traumatisme".
Le temps de se faire la main dans quelques bars et dans des
petites soirées en groupe, les Tromatik System décident en 1999
de se lancer dans la free party. Beaucoup de lieux peuvent se prêter
à ce genre d'événements dans les Pyrénées
Orientales. Ils organisaient plusieurs free parties pendant l'année et
un teknival en été. Ils ont même une fois collaboré
en Espagne avec les Mental Resistance, ceux qui rassemblaient 1500 personnes
dans l'Aude lorsque "les petites teufs" de Perpignan ne comptait que
"200-300 personnes". Comme je le défendais plus haut, organiser
des fêtes est de l'ordre du social, alors, lorsqu'Henri parle de
l'évolution du sound system, il s'agit de l'évolution du groupe,
de la sortie des uns et de l'entrée des autres. En 2001 selon lui,
"il y a eu une vraie cohésion".
Au passif de Tromatik : un meurtre dans l'une de leur
soirée à Corbère-les-Cabanes. Pour Henri, il s'agissait d'
"une explication entre un groupe de punks et un groupe" . Un homme est
blessé, un autre est mort. "Bon voilà, on a fait la une sur
TF1". Mais le sound system n'a eu à subir que la perquisition de
l'ordinateur sur lequel le flyer avait été conçu. Alors,
le sound system a continué à organiser des soirées
"illégal[es] à 100%" dans divers lieux du
département jusqu'à la Franqui : "une énorme teuf,
c'était vraiment la dernière teuf illégale qu'on a fait et
où d'ailleurs on a eu des problèmes avec les flics". Cette
soirée a marqué leur entrée dans la
légalité.
En plus du sound system, Tromatik System devient une
association en 2003. Henri avoue "Au départ, on faisait ça
à l'arrache, même si on était une asso. Et là,
de plus en plus, avec l'expérience on fait les choses carrées,
avec des autorisations de débit de boissons, des contrats, tout
ça ". Un changement de statut ne transforme pas les pratiques
d'organisateurs. Mais cette nouvelle image leur a ouvert davantage de moyens de
s'exprimer, pouvoir "occuper tous les terrains" comme Henri le
décrit, c'est-à-dire organiser des soirées dans des clubs,
des mas ou même dans les rues de
Perpignan à la fête de la musique. L'objectif
officiel de leur association, comme beaucoup d'autres du même type est de
promouvoir les musiques électroniques et les arts qui l'environnent
(pour eux le graffiti) et officieusement c'est de "faire la fête,
organiser des soirées et peu importe la manière... enfin, la
manière : le lieu et les conditions". Pourtant, ils savent
organiser une soirée "dans les règles de l'art" pour en
avoir fait l'expérience.
Organiser "à l'arrache" est plus un état
d'esprit des organisateurs qu'un rapport direct à la loi. C'est ce que
je pense lorsque je dis que "rien n'est interdit du moment qu'on ne se fait pas
prendre". J'ai utilisé volontairement l'expression "à l'arrache"
employée par deux organisateurs afin de mettre en valeur leurs
"expérience[s] de vie"63 (Dubet F., 1987). Cette
manière d'organiser est une résistance contre la
responsabilité et une esthétique artistique : on ne va pas
respecter les règles imposées parce qu'elles sont justes et que
leur respect signifie organiser une fête techno sans risque pour les
participants et pour les organisateurs. Ces règles sont davantage
perçues comme des contraintes. De plus, cette résistance est un
moyen de faire la fête comme à ses débuts, ne pas se
soucier de la sécurité des autres et les laisser responsables
d'eux-mêmes. Après avoir exposé ce qu'organiser "à
l'arrache" peut signifier, nous allons aborder l'organisation "dans les
règles de l'art", une autre manière d'organiser la fête
techno, une autre manière de décrire son organisation.
63 Dubet F., La Galère : Jeunes en
Survie, Fayard, 1987, pp. 9 et 111.
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