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Le droit des communauté à  un environnement sain

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par Boris TCHOMNOU
Université de Limoges - Master II 2006
  

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CHAPITRE III :

LES ATTEINTES AU DROIT DES COMMUNAUTES FORESTIERES

A UN ENVIRONNEMENT SAIN PAR L'INOBSERVATION

DES MODALITES D'EXPLOITATION FORESTIERE.

Le récent afflux de capitaux privés asiatiques dans le secteur forestier d'Afrique Centrale81(*), l'application ineffective de la législation en vigueur82(*) ont amené dans la sous région des méthodes d'exploitation forestière plus agressives et plus explicitement dénudées de préoccupations à long terme; telle est par exemple l'exploitation d'un grand nombre d'essences indispensables pour la survie des populations forestières.

En effet, de multiples atteintes aux droits des communautés riveraines et surtout des peuples vivant à l'intérieur même de la forêt (les pygmées), peuvent être constatées pendant la phase d'application concrète des modalités d'exploitation des forêts (section2); Mais, il convient de dégager au préalable les causes de l'inobservation de la réglementation en vigueur (section1).

Section 1 : Les causes du non-respect des modalités d'exploitation des ressources forestières.

Les causes d'inobservation des modalités d'exploitation des forêts sont diverses. Mais, celles susceptibles de retenir notre attention sont de deux ordres : Les causes liées à l'administration en charge de la gestion des forêts (§1) et les causes imputables à la participation passive, à l'ignorance des contraintes liées au contexte socio-culturel des populations forestières (§2).

§ 1 : Les causes imputables à l'Administration et aux exploitants forestiers.

Si la philosophie de base des nouvelles législations forestières de la sous région vise la pérennisation et le développement des fonctions économiques, écologiques et sociales des forêts dans le cadre d'une gestion intégrée et participative qui assure de façon soutenue la conservation et l'utilisation des ressources et des écosystèmes forestiers, il convient de noter tout de même que l'un des traits communs auxdites lois, demeure leur vulgarisation insuffisante (A). Aussi, l'inapplication des lois forestières est due entre autres au laxisme et au phénomène de la corruption des pouvoirs publics (B).

A : La sensibilisation et la vulgarisation insuffisante de la législation forestière.

La mauvaise application des lois et règlements en matière de gestion des ressources forestières est en partie due à l'absence de sensibilisation et ou à la vulgarisation insuffisante desdites lois auprès de tous les acteurs qui, soit directement, soit indirectement participent à la gestion ou à l'exploitation des forêts. L'exemple du recouvrement des pénalités liées au secteur forestier congolais83(*) n'est qu'une illustration de ce qui se passe de manière générale dans la sous région. En effet, la non maîtrise des principales dispositions des textes législatifs et réglementaires en vigueur, non pas seulement par les opérateurs économiques du secteur, mais aussi par l'administration des eaux et forêts est légion. Ainsi, la délivrance incontrôlée des permis de bois d'oeuvre et des permis spéciaux, la perception des taxes non prévues par la loi y sont récurrentes.

La sensibilisation et la vulgarisation insuffisantes de la loi dans la sous région est le plus souvent à l'origine des activités illégales. Ces activités se manifestent de deux façons au moins: D'une part, les coupes illégales telles; la coupe en dehors des limites de la zone d'exploitation, la coupe sans autorisation par certains particuliers et même par la population locale, la sous-traitance de l'exploitation de coupe, la coupe d'arbres dont le diamètre est inférieur à la norme autorisée ( les exploitants prétendent dans ce cas qu'il s'agit de la partie supérieure d'un gros tronc, trop grand pour être transporté en un seul morceau sur le camion), le non-respect des restrictions locales telle que la coupe de moabis dans un rayon de 5 km d'un village.

D'autre part, de fausses déclarations84(*) sont régulièrement octroyées à certains exploitants forestiers. C'est notamment le cas de la Compagnie forestière du Cameroun85(*) qui opère dans la province de l'Est du Cameroun et qui a pendant longtemps bénéficié de nombreuses faveurs de la part de l'administration au mépris de la réglementation en vigueur. Ainsi, les permis de coupe dont la CFC a bénéficié lui ont été attribués sans suivre les procédures prévues par la loi. L'attribution de 4 ventes de coupe s'est faite sans l'avis d'une commission technique compétente.

Toutefois, les manquements à la législation forestière ne sont pas uniquement dus à l'ignorance de la loi. La corruption et le laxisme des agents publics chargés de l'application effective des modalités d'exploitation des ressources forestières y contribuent aussi.

B : Le laxisme et la corruption des pouvoirs publics en charge de la gestion des forêts.

Conformément aux exigences des IFI, la quasi-totalité des gouvernements de la sous région ont réduit le nombre de leurs employés du secteur public et leur salaire. Le secteur forestier ne se soustrait pas à cette exigence. La médiocrité du contrôle et du suivi des activités des sociétés ou compagnies forestières dans la plupart des pays de l'Afrique Centrale apparaît comme l'une des conséquences des exigences des IFI.

Au Cameroun par exemple, les services publics et en particulier forestiers sont dépourvus de ressources humaines. Les contrôleurs ne disposent pas souvent de moyens de transport, alors que les concessions qu'ils doivent contrôler se situent dans les provinces du Sud-est et de l'Est, à des centaines de kilomètres de la capitale (Yaoundé) ou parfois loin des villages. Pour les contrôles sur le terrain, les fonctionnaires dépendent souvent des camions des concessionnaires qui les emmènent elles-mêmes dans leurs concessions; Il va de soi que cela ne favorise pas l'objectivité du contrôle, car si le contrôleur ose verbaliser sur place, on les empêche de revenir avec les grumiers. Au-delà du manque de moyens de déplacement, les contrôleurs sont mal rémunérés. Dans de telles circonstances, il n'est guère étonnant que certains fonctionnaires soient sujets à la pratique de corruption ou bien ne soient pas motivés pour effectuer des contrôles stricts. Ainsi, l'établissement d'un procès-verbal de constat d'infraction n'est pas systématique après les opérations de contrôle forestier. Aussi quand bien même ces procès-verbaux sont établis, certains disparaissent au sein du MINFOF, soit en échange de pot de vin payé au personnel du ministère ou à son supérieur hiérarchique, soit ces procès sont gardés dans un dossier qui servira aux fonctionnaires pour extorquer de l'argent aux sociétés qui devraient sinon payer une contravention. Pourtant, « seul le procès-verbal donne lieu à l'existence légale des activités illégales »86(*). Cette négligence de l'administration et la pratique de la corruption permettent à des sociétés délinquantes de se soustraire aux rigueurs de la loi.

Au Gabon, seuls 40% des agents du ministère des eaux et forêts sont nommés à des bureaux locaux et chargés des opérations de terrain. En moyenne, un agent supervise 86.400 hectares de concessions forestières. Comme au Cameroun, en RDC et au Congo Brazzaville, les agents manquent aussi de moyens de transport au Gabon; Dans plusieurs provinces, un seul véhicule est disponible pour plus de 240.000 hectares de concessions87(*).

En somme, le secteur forestier de la sous région reste encore menacé par certaines activités illégales ; l'illégalité étant d'abord due au manque de sensibilisation et de la vulgarisation des textes législatifs auprès des différents acteurs intervenant dans le secteurs forestier. L'autre cause qui n'est pas la moindre, résulte du fait que le législateur forestier n'a pas tenu compte des réalités locales pendant l'élaboration de la loi.

§ 2 : Les causes imputables à la participation passive et à l'ignorance des contraintes liées au contexte socio- culturel des populations forestières.

Si la plupart des pays de l'Afrique Centrale garantissent à travers leurs législations forestières respectives le droit des communautés riveraines à un environnement sain, il n'en demeure pas moins certain que l'application des modalités d'exploitation des forêts révèle des atteintes aux droits des populations riveraines. Ces violations sont dues aussi à la participation passive de ces dernières au processus décisionnel (A) qu'à l'ignorance des contraintes liées au contexte socio-culturel local (B).

A : La participation passive des populations forestières au processus décisionnel.

La participation et l'implication des populations riveraines dans la gestion des ressources forestières, faut-il le rappeler, constitue la « raison d'être » des forêts communautaires. L'étude de l'état des lieux de la foresterie communautaire camerounaise qui a valeur d'exemple dans la sous région, montre une implication plus ou moins directe des acteurs extérieurs88(*)dans le processus d'acquisition des forêts communautaires. En effet, la force motrice de l'acquisition et de l'exploitation des forêts communautaires est l'exploitation forestière pour le bois d'oeuvre. En dehors de quelques cas observés dans les provinces du sud-ouest et du Nord-ouest, l'option bois d'oeuvre est privilégiée dans les provinces du Sud, de l'Est et du Centre où se trouvent la majorité des forêts communautaires du Cameroun. Or, l'exploitation forestière pour le bois d'oeuvre reste une question de pouvoir et de moyens financiers, non accessibles aux populations forestières dont l'état de pauvreté n'est plus à démontrer.

Par ailleurs, le processus de mise en oeuvre des forêts communautaires n'a pas donné lieu à de réelles négociations entre les populations et les autres intervenants. La multiplicité des conflits89(*)

autour des forêts communautaires est la preuve patente de la participation passive et de l'implication fictive des populations locales dans la gestion des forêts communautaires. Ainsi, les populations participent à travers l'information sur ce qui va se passer ou qui s'est déjà passé. C'est une annonce unilatérale par l'administration ou les responsables de projets sans écoute des réponses des populations, l'information est partagée uniquement entre les professionnels externes à la communauté. Ou encore, les populations riveraines participent en émettant un simple avis facultatif; c'est dire que au terme du processus de consultation, les professionnels ne sont pas tenus de prendre en considération les points de vues des populations.

L'autre forme de participation passive trouve sa source dans les législations en vigueur dans les pays de la sous région. Quelques cas nous serviront d'exemple :

En RCA, seul l'Etat fixe unilatéralement les conditions d'accès aux ressources et de partage des avantages. Les ressources forestières ne se soustraient pas de cette exigence.

En RDC, « le sol et le sous-sol appartiennent à l'Etat, les conditions de leur concession sont fixées par la loi » (art. 3 de l'Acte constitutionnel de la transition du 9 Avril 1994). Ce principe constitutionnel est entériné par la loi n° 11/2002 du 29 Août 2002 portant code forestier en RDC, qui précise que « les forêts constituent la propriété de l'Etat » (art.7).

Au Cameroun, la réglementation en vigueur consacre la propriété de l'Etat sur la terre et l'ensemble des ressources forestières.( art. 6 de la loi de 1994 sur les forêts; art.1 de l'ordonnance du 6 juillet 1974 fixant le régime foncier).

Il ressort de toutes ces législations que les populations ne sont que des bénéficiaires de simples droits de jouissance ou des droits réels conditionnels. Par conséquent, les populations riveraines n'étant pas propriétaires des forêts, n'ont pas qualité d'agir en justice pour faire cesser les opérations illégales90(*) qui sont de plus en plus récurrentes dans les massifs forestiers de l'Afrique Centrale. Allant dans le même ordre d'idée, le statut de deniers publics reconnus aux redevances forestières91(*) limite la participation des populations bénéficiaires. Ainsi, n'étant pas propriétaires des redevances forestières, les populations forestières n'ont pas qualité d'ester en justice pour faire cesser les malversations ou les détournements de certains fonctionnaires locaux véreux.

La participation des populations locales s'est limitée jusqu'ici à la participation communautaire, c'est-à-dire essentiellement passive. Les méthodes et outils pour assurer la participation des communautés riveraines n'ont pas intégré le fait que le processus (accès aux ressources et revenus), est un enjeu de pouvoir important. L'ignorance des enjeux politiques de la foresterie communautaire par les projets et les ONG est une faiblesse importante du processus actuel en Afrique Centrale92(*)

B : L'ignorance des contraintes liées aux contextes économique, social et culturel local.

Le caractère facultatif des avis émis par la population pendant la phase d'élaboration des modalités d'exploitation des forêts a eu comme conséquences, la non prise en compte des contraintes liées aux contextes économique, social et culturel local. Ainsi, les processus de création ou de classement et d'exploitation des forêts, en particulier des forêts communales et communautaires, n'ont pas intégré les facteurs du contexte spécifiques aux populations riveraines. ces facteurs sont de quatre ordres à savoir: l'attentisme des populations forestières, leur inorganisation, leur perception par elles-mêmes et leur faible niveau de revenu. Il convient de les analyser successivement.

D'abord, l'attentisme des populations forestières se présente de manière aiguë dans la sous région et est lié à plusieurs raisons : La facilité à vivre dans un milieu qui regorge de ressources et dont on peut disposer sans fournir beaucoup d'efforts, l'habitude de recevoir des dons venant soit du gouvernement, soit des exploitants forestiers, la faible ouverture au monde extérieur liée à l'enclavement, à l'absence ou au mauvais état des infrastructures de communication. Le constat général est que les populations, enclines au gain facile et à court terme, hypothèquent leurs ressources et leur avenir93(*). C'est pourquoi les populations peuvent être considérées comme des agents destructeurs de leur propre environnement.

Ensuite, la faible organisation des communautés forestières94(*) rend difficile, voire inefficace l'application des modalités d'exploitation des ressources forestières. Dans les pays de la sous région, les populations locales travaillent généralement de manière individuelle et sont de ce fait à la merci des acteurs extérieurs qui disposent de pouvoirs politiques, administratifs, financiers et relationnels pour tirer avantage des ressources forestières.

Enfin, la perception des populations par elles-mêmes et leur faible niveau de revenus ne font pas d'elles de véritables partenaires dans le processus de mise en oeuvre des modalités d'exploitation des forêts. En effet, les populations forestières ne s'estiment pas à une grande valeur et ont d'elles-mêmes une image, qui les place dans une position inférieure aux autres acteurs sociaux; en l'occurrence des « élites » et des fonctionnaires. Elles n'osent pas « lever la tête devant eux », ni leur parler « d'homme à homme ». Ce facteur rend difficile la mise en oeuvre d'un processus de négociation approprié, indispensable pour la réussite de l'exploitation participative et durable des forêts en Afrique Centrale. Par ailleurs, le taux de revenus des peuples forestiers est généralement faible et nul; ce qui les met à la merci de tous les pouvoirs d'argent.

Tous ces facteurs traduisent la qualité de la participation (passive) des populations riveraines ou vivant à l'intérieur de la forêt, dans le processus d'acquisition et d'exploitation des forêts. Et la conséquence immédiate c'est que l'un des objectifs primordiaux95(*) de l'implication des peuples forestiers est loin d'être atteint, car au lieu de promouvoir le développement économique local, l'exploitation des ressources de la forêt a dans la majorité des cas, favorisé plutôt l'avancement de la pauvreté et par conséquent la violation du droit des populations forestières à un environnement sain.

Section 2 : Impacts négatifs de l'exploitation illégale des forêts sur les droits des communautés forestières.

L'inaptitude des gouvernements des Etats de la sous région à appliquer leur législation respective en vigueur et l'implication fictive des populations forestières dans la gestion des forêts ont favorisé l'exploitation illégale des ressources forestières. Assurer aux populations riveraines un cadre de vie sain (objectif pourtant visé par les lois forestières de la sous région) n'est, au regard des activités illégales pratiquées dans les massifs forestiers de l'Afrique Centrale, qu'un voeu pieux. Certes, en termes sociaux, la réputation des sociétés forestières est mitigée 96(*): D'un côté, certaines d'entre elles satisfont aux obligations des cahiers de charges. Ces obligations se résument en la réalisation des oeuvres sociales au profit des populations forestières et au respect du plan d'aménagement de la forêt concernée. D'un autre côté, d'autres sociétés prospèrent par leurs activités illégales et portent ainsi de graves atteintes aux droits des peuples riverains ou de la forêt.

Les impacts négatifs de cette exploitation forestière s'observent non seulement au niveau de la déstructuration et de la dégradation du cadre de vie des populations forestières (§ 1), mais l'exploitation illégale altère aussi l'alimentation et aggrave la situation sanitaire des villageois (§2).

§ 1 : La dégradation et la déstructuration du cadre de vie des populations forestières.

L'exploitation industrielle des forêts a un impact négatif considérable sur le milieu (A) et le mode (B) de vie de la population vivant à proximité ou à l'intérieur des forêts.

A : La dégradation de leur milieu de vie.

Les populations villageoises riveraines ou vivant dans la forêt, n'exercent généralement qu'une influence minime sur la définition des modalités de l'exploitation des forêts. En effet, le lancement d'une opération forestière industrielle constitue pour les populations, une surprise qui modifie considérablement leur milieu de vie97(*). Ce handicap favorise l'activité illégale de certains exploitants industriels du bois. De manière générale, l'exploitation industrielle du bois ouvre un accès à la forêt, avec toutes les conséquences que l'intrusion d'acteurs nouveaux entraîne dans le « système socio- écologique »98(*). Pour abattre seulement les meilleurs arbres de quelques essences de grandes valeurs, les sociétés tracent des routes sur de vastes zones de forêt inaccessibles auparavant; cela facilite l'afflux des populations à la quête d'emplois et ouvre la forêt à d'autres activités tels que : la chasse commerciale de gibier, le défrichement ou le feu de brousse à des fins agricoles. L'industrie forestière a facilité directement et indirectement une augmentation importante du braconnage; par conséquent certaines espèces fauniques sont en voie d'extinction. Par exemple au Cameroun la réserve de Dja (située dans la province du Sud) est menacée par les activités d'exploitation forestière.

L'exploitation industrielle et illégale du bois a aussi un impact surtout qualitatif sur la flore. En coupant par exemple les gros arbres, l'exploitant élimine aussi les arbres qui produisent les meilleures graines. Les espèces exploitées souffrent ainsi d'érosion génétique et leur régénération naturelle s'en trouve ainsi affectée. En outre, le bruit des engins forestiers fait fuir la plupart des primates et suidés. La construction des routes et layons limite aussi les déplacements des buffles et éléphants, les mettant ainsi à la merci des braconniers. Par ailleurs, la déforestation provoque l'érosion du sol, entraînant des accumulations de terres qui remplissent progressivement les cours d'eau; ceci empêche la pénétration du soleil, ce qui affecte les poissons et les plantes aquatiques. De plus, le blocage de cours d'eau par les troncs d'arbres crée de sites d'eau stagnante qui devient impropre à la consommation.

La dégradation du milieu de vie des populations forestières entraîne une érosion des pratiques coutumières menaçant ainsi leur mode de vie.

B : La déstructuration de leur mode de vie.

Les activités d'exploitation forestière dans la sous région, altèrent souvent le mode de vie des populations locales et autochtones et tout particulièrement, celui des peuples vivant dans la forêt (pygmées). En réalité, il est presque impossible pour ces derniers d'adapter leur mode de vie traditionnel très proche de la nature à l'économie de marché qui a largement pénétré les forêts d'Afrique Centrale. Paradoxalement, ce sont eux qui souvent, sont loués pour quelques jours par les entreprises comme prospecteurs pour indiquer les essences d'arbres intéressantes (non pour leur protection) sur le plan commercial99(*). Ces pygmées accélèrent ainsi la fin de leur mode de vie traditionnel et la perte de la richesse de leur connaissance des produits de la forêt et de la nature. De cette manière, les habitants de la forêt, ignorant parfois l'impact négatif de la déforestation sur leur mode de vie, participent souvent inconsciemment à la destruction de leur propre environnement.

Par ailleurs, les chantiers d'exploitation forestière agissent comme un pôle d'attraction, attirant souvent des milliers de personnes au coeur de la forêt équatoriale d'Afrique Centrale. Ces nouveaux villages sont totalement dépendants des ressources forestières. Dans la plupart des pays de la sous région, les conditions de travail sont lamentables dans les industries du bois; les salaires sont très bas100(*). Outre un salaire de base très bas, les chauffeurs des camions sont payés selon un système de primes sur la quantité de bois qu'ils transportent et la rapidité à laquelle ils les acheminent au port pour exportation. Un tel système pousse les travailleurs à charger lourdement les camions, à rouler vite, à s'octroyer peu de pauses. Ceci à pour conséquence, la survenance récurrente des accidents (pendant le transport des billes de bois qui causent d'importants dégâts humains et matériels).

Pire encore, les ouvriers locaux et les oeuvres sociales construites par les exploitants industriels sont abandonnés sans ménagement une fois l'extraction du bois terminée; Ce qui crée un climat de conflits entre les nouveaux arrivant et les communautés autochtones, accroît la pression sur les ressources naturelles et favorise le braconnage.

De plus, l'exploitation forestière contribue à la destruction de la culture des peuples de la forêt et altère les bases de leur vie. Certaines essences d'arbres comme le Moabis et le Bubinga sont très utiles pour la population locale et autochtone, qui acceptent mal leur exploitation, car ces arbres à forte valeur commerciale ont également une importance « culturelle » 101(*) et par conséquent, leur exploitation irrationnelle a un impact sur l'alimentation et sur la santé des populations locales.

§ 2 : Impact sur l'alimentation locale et sur la santé des populations forestières.

La fragilité des peuples forestiers, de même que leur forte dépendance vis-à-vis de la forêt, auraient sans doute pu justifier une attention particulière de la loi et des exploitants industriels du bois à leur égard.

Les pratiques observées dans les zones forestières sont plutôt pitoyables. L'industrie illégale du bois ne favorise certainement pas l'amélioration des conditions de vie des populations, qui plus est, le commerce du bois génère directement et indirectement un nombre croissant de problèmes d'alimentation (A) et de santé (B) dans les zones forestières concernées.

A : L'insécurité alimentaire des populations forestières.

Pour les peuples autochtones ou habitants de la forêt, les désavantages de l'exploitation forestière sont bien plus consistants que les avantages : Quand l'exploitation forestière ou quand une industrie de transformation du bois s'installe dans une zone forestière, la population riveraine croît rapidement. Les villages deviennent de petites villes, mais seulement l'infrastructure ou l'alimentation ne suit pas. La ville orientale de Yokadouma dans la province de l'Est Cameroun est un exemple palpable de ce type de développement précaire; Les coûts des produits alimentaires y sont fortement augmentés, car l'alimentation locale est insuffisante, de sorte qu'il faut importer de plus en plus de produits. Or, la population forestière dispose d'un pouvoir d'achat presque nul.

Par ailleurs, l'abattage abusif du bois raréfie d'autres produits forestiers (non ligneux) tels que le gibier pour consommation propre, fruits, huile, chenille et miel. Les petits potagers et les plantations de maniocs sont régulièrement pillés par les travailleurs forestiers et les chauffeurs de camion qui passent par-là; surtout que les villages forestiers sont généralement situés le long de la route. L'invasion des braconniers, qui chassent le gibier à grande échelle dans les forêts pour les vendre aux exploitants forestiers ou dans les grandes villes, cause également de gros problèmes à la population qui voit ses propres réserves de gibier disparaître et son alimentation en protéine animale en péril sans la moindre compensation de la part des entreprises forestières102(*).

Enfin, ni la provision d'eau propre pour les soins de propreté, ni la provision d'eau potable ne sont assurées. Dans la plupart des cas, les compagnies forestières creusent à proximité du camp un puits qui constitue la seule source d'eau disponible dans le camp

. Creusé sans avoir recours à un expert, ce puits fournit une eau impropre à la consommation et peu attrayant pour la toilette. Elle contient en outre des amibes qui font souffrir en permanence les ouvriers et leur famille de sérieux problèmes de santé.

B : Les conditions sanitaires déplorables.

Dans la sous région d'Afrique Centrale, peu sont des sociétés forestières qui se soucient du bien-être de la population riveraine (Exemple de Leroy Gabon et du CEB au Gabon). La plupart des exploitants industriels du bois animés par la recherche effrénée du gain, n'évaluent pas l'impact de leurs activités « terricide et humanicide » sur la communauté villageoise riveraine. Les constatations suivantes ont trait aux conditions de santé déplorables des populations villageoises et indiquent qu'un changement urgent est nécessaire et indispensable.

De prime abord, l'exploitation illégale de certaines essences d'arbres comme le Moabis et le Bubinga n'est pas sans conséquence sur la santé des populations. L'écorce du moabis sert à la fabrication de nombreux médicaments pour soigner les hernies (cette maladie est fréquente chez les ouvriers qui travaillent dans les compagnies forestières du fait des manipulations de lourdes charges), le mal de dos et les hémorroïdes103(*). Le Bubinga permet la fabrication de remèdes pour soigner l'hernie et les douleurs musculaires104(*).

Ensuite, il convient de distinguer les conditions sanitaires dans les compagnies forestières, de celles qui sévissent à l'extérieur du camp : Le bois des scieries est souvent traité avec des produits toxiques contre les parasites et les moisissures. Il s'agit souvent des pesticides à base de lindane et pentachlorophénol, interdits en Europe où l'usage est soumis à des mesures de sécurité très strictes. Les ouvriers qui doivent travailler avec ces produits ne portent généralement pas de vêtements de protection (gants, masque à poussière) ou sont insuffisamment informés sur les risques de ces substances toxiques. Les résidus de ces insecticides et fongicides toxiques sont simplement déversés après usage dans les cours d'eau. La pollution des eaux et du sol que l'accumulation de ces pesticides induit incontestablement, est à l'origine de nombreuses maladies aussi bien dedans qu'à l'extérieur des camps. A l'extérieur des compagnies forestières, de nombreux cas de paludisme ont été notés et on sait que la déforestation joue un rôle sur le développement de cette maladie. En outre, le soulèvement de la poussière des routes par les véhicules des compagnies forestières augmente les risques de contracter des maladies contagieuses (tuberculoses, coqueluche, rhume etc.); la poussière étant un remarquable vecteur de dissémination des germes.

Enfin, les maladies sexuellement transmissibles prolifèrent en raison notamment de l'accroissement de la prostitution et l'absence de mesures de prévention et sensibilisation. Ainsi dans la province de l'Est du Cameroun, les médecins établissent un lien très net entre l'expansion de l'industrie du bois et le développement de la prostitution105(*). L'augmentation du nombre de cas de sida et le développement de l'alcoolisme sont extrêmement rapides dans la majorité des zones d'exploitation forestière.

Somme toute, les populations des forêts d'Afrique Centrale ont souffert et continuent de souffrir de l'exploitation intensive et des ruptures sociales résultant des intérêts étrangers pour les ressources forestières de la sous région106(*). L'application ineffective des lois forestières et l'exploitation illégale des forêts ont crée des déséquilibres sociaux niant ainsi les droits des populations forestières à leurs terres et ressources, diminuant aussi leur contrôle et surtout leur participation aux prises de décisions en matière d'exploitation des forêts.

Assurément, l'exploitation industrielle des forêts a hypothéqué le droit des communautés forestières de la sous région à un environnement sain. D'où l'urgence de réagir en faveur de la redynamisation de la gestion durable et participative des forêts, garantissant le droit des communautés de la forêt à un environnement sain.

* 81 -Forests.Monitor.Ltd, La Forêt Prise en Otage. La nécessité de contrôler les sociétés forestières transnationales : une étude européenne. Mars 2001 p. 20.

* 82 -Les gouvernements n'ont la capacité ni de contrôler les activités des sociétés d'exploitation industrielle du bois, ni d'appliquer la législation en vigueur, notamment parce que des programmes récents de la banque mondiale et du FMI ont exigé la réduction du nombre des employés du secteur public et de leur salaire.

* 83 -Voir pour plus de détails Dominique Nsosso, «Recouvrement des pénalités liées au secteur forestier congolais» in Transparence, La Gouvernance et la loi. Étude des cas du secteur forestier en Afrique Centrale, Rapport de AFLEG, édité par CED (Cameroun), Rainforest Foundation, UK & Forest monitor, Yaoundé, 13- 16 Octobre 2003, p.31

* 84 -Filip Verbelen, L'exploitation abusive des forêts équatoriales du Cameroun. Octobre 1999. p. 24

* 85 -Sandrine Lapuyade, «Résumé de l'évaluation des impacts sociaux et environnementaux des activités de la CFC, Avril 2000» in La forêt prise en otage, mars 2001, p.45

* 86-Samuel Nguiffo, «Loi, transparence, responsabilité et droits des citoyens dans les forêts camerounaises», in la transparence, la gouvernance et la loi; Étude de cas du secteur forestier en Afrique Centrale. p. 57

* 87-Forests monitor,, La forêt prise en otage, opt. cit. p.91

* 88-Ces acteurs extérieurs (les élites, exploitants forestiers, projets, ONG, bureaux d'études etc.) sont motivés par les profits financiers à court terme. Ils disposent aussi des connaissances techniques et moyens financiers requis pour la mise en oeuvre des forêts communautaires.

* 89-Il s'agit des conflits intra- communautaires; (conflits d'autorité ou de leadership, rivalités entre les composantes de la communauté, rivalité entre le bureau du GIC et les tâcherons); des conflits intercommunautaires (rivalités territoriales et foncières, jalousie des communautés villageoises voisines) et des conflits entre communautés et acteurs extérieurs (entre les projets , les ONG et certaines communautés, influence négative de certaines entreprises industrielles, transactions obscures et démarches peu orthodoxes avec les agents du MINFOF, les entraves à la commercialisation des produits issus de la forêt communautaire.

* 90-Samuel Nguiffo, opt. cit. p. 60

* 91-Voir arrêté conjoint (camerounais) MINEF et MINAT du 29 avril 1998 fixant les modalités d'emploi des revenus provenant de l'exploitation forestière et destinés aux communautés villageoises riveraines. art. 12 al.1. Les redevances forestières sont des deniers publics et par conséquent exclus de toute appropriation privée.

* 92-Voir Augustin Youmbi, «La qualité de la participation des populations dans l'acquisition et l'exploitation des forêts communautaires : Une exigence pour l'accès aux ressources forestières et aux retombés», in Actes de la 5ème CEFDHAC, Yaoundé Cameroun du 24 au 26 mai 2004, p.305.

* 93-Ibid. p. 305

* 94-Ibid.p.306; Voir Samuel Nguiffo, «La perception de la forêt et conflits au Sud Cameroun», in The Congo Bassin-human and natural ressources. IUCN. 1998, p.85

* 95-La lutte contre la pauvreté, le développement économique de la zone forestière exploitée, assurer un cadre de vie sain à toutes les couches sociales vivant à proximité et à l'intérieur du massif forestier concerné.

* 96-Forests monitor, La forêt prise en otage. Opt. cit. p. 78

* 97 -Philip Verbelen, opt. cit. p.28

* 98-Samuel Nguiffo,» la loi forestière et la marginalisation des populations pygmées», in La transparence, la gouvernance et la loi : Etude de cas du secteur forestier en Afrique Centrale. Opt. cit.p.8

* 99-Forests monitor, La forêt prise en otage. Opt. cit. p.44

* 100 -Un ouvrier gagne en moyenne entre 20 000 à 30 000 FCFA par mois, C'est dire qu'il peut arriver qu'un employé gagne un salaire inférieur au SMIG (Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti); Ce SMIG, pour le Cameroun est fixé à 20 514 FCFA: Décret n°95/099/PM du 17 Février 1995.

* 101 -Samuel Nguiffo, Opt. cit. p. 8

* 102 -Filip Verebelen, Opt. cit. p.28

* 103 -Robin des bois, Evaluation de l'impact social et environnemental de la filière bois au Cameroun. Paris, mars, 1998, p.49

* 104 -Filip Verbelen, opt. cit. p.29

* 105 -Ibid; Samuel Nguiffo, communication orale.

* 106 -Marcus Colchester, Dorothy Jackson and Justin Kenrick, «Forest people of the Congo Bassin: Past exploitation, present threats and future prospects» in The Congo bassin -human and natural resources. IUCN, 1998 opt. cit.p.62

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo