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Les organisations de soirées techno. Le loisir dans l'institutionnalisation du mouvement

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par Fabrice JALLET
Université Paris VII Denis Diderot - Master sociologie des politiques culturelles 2009
  

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Chapitre premier :

Idéal-typification des organisations de soirées

techno et le problème de l'usage des typologies

I. L'intérêt d'une idéal-typification

Pour construire un objet de science, j'ai rattaché les organisations particulières dans l' "organisation" avec tout ce que chacune comprenait d'éléments spécifiques. Ensuite, il a fallu classer tout ces éléments de manière à y apporter une logique scientifique. Au moyen de la sélection, j'ai réussi à dégager les éléments les plus pertinents pour tracer des figures plus typifiées.

Bien entendu aucune organisation particulière ne correspond à un type conceptualisé. Le travail du chercheur n'est pas de restituer à chaque interlocuteur ce qu'il fait au plus proche de ce qu'il pense qu'il fait mais de clarifier une situation pour que celle-si soit plus compréhensible pour tous. Ainsi, il convenait de puiser chez un père de la sociologie, Max Weber, le concept d' "idéal-type", afin de mieux mettre en évidence les figures les plus repérables de l'organisation de soirées techno. Idéaliser en partie les données reccueillies permet de faire la distinction d'éléments, qui, dans la réalité, sont imbriqués par rapport aux institutions et aux comportements des individus.

"L'idéal-type est un tableau de pensée, il n'est pas la réalité historique, ni surtout la réalité "authentique", il sert encore moins de schéma dans lequel on pourrait ordonner la réalité à titre exemplaire. Il n'a d'autre signification que d'un concept limite purement idéal, auquel on mesure la réalité pour clarifier le contenu empirique de certains de ses éléments importants, avec lequel on la compare"29 (Blin T., 1995). L'idée développée par Thierry Blin concourt aux précautions que doit prendre le chercheur lorsqu'il mobilise un tel outil pour à la fois comprendre la réalité et transmettre sa réflexion. Ainsi, pour éviter la démarche réductionniste consistant à ne voir la réalité qu'au regard de l'idéal-type, son auteur a le devoir d'expliciter le résultat de son enquête de terrain, le déroulement de sa pensée et l'objectif d'une telle entreprise.

La typologie que je vais proposée s'éloigne cependant quelque peu de la "pureté" exigée par l'idéale typification. Elle rend compte à la fois d'une typologie mise en évidence par les recherches accomplies sur la fête techno et d'une autre typologie mise en évidence sur les musiques populaires. Nous allons donc tout d'abord présenter ces deux typologies avant de tenter d'en construire une qui conceptualise les organisations de fêtes techno observées.

II. L'usage de typologies antérieures pour construire une typologie de l'organisation de la fête techno

Stéphane Hampartzoumian distingue deux types de mouvements techno distincts sur le critère du rapport à la loi à la suite de la rupture du mouvement techno en 1996. "Appelons sédentaire la

29 Blin T., Phénoménologie et sociologie compréhensive sur Alfred Schütz, L'Harmattan, 1995, p.88

première tendance du mouvement techno qui oeuvre à institutionnaliser la techno, et nomade la seconde tendance qui oeuvre à désinstitutionnaliser la techno. Cette distinction conceptuelle empruntée à Gilles Deleuze et Félix Guattari permet de mieux penser cette complexité interne du mouvement techno."30 La tendance nomade se définit donc par le caractère clandestin des fêtes techno et la défiance envers toute autorité. Elle est appelée "nomade" car le mode de vie nomade est un obstacle à son institutionnalisation. "La fête techno nomade est délibéremment une effraction et une infraction, elle ne s'autorise que d'elle-même31 ". La tendance sédentaire promeut au contraire l'institutionnalisation du mouvement techno et le dialogue avec les autorités, notamment par l'intermédiaire de représentants. "Processus voulu autant par les institutions, qui préfèrent intégrer le phénomène techno plutôt que de le voir se développer en dehors de leurs compétences, et de la part d'une partie des acteurs techno qui aspirent légitimement à se professionnaliser" (Hampartzoumian S., 2004). À la différence de Stéphane Hampartzoumian, je pense qu'il convient de distinguer deux types dans la tendance techno sédentaire car elle n'est pas unifiée. Dans son travail, il distingue ces deux grandes tendances mais ne centre pas sa recherche sur le mouvement techno institutionnalisé.

Une autre typologie est me semble pertinente pour comprendre l'organisation de fêtes techno. Celle- ci conceptualise l'intervention des politiques publiques dans les musiques populaires. Dans un article, Gérôme Guibert distingue trois types de médiation correspondant à trois logiques traversant la production des musiques populaires. La première est l'économie de marché. Dès la Troisième République, un marché de la culture se met en place dans les musiques populaires qu'il produit et exploite avec l'aide de l'Etat. La deuxième est celle de l'action des politiques culturelles dans ces musiques depuis l'arrivée de Jack Lang au Ministère de la Culture en 1981. L'apparition de la Techno Parade à Paris en 1998 est de cet ordre. Il définit entre ces deux pôles une zone non-aidée revendiquant une production contre-culturelle qu'il qualifie d' "underground" et que l'action politique tente d'investir depuis le second septennat mitterrandien32. "Cela donne lieu à l'apparition d'un nouveau mode de médiation musicale, original, un « tiers-secteur ». Les nouvelles structures aidées, issues de l'underground, se définissent, en effet, comme défendant une logique privée non lucrative, associative. Ni entreprise capitaliste, ni institutions publiques, ces structures sont en partie financées par des subventions". Ce dernier est une zone de transition d'un pôle à l'autre 33 (Guibert G., 2005).

La musique techno est devenue un style prisé par les jeunes générations de "fêtards". Au-delà, on

30 Hampartzoumian S., op. cit., p.212 : l'empreint de Stéphane Hampartzoumian à Gilles Deleuze et Félix Guattari est tiré de leur ouvrage, Mille Plateaux, Paris, Editions de Minuit, 1994, p.592.

31 Hampartzoumian S., op. cit., p.216

32 Je reviendrais sur cette notion d' "underground culturel" dans la partie IV du Chapitre 2 (p. 40)

33 Guibert G., op. cit.

entend ce style dans des lieux où l'on ne l'aurait jamais soupçonné : à la télévision, dans les supermarchés, dans les bars.. .Les professionnels de la fête, les discothèques et les boîtes de nuit en chefs de file, mais d'autres encore se sont rués sur cette évolution des goûts et ont enclenché la commercialisation de ce style de musique. De plus, comme le prévoyait Stéphane Hampartzoumian, de nombreux acteurs du mouvements techno sont parvenus à se professionnaliser dans ce secteur culturel. Je traiterais d'ailleurs le cas de Julien qui a créé une maison de disques sous forme d'entreprise.

On peut par conséquent rapprocher une partie de la tendance institutionnelle de la fête techno au producteurs de musiques populaires du tiers-secteur et l'autre. En croisant ces deux typologies, trois figures de l'organisation apparaissent : l'organisation clandestine, l'organisation institutionnalisée non-lucrative et l'organisation institutionnalisée commerciale.

III. Usage figé versus usage dynamique de l'idéal-typification

Toutes les organisations rencontrées au cours de l'enquête sont des organisations de type "sédentaire", contrairement à la tendance "nomade" étudiée par Stéphane Hampartzoumian. La recherche de Stéphane Hampartzoumian a eu lieu au début de la décennie 2000 et au début du processus d'institutionnalisation du mouvement techno et ne rend pas compte de l'organisation de fêtes techno telle que je l'ai observé. Comme il l'explique son "choix de cet aspect particulier du phénomène techno s'impose moins par goût que par un souci d'efficacité heuristique. En effet, la radicalité de la tendance nomade du mouvement techno permet d'offrir un objet d'une radicale lisibilité au sociologue. Notons que cette lecture sociologique est plus difficile, mais tout aussi possible à faire avec la tendance sédentaire"34 (Hampartzoumian S., 2004). Il est important de noter que sa typologie sert des objectifs dans les limites de son enquêtes et de sa réflexion. À vouloir mieux penser la réalité par les idéaux-types, le risque de mal en rendre compte apparaît. Entre les deux grands types, la fête techno nomade et la fête techno sédentaire retenus par le GREMES, je cherche à en montrer un troisième, celui correspondant à la "fête techno loisir". En effet, l'intention des organisateurs est à prendre en compte lorsque l'on définit les deux types de fête. Les organisateurs, agissent-ils nécessairement par rapport à la loi ? Certains ne s'accomodent-ils pas des procédures pour organiser des fêtes sans toutefois vouloir se professionnaliser ? Je chercherai ainsi à mettre en évidence entre le traveller et le businessman, la figure de l'amateur-pratiquant de la fête techno.

Au cours de l'enquête, seulement deux organisateurs s'étaient professionnalisés dans le milieu

34 Hampartzoumian S., op.cit. p.223

techno et un seul dans la fête techno. Les autres sont des organisateurs "ni ni", donc peut-être des amateurs-pratiquants. En revanche, je ne cherche pas ici à quantifier la présence de l'amateurisme dans la fête techno mais simplement montrer que cette logique d'organisation existe au même titre que les deux autres. Et bien que des organisations soient sédentaires et légalement enregistrées, les soirées qu'elles organisent n'ont pas toujours été et ne sont pas toujours légales. Ensuite, une organisation peut très bien avoir une finalité non-lucrative et employer des techniques commerciales dans son activité. Enfin, la finalité commerciale d'une autre peut très bien être poursuivie par des moyens non commerciaux. On peut donc affirmer que mon terrain est lié avec et se situe entre les deux grandes tendances. Par conséquent, les distinctions précédemment exposées ne constituent pas le cadre d'analyse figé qui permettrait comme par "subsomption" de rendre compte des situations observées dans mon enquêtes de terrain, ni de bâtir un cadre d'analyse pertinent pour la sociologie. En revanche, ces distinctions seront utiles pour construire a posteriori le cadre d'analyse dans un ajustement avec les données d'enquête. Je décide donc de faire un usage dynamique de l'idéal typification effectuée par les recherches antérieures.

IV. Une typologie ad hoc

Plutôt que de rejetter le concept d'idéal-type dans sa globalité, j'ai construit une typologie qui me semble rendre mieux compte de la réalité du terrain. Comme je l'ai déjà précisé plus haut, ce travail de terrain n'avait pas vocation à observer toutes les manières possibles d'organiser une fête techno, mais de reccueillir des manières de faire d'organisateurs rencontrés. "Les relations établies sont considérées de manière privilégiée sous un certain angle, la modélisation est dépendante du réel étudié mais aussi de tout le stock de connaissance disponible, et pour les besoins de la recherche en cours, elle va en accentuer certaines caractéristiques, en laisser d'autres dans l'ombre"35 (Watier P., 2002). Ma démarche ne se trouve pas si éloignée de l'idéal-typification. Avant de montrer quelle est cette typologie, il faut tout d'abord circonscrire le pan du réel observé.

Sept des huit organisations que j'ai rencontrées étaient implantées dans les Pyrénées Orientales. Leur rayon d'action dépasse ces frontières, mais elles ne s'aventurent pas au-delà de la Catalogne Sud et de l'Aude. Une organisation est implantée à Grenoble. Un partenariat avec une organisation des Pyrénées Orientales y expliquait sa présence. Ensuite, elles sont toutes des associations à l'exception d'une qui est une maison de disques. Des clubs et salles de concerts seront cités mais seulement lorsqu'il s'agit de partenariats avec les organisations visées. J'aurais pu presque les inclure dans la deuxième figure des organisateurs, mais cela aurait été insuffisant pour les comprendre

35 Watier P., op. cit., p.115

puisque je n'aurais eu aucun point de comparaison, et puis un classement arbitraire aurait été réducteur. Pourquoi réducteur ? Parce que ces organisations n'ont pas cherché à appartenir à une figure, que le choix de leur fonctionnement dépend de leurs valeurs, de leurs histoires et de leurs pratiques. Je propose donc d'analyser les organisations à l'aune d'une typologie proche des précédentes mais construite ad hoc, par ajustement progressif à la spécificité de mes données. Nous verrons tout d'abord qu'organiser une soirée "à l'arrache" perpétue des pratiques rattâchées aux "premières heures" du mouvement techno et nous tenterons de comprendre pourquoi les problèmes rencontrés poussent les organisateurs à s'institutionnaliser. L'organisation "dans les règles de l'art", sera la deuxième figure de cette typologie. Elle exprimera la tendance qu'ont de plus en plus d'organisateurs à respecter les règles établies par les autorités publiques pour éviter les risques de la clandestinité, mais également de se responsabiliser lorsque l'on veut être organisateur de soirée techno. Enfin, la troisième figure est celle de l'organisation "entrepreneuriale", celle qui recherche dans les techniques d'entreprises commerciales les moyens de mener à bien l'organisation de ces soirées.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault