Source : Schéma proposé par
nous
CONCLUSION
Le présent travail s'est proposé
d'étudier les incidences des pouvoirs publics sur la crise des
entreprises publiques : cas de la Générale des
Carrières et des Mines.
Nous avons montré dans l'introduction qu'il serait
prétentieux de notre part d'affirmer que nous sommes le premier
chercheur à aborder la crise de la Gécamines.
Notre mémoire s'est donc inscrit dans un continuum
et s'est situé par rapport à d'autres recherches. Nous avons
eu, par conséquent, à prendre connaissance, dans notre
état de la question, des travaux antérieurs qui portent sur la
Gécamines, à savoir le mémoire de DEA en science de
développement du chercheur Kilondo Nguya portant sur
Ménage Gécamines, précarité et
économie populaire. Ce mémoire portait sur les rapports
entre les pouvoirs publics et la Gécamines à partir de la
théorie de l'industrialisation et l'économie populaire au
Katanga, de la période coloniale à 1989. Nous avons
également répertorié un rapport, L'Etat contre le
peuple : la gouvernance, l'exploitation minière et le régime
transitoire en RDC. Ce rapport de l'Institut Néerlandais pour
l'Afrique Australe, a consacré son chapitre le plus important à
la « gouvernance et l'exploitation minière au
Katanga » (pp. 32-69). Le rôle des pouvoirs publics qui en
ressort est la complicité des pouvoirs publics dans le bradage du
patrimoine minier de la Gécamines. Mais comme rapport, ce document
demeure un outil de lobbying plutôt qu'une recherche scientifique de type
académique. Nous avons également consulté l'ouvrage d'Ikos
Rukal Diyal, La Générale de Carrières et des Mines
(GCM) : une culture et une civilisation. Cet ouvrage écrit
par un ex-agent Gécamines, a comme apport la description de certains
faits historiques dans lesquels l'auteur est participant - observateur.
Malgré l'apport en informations sur la Gécamines, ce livre
demeurait une autobiographie. L'auteur se racontant dans l'Entreprise.
Notre travail s'est démarquée des ces recherches
par le fait que nous avons voulu donner tout son sens au rapport entre les
pouvoirs publics et la crise de la Gécamines.
La tentation, comme le montre notre bibliographie,
était de nous lancer dans une gloutonnerie livresque et
informationnelle. Mais nous avons vite compris qu'il était plutôt
réfléchi de lire en profondeur quelques livres et
systématiser certaines informations soigneusement
sélectionnées pour produire une recherche synthétique
pouvant apporter un plus dans la connaissance du rapport entre les pouvoirs
publics et la crise de la Gécamines.
Notre question de départ s'est articulée autour
d'une préoccupation majeure, à savoir, le fait que la plupart des
programmes économiques et financiers entrepris par le gouvernement
congolais avec l'appui de la Banque Mondiale et le FMI n'ont pas pu mettre la
RDC sur la voie du développement. Or la Gécamines a toujours
joué le rôle de poumon économique de la RDC. De là
nous avons posé la problématique de notre travail en ces
termes : Quelles seraient les incidences des pouvoirs publics congolais
sur la crise de la Gécamines?
De cette problématique, découle comme
hypothèses que les incidences seraient négatives et de trois
ordres ou niveaux : le niveau politique, économique et social.
Les incidences politiques seraient liées au
système politique et administratif sous développé lequel
se caractérise par la constitution des classes sociales qui collaborent
à l'extraversion des ressources. Au niveau de la Gécamines, des
strates se seraient formées dans la néo-patrimonialisation de
l'entreprise.
Comme incidences économiques, nous avons
évoqué l'adoption du modèle extraverti de
l'économie congolaise qui rendrait celle-ci tributaire des capitaux
étrangers et des Institutions financières internationales.
Comme incidences sociales nous avons évoqué les
conséquences de la dépendance financière et
économique qui seraient des goulots d'étranglement. La politique
de la restructuration avec l'Opération Départ Volontaire a
contribué à la décomposition-recomposition de la
société katangaise.
Bref, les Pouvoirs Publics auraient une responsabilité
parentale dans la crise de la Gécamines.
Usant de la méthode systémique et d'une approche
multidisciplinaires, nous avons confronté nos hypothèses aux
faits. Ce qui nous a conduit à construire trois schémas
systémiques interdépendants explicatifs du rapport entre les
pouvoirs publics et la crise de la Gécamines.
Vérifiant nos hypothèses dans le
troisième chapitre, nous avons découvert qu'il sied de les
nuancer. S'agissant des incidences politiques, nous avons montré que le
régime L.D.Kabila (1998-2001), confronté à la guerre et
à l'embargo sur les armes s'est vu, dans l'obligation de recourir aux
ressources disponibles pour faire face au besoin de sa survie. D'où les
alliances entre la RDC et les Etats tels le Zimbabwe, l'Angola et la Namibie.
La Gécamines dans un tel contexte a servi de ressource (input) pour
alimenter l'effort de guerre.
Le besoin désespéré d'argent liquide et
la nécessité de produire rapidement certaines armes lourdes au
niveau local ont eu un impact négatif sur l'économie congolaise
et la Gécamines. L'examen du bilan de 1998 de la Gécamines nous a
montré que la Gécamines avait comme Fonds propres, un chiffre
négatif (soit - 471 millions de dollars US), alors que le bilan de 1995,
période de guerre sous Mobutu était encore positif soit 125
millions de dollars US. Quant aux dettes, la Gécamines avait une dette
qui s'élevait, en 1998, à plus de 1 milliards de dollars US.
L'un des moyens sûrs d'obtenir l'engagement de certains
alliés dans la guerre que menait L.D.Kabila a été de leur
donner des incitations financières en leur ménageant des
possibilités de faire des affaires dans le secteur minier. Les capitaux
des alliés de L.D. Kabila, principalement le Zimbabwe, ont donc
profité d'un traitement préférentiel.
Pendant la transition, dans un contexte d'un Etat en faillite,
criblé de dettes tant intérieures qu'extérieures, les
bailleurs de fonds, en particulier les institutions de Bretton Woods,
sont venus à la rescousse de la RDC pour lui imposer un cadre
juridique en leur faveur : le code minier et forestier. Ne pouvant plus
répondre à ses obligations financières et privé
d'un président populiste comme L.D. Kabila qui s'opposait à la
politique de la dépendance vis-à-vis du camp capitaliste, le
gouvernement de la RDC s'est aligné « comme un enfant
sous-alimenté » devant la soupe de la Banque Mondiale.
Des incidences économiques, nous avons soutenu que les
Institutions de la Banque Mondiale telle l'Agence Multilatérale de
Garantie des Investissements (AMGI) se sont engagées à garantir
les investissements des multinationales du Nord contre les risques
socio-politiques en RDC dans le secteur minier en particulier.
De notre point de vue, il s'agit là d'une conspiration
du capitalisme international dont la Banque Mondiale sert de « cheval
de Troie » pour préparer les économies
périphériques, spécialement celles de la RDC, à la
réception des multinationales aux pratiques économiques
inégales et injustes. Au lieu d'encourager massivement les investisseurs
locaux de la RDC ou ceux de l'Afrique, la Banque Mondiale se tourne vers des
multinationales du centre, lesquelles favorisent le prélèvement
du surprofit du secteur minier de la RDC.
Différents indicateurs de l'entreprise nous ont
montré que la Gécamines n'était plus solvable,
c'est-à-dire qu'elle n'était plus à mesure de payer ses
dettes à échéance et n'avait plus accès au
marché financier international, elle a donc amorcé une nouvelle
stratégie : l'exploitation de ses actifs miniers en joint-venture.
Or la plupart des contrats de Joint-ventures conclus se sont
avérés léonins.
La Gécamines aurait dû procéder à
un appel d'offre pour s'attirer des partenaires qui respecterait davantage la
répartition des parts dans les entreprises communes, les gisements
concernés par la plupart des contrats faisant partie de la richesse
nationale de la RDC confiée à la GCM, cette richesse n'aurait pas
dû faire l'objet de cession à des entreprises de joint-ventures en
l'absence de valorisation exacte du patrimoine cédé. Étant
minoritaire dans les sociétés de joint-venture, les
détails de l'exploitation échappent à la GCM.
Nous avons montré à la lumière de
l'analyse de quatre projets de joint-venture que le contexte de la signature de
la plupart des contrats de la GCM témoigne d'une responsabilité
indéniable des pouvoirs publics dans la crise et le bradage de son
patrimoine: les péripéties politiques qui ont entouré le
contrat Forrest pour Kamoto, par exemple, ont été décrites
largement ainsi que la responsabilité de certains représentants
des pouvoirs publics. Le cas Forrest est symptomatique de l'alliance
pernicieuse entre les politiciens commerçants et un entrepreneur
privé pour le bradage du patrimoine de la GCM. Ce dernier, nommé
à la tête de GCM par L.D. Kabila, non seulement il n'a pas pu
relancer cette entreprise, mais il a pu mettre en place une stratégie de
récupération des actifs de la Gécamines en
préparant les futurs partenariats entre son Groupe et la
Gécamines. Dans l'exécution des travaux, selon la commission
gouvernementale de revisitation, la joint-venture créée entre
Forrest et la Gécamines n'existe pas sur terrain, la gestion du projet
est assurée par KOL (Kamoto Operating Limited. Une filiale du Groupe
Forrest).
Dans les incidences sociales, nous avons montré que le
programme de départ volontaire était en réalité un
assainissement nécessaire pour la relance des activités de la
Gécamines : en 1986 la Gécamines avait produit
jusqu'à 476.000 tonnes de cuivre et 14.000 tonnes de Cobalt. L'effectif
de l'entreprise s'élevait à 33.000 travailleurs. En 2002, la
production du Cuivre était à 19.000 tonnes et le Cobalt à
1800 tonnes avec un effectif de 23.700 travailleurs. Le niveau de l'emploi
étant facteur de la production dans une entreprise, il était
évident que si la Gécamines espérait stabiliser sa
situation économique, il fallait assainir son personnel
pléthorique. Etre volontaire avait des conséquences
irréversibles pour les partants volontaires de l'entreprise : ceci
signifiait qu'ils allaient perdre tous les avantages sociaux dont ils
bénéficiaient de l'entreprise et renoncer aux
arriérés des salaires qui s'élevaient à plus de 20
mois. Les termes étaient clairs, les montants perçus
(indemnité de sortie) constituaient le solde de tous comptes dans
l'entreprise.
Pour beaucoup de ces travailleurs candidats au départ
volontaire, l'opération départ volontaire fut tout d'abord
perçu comme une porte de sortie honorable d'une entreprise qui agonisait
déjà. Le montant d'indemnisation, quoi que minime valait mieux
que l'espoir d'une Gécamines qui risquait de ressusciter après
leurs propres morts.
Partis de l'entreprise, les travailleurs se sont vite rendu
compte de « l'escroquerie » dont ils furent l'objet de
la part et de la Banque Mondiale et de l'Etat congolais. En effet, en
échange de leur départ de l'entreprise, ils avaient touché
des paiements pour suppression d'emploi allant de 1900 à 30.000 $ USD.
Dans le contexte qui était le leur, ces sommes ont paru
considérables. Mais en réalité, les contrats et les
conventions sociales existants donnaient droit aux employés à un
montant total de 125 millions de $ US, au lieu de l'enveloppe de 44 millions de
dollars.
Pour les travailleurs qui restaient dans l'entreprise,
l'espoir de payement régulier s'est renforcé, dans la mesure
où les recettes allaient être ajustées aux charges sans
entraîner forcément des déficits. Après
l'opération départ volontaire, l'entreprise a profité de
l'opportunité pour supprimer certaines institutions éducatives
dans le but de réduction des charges sociales.
Nous avons nuancé notre hypothèse en
précisant que les incidences sociales négatives de la
restructuration de la Gécamines ont été adoucies par la
gestion de Paul Fortin qui insiste sur l'amélioration des conditions des
ressources humaines en allant parfois à l'encontre des prescrits de
SOFRECO.
Nous avons soutenu que la nouvelle logique du travail au
Katanga est, à notre avis, de plus en plus marquée par
l'instabilité de l'emploi due à la concurrence d'une main
d'oeuvre étrangère. On assiste, en effet, à
l'émergence des nouveaux acteurs étrangers sur le marché
de l'emploi dans le secteur minier (chinois, Indiens...). Les dividendes ainsi
que les salaires seront davantage exportés vers les Etats d'origine des
Multinationales ainsi que des salariés étrangers.
La restructuration de la Gécamines s'est
répercutée sur l'environnement social du Katanga. Le
réseau de solidarité qui s'était constitué par le
passé autour des sacs de farine (ravitaillement, dit Mposho) seront de
plus en plus minimes et ne suffiront plus pour la famille restreinte du
travailleur et celle élargie.
Comme suggestions, Nous estimons que la restructuration de la
Gécamines ne doit pas servir d'alibi pour sa privatisation. La chute de
la Gécamines est tributaire des différents régimes
politiques qui se sont succédé à la tête de la
République Démocratique du Congo.
La Gécamines nécessite aujourd'hui, tel que
Fortin l'a montré, une plus grande autonomie vis-à-vis des
dirigeants politiques et surtout la réhabilitation de l'homme qui
travaille et de son environnement. Les mandataires congolais ayant
été choisis par concours pour renforcer l'équipe de
SOFRECO, il sied désormais de les évaluer et les sanctionner non
en fonction de la fidélité au régime en place mais en
fonction des résultats obtenus.
Nous estimons que la Gécamines nécessite pour le
renforcement de cette indépendance vis-à-vis des
interférences des pouvoirs publics, une équipe d'experts
internationaux en management (sélectionnés sur initiative et
fonds de l'Etat Congolais) pour assurer une gestion managériale plus
responsable. Recourir aux compétences internationales pour se rendre
compétitif n'est plus, dans un contexte de mondialisation, un signe
d'aliénation, mais un atout pour échapper aux pesanteurs
néfastes qu'entretiennent les animateurs politiques.
S'autodéterminer sur le plan économique, pensons-nous, consiste
à reconnaître les pesanteurs de son propre système
politique, à savoir la dépendance indéniable des
mandataires au régime politique en place d'une part, le poids de
l'économie mondialisée sur les pays à faible
compétitivité commerciale et la nécessité de se
repositionner en intégrant le marché mondiale d'autre part. La
recherche de la bonne gouvernance dans la chose publique doit passer par un
concours qui puisse favoriser les meilleurs, l'équipe de management
international, en dehors de la Banque Mondiale, aura pour fonction, d'abord, de
tempérer les appétits et les interférences propres aux
hommes politiques congolais, ensuite d'impulser la vision managériale
internationale aux gestionnaires congolais collaborateurs et, enfin, de
permettre aux élus du peuple d'avoir une vision sur la gestion des
entreprises publiques congolaises dénouée des pesanteurs
partisanes.
La société civile, le parlement congolais et
tant d'autres groupes de pression se doivent de rester en éveil pour
dénoncer les différents contrats qui aliènent le
patrimoine congolais, autrefois géré par la GCM. La
démocratie ne peut être séparée de
l'intérêt que le peuple doit porter sur son patrimoine et sa
gestion par les autorités politiques sensées la
représenter dans une démocratie.
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