Pouvoirs publics et crises des entreprises publiques congolaises. Cas de la Gecamines au Katanga( Télécharger le fichier original )par Jean-luc MALANGO KITUNGANO Université de Lubumbashi, RDC - Licence en sciences administratives 2007 |
SECTION III. LES INCIDENCES SOCIALESNous allons aborder les incidences sociales selon une subdivision en espace interne et externe à la Gécamines. Il s'agit d'une subdivision résultant de la nécessité méthodologique. En réalité, les deux espaces sont en interaction. III.1. Les incidences internesDans son projet de relance des activités minières au Katanga, le gouvernement congolais en collaboration avec la Banque mondiale, avait mis en place une Unité de Réinsertion du Katanga-Gécamines (URK-GECAMINES) dont le rôle était de : organiser et animer la procédure d'indemnisation des partants volontaires ; mettre en oeuvre des programmes d'appui visant à favoriser la réinsertion rapide des partant volontaires dans une nouvelle activité économique susceptible de générer des revenus leur permettant d'assurer leur subsistance ainsi que celle de leurs familles173(*). Pour son fonctionnement, l'URK-GCM fut structurée en trois antennes : Lubumbashi, Likasi et Kolwezi. Une antenne volante fut constituée et animée par un consultant pour le paiement des partants volontaires vivant hors du Katanga (Kinshasa, Tshikapa, Matadi, Ilebo). En dehors du personnel de BCECO intervenant dans l'opération, l'URK-GCM comptait un effectif de 17 personnes, composé d'un coordinateur, trois chargés d'opération jouant le rôle de responsable d'antenne, trois gestionnaires de base de données, trois agents comptables et administratifs, trois secrétaires, une caissière et trois chauffeurs. Pour la réalisation de sa mission, l'URK a bénéficié de la collaboration du gouvernorat de la province du Katanga, des syndicats de la GCM, de l'employeur GCM, des mairies, de la Police Nationale, des banques qui ont assuré le payement aux guichets, de l'Université de Lubumbashi et de divers consultants. Basée sur le volontariat, l'opération concernait 10655 personnes ayant rempli le critère d'admissibilité c'est-à-dire, avoir accumulé 25 années d'ancienneté. L'enveloppe financière débloquée se chiffrait à 44 millions de dollars. Le programme de départ volontaire était en réalité un assainissement nécessaire pour la relance des activités de la Gécamines : en 1986 la Gécamines avait produit jusqu'à 476.000 tonnes de cuivre et 14.000 tonnes de Cobalt. L'effectif de l'entreprise s'élevait à 33.000 travailleurs. En 2002, la production du Cuivre était à 19.000 tonnes et le Cobalt à 1800 tonnes avec un effectif de 23.700 travailleurs. Le niveau de l'emploi étant facteur de la production dans une entreprise, il était évident que si la Gécamines espérait stabiliser sa situation économique, il fallait assainir son personnel pléthorique. De manière prioritaire, l'entreprise se devait de licencier les agents qui étaient en Dispense d'Obligation de Prester (DOP) et tous les agents en activité qui en 2002, totalisaient plus ou moins 25 ans révolus d'ancienneté. Ces personnes devaient se porter volontaires. Etre volontaire avait des conséquences irréversibles pour les partants volontaires de l'entreprise : ceci signifiait qu'ils allaient perdre tous les avantages sociaux dont ils bénéficiaient de l'entreprise et renoncer aux arriérés des salaires qui s'élevaient à plus de 20 mois. Les termes étaient clairs, les montants perçus (indemnité de sortie) constitueraient le solde de tous comptes dans l'entreprise. La date d'ouverture était le 24 mai 2003 La date de clôture : 04 avril 2003. Les agents au départ volontaire étaient reçus par leurs directeurs de siège respectifs qui leurs fournissaient l'information sur : le montant de l'indemnité de sortie ; l'existence d'un bureau de coordination autonome responsable des actions relatives à l'Opération Départ Volontaire ; le programme d'aide-conseil à la réinsertion. Les effets positifs pour la Gécamines dans l'ODV sont : la réduction des charges salariales ; la réduction des charges résultant des avantages sociaux dont ces travailleurs et leurs familles bénéficiaient. Avant le départ volontaire, l'enveloppe salariale mensuelle comprenait plus de 4 millions de dollars174(*). La Gécamines espérait ainsi pouvoir récupérer au moins plus de 1 millions de dollars sur l'enveloppe salariale versée chaque mois à son personnel. Il sied de faire remarquer que la diminution de l'enveloppe salariale et des avantages sociaux pour les familles nombreuses (cas des agents de la Gécamines) constitue l'effet financier important dans une entreprise en difficulté. Le deuxième effet bénéfique était le fait que le montant pour l'ODV ne provenait pas de la trésorerie de l'entreprise, mais de la Banque Mondiale qui avait mis en place avec le gouvernement congolais une unité autonome (URK) devant superviser l'opération et ne dépendant pas de l'entreprise Gécamines. Cela signifiait clairement que les contentieux relatifs à l'ODV ne seront pas de la compétence de la Gécamines et celle-ci ne serra jamais assignée en justice par les anciens agents partis dans l'Opération Départ Volontaire pour réclamation des arriérés de salaires ou autres indemnités. Du coté des travailleurs partants, la première impression fut le soulagement moral. Depuis plus de 20 mois, ils n'avaient touché leurs salaires. Ils avaient perdu tout espoir et surtout la confiance dans une entreprise qu'ils avaient vue pendant les périodes de gloire et de paternalisme175(*). Pour beaucoup de travailleurs candidats au départ volontaire, l'opération départ volontaire fut tout d'abord perçue comme une porte de sortie honorable d'une entreprise qui agonisait déjà. Le montant d'indemnisation, quoique minime, valait mieux que l'espoir d'une Gécamines qui risquait de ressusciter après leurs propres morts176(*). Pour les travailleurs qui restaient dans l'entreprise, l'espoir de payement régulier est revenu dans la mesure où les recettes allaient être ajustées aux charges sans entraîner forcément des déficits. Mais la nouvelle politique de l'entreprise a affecté les travailleurs restés en fonction dans la mesure où le secteur social a également été visé, c'est-à-dire que dans la politique de restructuration de la GCM selon les prescrits de la Banque Mondiale que suit Sofreco, il fallait se désengager de certaines charges sociales. Ainsi, le 19 Août 2004, un appel d'offre International pour le recrutement d'un consultant en charge de la restructuration des services et du réseau Education de la Gécamines fut lancé par les soins du COPIREP, dans le cadre du Projet de Compétitivité et de Développement du secteur Privé, financé par la Banque Mondiale et dont nous avons parlé précédemment177(*). La mission du consultant telle qu'elle ressort de l'appel d'offre était d'évaluer la viabilité financière du réseau d'éducation GCM. Comme implication, la Gécamines allait se désengager de certaines écoles ou institutions sociales tels les hôpitaux dont la viabilité ne sera pas prouvée. Nous avons enquêté sur quelques institutions sociales de la GCM qui existent actuellement dans ce réseau. Le résultat est le suivant:
COMMENTAIRE : comme on peut le constater, les institutions sociales sont réduits au maximum. Le numérateur représente les institutions qui fonctionnent et le dénominateur celles prévues selon les groupes opérationnels de production. Après l'Opération Départ Volontaire, l'entreprise a profité de l'opportunité pour réduire certaines institutions éducatives dans le but de réduction des charges sociales. Les incidences sociales négatives de la restructuration de la Gécamines ont été adoucit par la gestion de Paul Fortin qui insiste sur l'amélioration des conditions des ressources humaines en allant parfois à l'encontre des prescrits de SOFRECO qui souhaiterait que les charges liées au personnel soient minimisées au plus vite et au maximum178(*). Cette approche de gestion avait entraîné le limogeage de Paul Fortin par SOFRECO. Le 01 mars 2007 fut décrété, de manière unilatérale par les travailleurs, l'arrêt du travail dans tous les Sièges et Groupes de la Gécamines pour réclamer le maintien à la tête de la Gécamines de Monsieur Paul FORTIN. L'arrêt de travail fut scrupuleusement observé par les travailleurs179(*). Les agents estimaient qu'avec Fortin, ils recevaient régulièrement leurs salaires et les avantages sociaux y afférents rompant ainsi avec la période de la vache maigre, ils voyaient en réalité les effets bénéfiques de la restructuration qui avait commencé avec l'Opération Départ Volontaire (ODV). En effet, le rapport 2007 de la Gécamines certifie ces aspects liés à l'aspect de la paie régulière des salaires180(*). MOE (main d'oeuvre d'exécution) MOC (cadres) - Janvier : 884.685.600,00 FC (1.701.318 $) - Janvier : 488.596.500,00 FC (939 .609 $) - Février : 756.711.300,00 FC (1.455.214 $) - Février : 493.061.200,00 FC (948.195 $) - Mars : 781.429.700,00 FC (1.502.749 $) - Mars : 520.834.300,00 FC (1.001.604 $) - Avril : 747.985.700,00 FC (1.438.434 $) - Avril : 553.335.300,00 FC (1.064.106$) - Mai : 853.404.000,00 FC (1.641.161 $) - Mai : 644.222.200,00 FC (1.238.889$) - Juin : 800.997.700,00 FC (1.540.380$) - Juin : 624.107.200,00 FC (1.200.206 $) - Juillet : 844.308.800,00 FC (1.623.671$) - Juillet : 608.981.400,00 FC (1.171.118$) - Août : 814.823.200,00 FC (1.566.968 $) - Août : 609.081.500,00 FC (1.171.311 $) - Septembre : 879.621.800,00 FC (1.691.580$) - Septembre. : 644.158.500,00 F (1.238.766$) - Octobre : 888.720.100,00 FC (1.709.077$) - Octobre : 627.402.500,00 FC (1.206.543$) - Novembre : 836.398.000,00 FC (1.608.458 $) - Novembre : 577.541.100,00 FC (1.110 .656 $) - Décembre : 870.323.500,00 FC (1.673.699$) - Décembre : 580.158.700,00 FC (1.115.690 $) L'enveloppe salariale mensuelle moyenne de la Gécamines dépasse 1,5 millions de $ pour un effectif global de 8887 travailleurs. Le payement mensuel régulier des salaires par l'épargne et la consommation que le salaire entraîne au Katanga joue un rôle qui n'est pas à négliger. En outre, la majorité des salariés étant des Congolais, il y a un effet bénéfique dans la consommation et la formation de l'épargne des ménages congolais. LES EVACUATIONS SANITAIRES A L'ETRANGER ONT COUTE A L'ENTREPRISE181(*)
Au regard de quelques indicateurs précités, nous pouvons affirmer qu'il y a eu des retombées positives de la restructuration. Mais ces retombées sur le plan social sont le fruit de la conception de la gestion propre à Paul Fortin, lequel met l'homme au centre. * 173 Eléments tirés du Rapport Annuel du Bureau central de coordination (BCECO), 2003, p.38. * 174 GECAMINES, Direction financière. * 175 Entretien libre avec quelques ex-agents et agents de la Gécamines, mois de mars 2008. Ceux-ci nous ont donné le désespoir qui les a marqués pendant la période de non payement. L'un d'eux, M. BESA a même donné une expression qui avait cours pendant cette période pour signifier la situation qui caractérisait les travailleurs de la Gécamines en face de la Société lushoise : « Ukimuona muntu wa Gécamines, kimbia, atakulomba Makuta » (si tu vois un agent Gécamines, fuis ; il va te demander l'argent). Cette anecdote témoigne à suffisance le contexte dans lequel se trouvaient les travailleurs de la GCM quand l'opération départ volontaire fut lancée. Beaucoup y accoururent, non parce qu'ils étaient convaincus de son bien fondé, mais plutôt parce qu'ils avaient besoin d'argent après une longue période de non payement qui a entraîné la perte de confiance dans l'entreprise. * 176 Cette image est nôtre. * 177 Supra. Rôle de la Banque Mondiale. p. 63. * 178 Ceci ressort des entretiens que nous avons eus avec les travailleurs de l'entreprise pendant notre stage à la Direction des Procédures Administratives et des relations industrielles. Nous avons voulu conforter cette appréciation par les données internes à l'entreprise relatives à la gestion des ressources humaines. * 179 Un mois après la reconduction du contrat de Sofreco, le malentendu persistait entre le cabinet français mandaté pour relancer l'activité de l'entreprise Gécamines, le Gouvernement et le personnel. Sofreco, après la reconduction de son mandat pour 2 ans en conseil de ministre, avait fait savoir à COPIREP qu'il n'était pas prêt à poursuivre sa mission si Paul Fortin, avocat canadien nommé par le cabinet en tant qu'Administrateur Délégué Général (ADG) de la GCM, restait en place. Le cabinet SOFRECO lui reprochait d'avoir pris des décisions allant à l'encontre des directives, en particulier la signature de plusieurs accords de partenariats dont la sous-traitance de la GCM avec Somika et les partenariats avec la société United Ressources AG pour le projet Kipushi. Mais la véritable paume de discorde, est l'émancipation que s'est acquise Fortin vis-à-vis de SOFRECO. Etant nommé par un décret présidentiel, seul le décret du président pouvait légalement le démettre. Mais face au soulèvement des travailleurs, le gouvernement congolais n'a pas voulu se mettre à dos un nouveau conflit social. Il l'a donc reconduit après négociation avec SOFRECO. Nous nous inspirons de l'article « contrat Sofreco : Fortin est toujours à bord » in Africa Intelligence : version web : http : www.africaintelligence.fr/AMF/detail-articles/ * 180 GECAMINES, Rapport annuel d'activités pour l'exercice 2007, Direction des ressources Humaines, 2007. p. 15. * 181 Idem, p. 30. |
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