Droits de l'homme et action humanitaire( Télécharger le fichier original )par CLAUDE-ERNEST KIAMBA UNIVERSITE CATHOLIQUE D'AFRIQUE CENTRALE, YAOUNDE/CAMEROUN - Doctorat 2007 |
2. Gouvernance et restructuration des économies en AfriqueLa notion de la gouvernance, dans son acception économique actuelle, est née de la volonté des institutions financières internationales (Banque Mondiale, FMI, PNUD, etc.) d'aider les pays en voie de développement et ceux de l'Afrique, en particulier, à mettre en place des programmes économiques réalistes susceptibles de contribuer à leur développement, voire au bien-être social des populations. Dans pareilles circonstances, un nouveau modèle de gestion dit « modèle de bonne gouvernance » avait été proposé à ces pays, modèle qui exige aussi bien l'assainissement des économies locales que la transparence dans la gestion des affaires publiques. a) - L'apport des institutions financières internationales : Banque Mondiale et FMI Ayant constaté les dérives liées à la personnalisation excessive du pouvoir (Zaïre, Côte d'Ivoire, Kenya, Zimbabwe, Gabon, Cameroun, Zambie, Gambie, etc.), au non respect des droits de la personne humaine (Kenya, Rwanda, Burundi, Tchad, Soudan, Mauritanie, Togo, etc.), à la gestion scabreuse des affaires publiques et à la corruption (Cameroun, Congo-Brazzaville, Centrafrique, Bénin, Togo, Gabon, Sénégal, Côte d'Ivoire, Zaïre, etc.) au début de l'année 1990, les institutions financières internationales au nombre desquelles la Banque Mondiale et le FMI, vont se saisir de la notion de gouvernance pour stimuler les gouvernements des pays sous-développés d'Afrique à mettre en place des réformes institutionnelles et des politiques économiques25(*) structurantes capables de soutenir leur développement. Quelques définitions de la notion de gouvernance avaient été proposées par ces institutions internationales concernant trois systèmes : - le système politico-administratif (parlementaire ou présidentiel, militaire ou civil et autoritaire ou démocratique) ; - le système économique qui renvoie au processus par lequel l'autorité est exercée lors de la gestion des ressources économiques et sociales ; - la place de la société civile et la capacité des gouvernants à concevoir, formuler et exécuter les politiques et, en général, à se décharger des fonctions gouvernementales. Il est nécessaire de préciser que les institutions financières internationales, dans la lecture qu'elles font des réalités de ces pays, agissent le plus souvent dans le strict cadre de leur mandat, c'est-à-dire en essayant de se tenir loin de toute injonction à caractère politique. Pour ce faire, elles s'en tiennent à la notion de la gouvernance en tant qu'elle implique « la bonne gestion du développement ». Il s'agit donc, essentiellement, des aspects liés à la bonne gestion par les gouvernements de l'aide au développement à travers l'instauration d'une véritable orthodoxie financière et budgétaire, la restructuration des services publics, le renforcement des capacités institutionnelles des acteurs du développement, la responsabilisation des gouvernants et des gouvernés face aux nouveaux défis de la construction étatique dans une dynamique de la mondialisation des économies, la réforme des institutions judiciaires, la lutte contre la corruption. Parmi tous ces critères celui en rapport à la gestion du secteur public avait été apparemment privilégié comme le démontrent les premières réformes initiées par la Banque Mondiale26(*) qui considère que « la gouvernance est affaire de management ou de réformes institutionnelles en matière d'administration, de choix politique, d'amélioration de la coordination et de fourniture de services publics efficaces »27(*). Par ailleurs, l'accent qui a été particulièrement mis sur la nécessité d'une amélioration conséquente des services publics ne veut nullement signifier l'abandon par ces institutions des autres aspects de la gouvernance concernant la responsabilisation des citoyens par rapport au bien commun, la transparence dans la gestion des affaires publiques, l'instauration d'un véritable État de droit ou le renforcement des capacités et mécanismes de gestion des acteurs étatiques et non étatiques. Bien que de manière assez tardive, il semble important de relever que ces aspects avaient également été pris en compte et intégrés au corpus des conditionnalités dans le but d'appuyer les mécanismes et les efforts de gestion durable des économies des sociétés africaines contemporaines. b)- L'action du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) C'est tardivement que le PNUD avait commencé à s'intéresser, non seulement à la question de la gouvernance comme condition essentielle pour la redynamisation des économies des pays sous-développés, mais également au problème de l'amélioration des conditions de vie des populations civiles. Pour la première fois, en 1994, une réunion sur la gouvernance avait été organisée à Arusha par cette institution. Deux points essentiels structurent le document de stratégie pour le développement de l'Afrique issu de cette concertation. Alors que la Banque Mondiale insistait prioritairement sur la dimension procédurale et les aspects économiques de la gouvernance à travers le concept de « good governance » le PNUD, quant à lui, met beaucoup plus l'accent sur les aspects politiques en exigeant des pays africains la mise en place d'un « bon gouvernement ». Les réformes à entreprendre dans ce cadre, en tant qu'elles se conforment aux normes en vigueur dans les démocraties libérales, touchent à la souveraineté même des États puisqu'elles concernent un problème de valeur, du modèle de société et la désignation de la forme des régimes politiques : « Parce que la bonne gouvernance peut tout simplement signifier l'application de gestion efficace, nous, au PNUD, croyons avec Amartya Sen28(*) que la gouvernance dont il est question à cet égard (l'importance de la bonne gouvernance pour le développement humain) est une gouvernance démocratique et participative »29(*). Cette approche de la gouvernance comprend les mécanismes, les processus et les institutions grâce auxquels les individus ou les groupes sociaux formulent leurs intérêts, remplissent leurs obligations conformément aux lois et résolvent leurs problèmes. Dans sa conception de la gouvernance, le PNUD accorde donc une importance particulière au nouveau contrat qui devrait régir les rapports entre l'État et la société civile : « La bonne gouvernance se définie, parmi d'autres caractéristiques, comme participative, transparente et responsable; elle est également efficace et équitable : elle favorise le respect de la légalité »30(*). Il résulte de ceci qu'il ne peut y avoir de meilleure gestion des affaires publiques au sein des États, si la place et le rôle de la société civile ne sont pas clairement spécifiés. La société civile joue le rôle de veilleur dans la manière dont l'État oriente et gère les ressources nationales. C'est dire que l'influence et la surveillance des citoyens concernent les moyens par lesquels chacun participe au processus de prise de décisions et, par conséquent, exprime ses préférences. Il s'agit ici, pour la société civile d'utiliser les moyens susceptibles d'amener les dirigeants politiques à répondre de leurs actes et la bonne gouvernance signifie également « un ensemble d'institutions sociétales qui représentent pleinement la population, qui sont reliées par un réseau solide de réglementation institutionnelle et de responsabilité (vis-à-vis du peuple, en dernier ressort) et qui ont pour objectif de réaliser le bien-être de tous les membres de la société »31(*). Le PNUD soutient une position de la gouvernance qui contribue au renforcement des théories sur le rétrécissement des prérogatives longtemps dévolues à l'État en matière de gestion des affaires publiques. Mieux, s'appuie t-il sur une sorte de réformisme qui postule la logique du « moins d'État ». Ici le transfert de compétences entre les institutions étatiques et celles de la société civile constitue l'une des conditions, sans lesquelles aucun développement ne peut être rendu possible. La notion de gouvernance telle que décrite par le PNUD implique donc une remise en cause fondamentale de la primauté du politique sur l'économique ; une inversion de sens qui contribue à dépouiller l'État de quelques unes de ses fonctions régaliennes. L'État n'a plus le monopole de la prise de décisions visant au développement de la nation ; il n'est plus qu'un acteur parmi tant d'autres. Cette conception de la gouvernance est aussi partagée par certaines agences de coopération telle que l'Union Européenne qui, dans l'article 130 de son traité, lie la politique de coopération au « développement et à la consolidation de la démocratie et de l'État de droit ainsi qu'au respect des droits de `homme et des libertés fondamentales ». Enfin, le développement économique et social au sein des États en développement ne peut être rendu possible que grâce aux transformations des trois susmentionnés en vue d'établir des synergies dans le fonctionnement du système global. D'où l'intérêt qu'il faudrait accorder à un certain nombre de principes ou de relations pour une meilleure saisie de la bonne gouvernance32(*) : - la relation entre gouvernance, démocratie et décentralisation introduit une dimension supplémentaire dont la signification est l'importance de la décentralisation pour le développement économique. - La gouvernance est perçue comme la manière d'améliorer le fonctionnement du système politico-administratif effectivement en vigueur dans un pays en tenant compte des spécificités culturelles et économiques. III. Gouvernance, État et Société en Afrique Généralement, lorsqu'on parle de l'État la première des idées qui vient à l'esprit est celle d'un « grand manitou lycanthrope » ou d'un « Léviathan » qui confère à la réalité État l'image d'une machine colossale téléologique qui doit remplir des missions précises. On dirait une obsession de l'« Etat-système » qui néglige l'État dans ses activités quotidiennes, dans sa pure simplicité, dans sa banalité. En Afrique, cette conception unidimensionnelle ou « par le haut » de l'État a fait l'objet de plusieurs débats dans les milieux de recherche africanistes dans les années 1980 et signifie l'accaparement par des élites au pouvoir des instances de prise de décisions. Or, la notion de gouvernance en tant qu'elle constitue une sorte d'impératif catégorique pour une gestion collective des États, implique la responsabilisation de tous les acteurs sociaux (étatiques et non étatiques) en vue d'un développement harmonieux des sociétés africaines. De ce fait, les notions de gouvernance, d'État et de société bien que distincts, se complètent.
La gouvernance implique l'idée d'un nouveau contrat social qu'il est important d'établir entre le centre (l'État) et la périphérie (la Société globale) de manière à rendre efficiente le contrôle et la gestion des réalités sociales au sein des États africains. Ce contrat social doit être rendu possible grâce à une gestion participative et collective des richesses nationales. Dans ce sens, la société civile, en tant qu'elle constitue un acteur à part entière de la co-production et de la co-gestion des politiques publiques requiert toute sa signification. Sa compréhension nécessite, aujourd'hui, de redéfinir la place et le rôle dévolus à l'espace public comme étant le lieu de la délibération, de l'intersubjectivité communicationnelle et de la promotion d'un dialogue social, sans exclusive, avec tous les partenaires sociaux du développement. C'est pourquoi Bruno Jobert et Pierre Muller pensent qu'«il est urgent de réintégrer l'analyse des politiques dans une conception plus large des rapports Etat-société, de façon à ce que la théorie de l'État bénéficie enfin des acquis de l'analyse des politiques »33(*). Le processus d'élaboration ou de fabrication des politiques publiques n'est pas une entité abstraite. Il intègre toujours les répertoires d'action des acteurs (individuels ou collectifs), c'est-à-dire leur capacité à pouvoir produire des logiques concurrentes et des modes de mobilisation de diverses ressources. Ce processus relève de la nature des relations et des stratégies bien définies. Étudier les acteurs de l'agenda politique nécessite donc une réflexion sur les caractéristiques des dynamiques de l'action collective en tant qu'elle rassemble des individus dans le but de la défense d'intérêts communs. Autrement dit, l'action collective regroupe des acteurs (internes ou externes) d'une société mobilisant des ressources en vue des changements sociaux. Elle montre le sentiment de distance qui sépare les publics dont on revendique le soutien et les organismes chargés de porter à un haut niveau leurs doléances. L'inscription d'un problème sur l'agenda se présente comme un « transmutateur des problèmes» qui « tend à en changer la substance dans l'opération même où il les prend à sa charge »34(*). Les organisations sociales (mouvement des étudiants, mouvement soutenant la cause féministe, etc.) constituent autant de composantes de ce qu'il est permis d'appeler l'«industrie du mouvement social»; le secteur des mouvements sociaux étant formé de l'ensemble des mouvements décelables dans une communauté. Ces mouvements utilisent des répertoires d'action qui varient en fonction de la nature des actions à mener et des objectifs à atteindre. Il faut lire la relation entre la gouvernance et la gestion des politiques publiques en Afrique en termes de mobilisation des réseaux d'acteurs tant est vrai que cette mobilisation tient compte de la pyramide des publics. D'un côté, les entrepreneurs politiques forment des stratégies de propagation inductrices de soutiens populaires; de l'autre, des acteurs sociaux accablent les autorités publiques de revendications à caractère multiple. La gouvernance implique un leadership responsable et prompt à agir, c'est-à-dire l'attitude des gouvernants qui doivent, non seulement reconnaître le caractère sacré de la sphère publique, mais également rendre compte de la manière dont ils gèrent l'État. Tout est structuré ici autour des manoeuvres ou des résultats de circonstances fortuites qui mettent en exergue des accords momentanés entre différents partenaires sociaux. Ces manoeuvres portant sur les acteurs de la contradiction débouchent sur la recherche d'une pragmatique de l'action politique quotidienne. Le débat politique autour de la notion de gouvernance en Afrique et qui est lié à celui d'agenda politique n'est qu'un enjeu concret de la logique de pouvoir au sein des sociétés politiques. Une réflexion sur l'Organisation de l'Abbé Pierre baptisée Emmaüs en faveur des sans logis en France peut amener à comprendre les logiques inhérentes aux mouvements sociaux. En effet, à travers son mouvement, l'Abbé Pierre chercha à rallier certains acteurs politiques et quelques organisations non gouvernementales à la cause des « laissés- pour-compte » de la société française. C'est peu à peu que le problème des sans logis a pu mobiliser d'importantes ressources, devenant ainsi un problème social crucial nécessitant sa prise en compte et son inscription sur l'agenda des décideurs politiques. Une autre caractéristique d'acteurs de l'agenda politique, c'est le rôle spécifique des médias et leur influence sur la prise des décisions politiques. L'appréciation de ce rôle varie selon que les logiques inhérentes à leur mode de fonctionnement et leur centre d'intérêt diffèrent aussi. Les médias peuvent soit accélérer soit freiner l'inscription d'un problème sur l'agenda politique. Plus la campagne médiatique est importante plus un problème a de fortes chances de devenir un objet des débats publics contradictoires. Les médias se présentent, dès lors, « comme des amplificateurs et des diffuseurs des conflits, des revendications, des représentations produites autour d'un problème donné »35(*). Tel, par exemple, l'effet de la forte campagne médiatique produit par les médias américains lors de la guerre du Golfe sur l'opinion publique internationale ; ou encore, le rôle que joue actuellement les médias occidentaux dans les bombardements dans l'Est du Congo-Démocratique, en Somalie et au Darfour. Mais il faut noter que «l'instrumentalisation, ou le simple passage par les médias, restent cependant toujours ambivalents, car il ne s'agit pas là non plus d'un prisme neutre, ni d'une caisse de résonance, ni d'un précurseur, ni d'un espace scénique. Les médias contribuent à étendre et complexifier les processus de construction sociale de la réalité, et rendent par là même encore plus aléatoire toute constitution éventuelle d'une matrice paradigmatique »36(*). L'action des médias en tant qu'elle permet une large publicité autour des faits sociaux constitue, aujourd'hui, une dimension importante de la gouvernance des politiques publiques en Afrique. Il est important de relever que l'analyse des politiques publiques en Afrique, comparée celle faite par les institutions internationales, n'est pas exempte d'une utilisation normative et prescriptive de la gouvernance. Si les conceptions des politiques publiques en Afrique n'ont qu'un lointain rapport avec celle de ces institutions, elles n'en demeurent pas moins marquées par une injonction de la bonne gestion des affaires publiques, de la recherche de l'efficacité et de la préservation du bien commun. Deux courants relevant d'une approche fondamentalement normative permettent de donner du sens à cette vision des réalités : il s'agit du courant managérial et du courant démocratique. a)- Le courant managérial intéresse tous ceux qui rapprochent la notion de gouvernance à la devise du « moins État » ou de ceux qui s'en servent pour justifier des mécanismes dérégulateurs qui découlent ainsi des choix politiques et économiques précis (néolibéralisme). Les tenants d'une conception gestionnaire de l'action publique, qui visent à en améliorer l'efficacité, s'en sont également emparés avec gourmandise, contribuant ainsi à entraîner une dérive normative de cette notion37(*). Dans la mouvance de la théorie du public choice, on cherche à améliorer le fonctionnement de l'État dans le sens d'une plus grande efficacité38(*). Tout comme le management public, ce courant présente l'action publique comme un enjeu coût/résultat, soumettant les services publics à la pression du marché quand il ne propose pas leur privatisation. b)- Le courant démocratique regroupe ceux que Jean Pierre Gaudin qualifie de « bottom-uppers », c'est-à-dire ceux qui voient dans la gouvernance un outil d'élargissement de la participation au processus de décision. Des transformations de l'action publique, ils tirent un projet d'ouverture et de démocratisation du fonctionnement de l'État. La gouvernance représenterait une opportunité pour produire de la « mobilisation civique », de l'innovation sociale et introduire des acteurs jusque-là exclus des décisions. Ce courant inclut aussi les tenants d'une démocratie associative, portée par une gouvernance économique et sociale. Idéologiquement, on peut distinguer deux lectures de la gouvernance : l'une de droite, marquée par le néolibéralisme et ses projets de déréglementation/dérégulation, qui retient essentiellement l'idée d'un affaiblissement de l'État à travers les mécanismes de gouvernance et l'autre de gauche, avec une branche associative et une branche néomarxiste qui met l'accent sur le rôle des intérêts privés dans la production des politiques et dans la structure des relations du pouvoir. Il est intéressant de relever que cette double lecture idéologique se retrouve dans une perspective analytique et naturellement moins caricaturale dans les approches américaines de la gouvernance urbaine des années 1980-1990 : l'une d'inspiration néopluraliste, centrée sur la notion de régime politique urbain (urban regime theory), et l'autre d'inspiration néomarxiste, centrée sur les coalitions urbaines pour le développement économique (urban growth coalitions). Bien qu'opposées dans leurs présupposés, ces deux approches s'intéressent en fait chacune à la manière dont les acteurs se coalisent pour produire une « capacité d'action » et rendre ainsi la ville gouvernable39(*). Ces deux conceptions de la gouvernance, appliquées au contexte africain, ne différent aucunement des conditionnalités imposées par les institutions internationales puisqu'elles impliquent des notions d'efficacité des appareils de gestion étatique.
D'une conception limitée de la corruption, on est passé, ces derniers temps, à un élargissement de son champ d'action et à son rattachement à des principes fondamentaux de justice sociale et des droits de l'homme. De même, avec l'accélération des changements au niveau planétaire et au regard de la grande importance accordée, aujourd'hui, à la problématique de la criminalité internationale, la source de normativité de la corruption s'oriente peu à peu vers de nouveaux sites d'observation que sont le régional et l'international. La notion de corruption implique, pour ainsi dire, l'idée de réformation des institutions étatiques et devient indissolublement liée à la notion de bonne gouvernance des affaires publiques. De ce fait, elle ne se laisse plus appréhendée comme étant un ensemble d'actes posés par un individu ou un groupe d'individus dans le but de distraire un patrimoine commun, mais également comme étant un obstacle pour la construction des États africains, voire un frein à l'aide au développement. Considérer à travers le prisme de la généralisation de ses conséquences, et avec la constatation de l'extension rapide de ses racines à toutes les sphères de prise de décisions gouvernementales au sein des États africains, la corruption rend bien compte de l'affaiblissement des mécanismes de contrôle et de gestion des réalités sociales en Afrique. Dans ce sens, la transparence dans la gestion des affaires publiques exigée par les institutions internationales, se présente comme une sorte d'antidote à cette incurie avérée en matière de développement économique. Les notions de corruption et de pauvreté en Afrique bien que distinctes demeurent, cependant, intimement liées à la nature de l'État néo-patrimonial puisqu'elles intègrent le débat actuel en sciences sociales sur la manière dont les États en Afrique au Sud du Sahara sont gérés. Selon Jean-François Médard « La nature néo-patrimonial de l'État (...) rend compte du phénomène de corruption en Afrique. La question cruciale de l'accès aux ressources rares, de leur contrôle et de leur redistribution est au coeur de la problématique du néo-patrimonialisme et de la corruption en Afrique (...) L'accès au pouvoir commande l'accès aux richesses, et la lutte politique a pour enjeu bien plus que la simple conquête de positions politiques »40(*). La corruption, en tant qu'elle se donne aussi à lire comme étant une entorse à la norme41(*) dans la gouvernance des affaires publiques, constitue une catégorie analytique pour la recherche de compréhension des déterminants essentiels de la pauvreté en Afrique. La corruption concerne les pratiques de bakchichs, l'attribution des marchés publics moyennant certaines récompenses, l'utilisation d'une fonction ou d'un service public pour un intérêt privé ou personnel, le népotisme, la fraude. Elle contribue à l'augmentation de la pauvreté au sein des populations civiles africaines. La responsabilisation de tous les acteurs sociaux face au danger que constitue la corruption nécessite la création des espaces de dialogue inclusifs, c'est-à-dire un élargissement des sphères de prise de décisions à l'ensemble des acteurs sociaux. La création ces derniers temps en Afrique des Commissions42(*) nationales de lutte contre la corruption témoigne de la nécessité de restructuration des administrations publiques et de la volonté politique d'assainissement des sources de richesses au sein des pays africains Dans le but d'aider les pays africains à combattre le phénomène de la corruption qui empêche le développement durable et équitable la Banque mondiale avait, non seulement exigé de substituer les mécanismes de marchés aux procédures administratives, mais également imposé un système d'audit externe des fonctions publiques africaines afin d'assurer un meilleur contrôle sur la manière dont économies sont gérées. La modernisation des fonctions publiques, des administrations judiciaires, bref, de toutes les institutions publiques associée à la redéfinition de la place et du rôle de la société civile, constitue des impératifs catégoriques, sans lesquelles aucune perspective de développement et de réduction de la pauvreté en Afrique ne saurait être possible.
Comme dans toute démocratie qui se respecte au monde, la simple politisation du débat social ne peut à elle seule suffire de rendre compte de la manière dont les richesses nationales sont orientées, gérées et redistribuées. Faudrait-il encore que les mécanismes de gestion soient sous-tendus par des règles de droit qui assurent, non seulement leur applicabilité, mais également leur légitimité. C'est dire qu'il faut tenir compte d'un impératif catégorique qui nécessite de politiser le débat social et de juridiciser le politique ; autrement dit, il faut soumettre toutes les méthodes ainsi que les mécanismes de gestion sociale des réalités au monopole du droit. Le respect de l'État est la condition sine qua none d'un développement durable à visage humain, efficient et harmonieux qui considère l'humain en l'homme comme étant une émergence aléatoire par excellence. La mauvaise gouvernance des réalités sociales en Afrique s'explique aussi par l'affaiblissement de l'autorité de l'État qui n'arrive plus à s'assurer les soutiens des populations civiles pour sa survie et qui voit ses capacités de redistribution s'amenuiser à cause des situations de crise (politique, social et économique) qu'il traverse. Dans ce sens, aucun développement ne peut être envisageable, sans un renforcement de l'autorité de l'État. Le respect de la légalité constitutionnelle et la redynamisation des institutions judiciaires constituent des piliers importants sur lesquels doit être fondée la gouvernance des États en Afrique subsaharienne. Il s'agit, en fait, de faire passer les principes constitutionnels de la puissance à l'acte, afin de redonner à l'action de l'État toute sa positivité en garantissant les conditions d'une participation efficiente des sociétés civiles africaines à la gestion équitable des affaires publiques. La primauté du droit est quelque chose de fondamentale pour l'instauration d'un environnement économique propice au développement durable des États. Cependant, les principes constitutionnels doivent être le reflet des réalités sociales et culturelles africaines, sinon les règles de droit demeureront de simples fantasmagories et ne pourraient constituer en cas de crise d'ultimes voies de recours. Le renforcement des capacités institutionnelles, la restauration de l'autorité de l'État ainsi que la réussite de la gouvernance dans d'Afrique au Sud du Sahara doivent déboucher sur la volonté politique de redynamiser les institutions administratives, de diversifier les sources de richesses nationales et d'élever le niveau de vie des populations civiles. La gouvernance, pour peu qu'elle soit légitime et efficace, nécessite de repenser les mécanismes de redistribution équitable des ressources mobilisables en responsabilisant tous les acteurs sociaux. Cette nécessité de responsabiliser les citoyens par rapport au respect du bien commun illustre bien la situation socio-économique du Kenya43(*), dont l'augmentation de la corruption, la dégradation des institutions judiciaires et la montée de la violence interne pendant la décennie 1980-1990, avaient fait de l'insécurité le lot quotidien des populations civiles. La volonté politique de mettre en place des structures de contrôle et de gestion des affaires publiques dans des État sous-développés d'Afrique est un gage pour la bonne gouvernance; elle constitue même une opportunité non négligeable et doit se fonder sur une éthique-responsabilité. Il est, certes, vrai que cette exigence fondamentale ne peut se réaliser sans qu'émergent quelques difficultés, mais l'expérience sur les différents terrains politiques africains montre que « (...) la définition d'un nouveau régime constitutionnel est devenue une priorité »44(*) pour la recherche des solutions appropriées aux problèmes de développement qui se posent aux États africains. Quoique de manière encore imparfaite, au départ, il semble tout de même opportun d'affirmer, pour emprunter à Jean du Bois de Gaudusson, que « Le constitutionnalisme [redevient] un élément important de la vie politique en Afrique qu'on ne peut plus négliger. Il en vient à y remplir ses fonctions de prévention et de règlement des conflits»45(*). La juridicisation des rapports sociaux en Afrique, loin d'être appréhendée ici comme étant une sorte de potion magique qui, une fois administrée permet d'enclencher un développement durable ou de garantir le bien-être des populations civiles mérite, néanmoins, d'être considérée comme étant une voie possible dans la dynamique de refondation des États africains criminalisés. Elle participe de ce mouvement de redéfinition épistémologique des modes d'action politiques. De ce point de vue, elle demeure l'un des piliers sur lequel repose la construction étatique. Sans risque d'exagération, il est certain de penser que tout pouvoir politique qui ne prend pas appui sur le droit (entendu ici au sens de droit constitutionnel du moment que c'est lui qui garantit les attributs, ainsi que l'exercice normal du pouvoir) court le risque de sa propre dégénérescence46(*). La juridicisation répond à l'ambition de toute politique de faire entrer tout projet de construction sociale de la réalité dans l'espace public, où se réalisent les intérêts collectifs. D'où l'idée que « Le droit correspond à une codification au sens littéral du terme, c'est-à-dire à un souci de mettre en forme et mettre des formes »47(*). Cette juridicisation du débat social à la base doit être également valable pour ce qui concerne les moyens d'acquisition des positions de gouvernement en considérant, par ailleurs, que la gestion politique, voire la responsabilité politique du partage du pouvoir nécessitent la mise en place des lois proactives et une représentation inclusive susceptibles de garantir la stabilité des institutions de l'État et la sécurité des citoyens. Toutefois, cette notion de juridicisation implique aussi celle de judiciarisation du politique, car les gouvernants doivent également répondre de leurs actes devant les tribunaux et le peuple. L'institutionnalisation de ces principes est une panacée face au trafic, à la fraude, à la corruption généralisée et à la circulation illégale des armes de destruction, contre le déchaînement de la violence aveugle et le perpétration des actes criminels (vols à main armée, viols des femmes et des jeunes filles, règlements de compte, assassinats crapuleux et odieux, impunité, etc.), contre le crime économique et le pillage organisé des richesses nationales au sein de la majorité des États africains. * 25 Dossier documentaire « Sommet mondial sur le développement durable », Johannesburg, 2000-fiche n°10. * 26Banque Mondiale, Governance. The world bank's experience, Washington, DC., 1994. * 27 Banque Mondiale, Governance and Development, Washington, DC., 1992. * 28 Prix Nobel d'économie en 1998. * 29 Nzongola Ntalaja, « Gouvernance et développement », Oslo, FAFO, 2003. * 30 PNUD, « Reconceptualizing governance », New York, 1997. * 31 PNUD, op. cit. * 32 Hewitt de Alcantara, « Du bon usage du concept de gouvernance », RISS, mars, 1998. * 33 Jobert (B.) et Muller (P.), L'État en action, Paris, P.U.F., 1987, p.10. * 34 Favre (P.), Sida et politique, Paris, L'Harmattan, 1992, p.33 * 35 Muller (P.) et Surel (Y.), op. cit., p.88 * 36 Idem, p.89 * 37 Osborne (D.) et Gaebler (T.), Reinventing Government, Adison-Westley, Reading Mass, 1992. * 38 Peters (B.-G.) et Savoie (D.-J.) [ed.], Governance in Changing Environment, Montréal, Mc Gill University Press. * 39 Jouve (B.) et Lefèvre (C.), « pouvoirs urbains : entreprises politiques, territoires et institutions en Europe », in Jouve (B.) et Lefèvre (C.) [dir.], Villes et métropoles en Europe : les nouveaux territoires du politique, Paris, Anthropos/Economica, 1999. * 40 Médard (J.-F.), « La nature de la corruption en Afrique sub-saharienne et ses causes », in La Lettre du Forum n°29, décembre 1998-janvier 1999. * 41 Le grand débat ayant suivi le remaniement gouvernemental au Cameroun ces derniers temps et qui a conduit à l'éviction de certains ministres comme celui de l'Économie et du Budget ou de la Santé, voire le Secrétaire Général de la Présidence, témoigne [dirait-on] de la volonté du Chef de l'Exécutif de lutter contre certaines pratiques devenues courantes dans la société camerounaise qui conduisent les hauts fonctionnaires de l'État à servir des prérogatives liées à leurs posture sociale, pour distraire le patrimoine commun. * 42 Au Congo-Brazzaville, le décret n°2007-397 du 29 août 2007 portant nomination des membres de la Commission nationale de lutte contre la corruption, la fraude et la concussion a été mise en place dans le but de contribuer à la réforme des institutions publiques, à la modernisation. * 43 Collectif (Banque mondiale (sous la dir.,), Op. cit., pp.66-67. * 44 Du Bois de Gaudusson (J.), « Les solutions constitutionnelles des conflits politiques », in Afrique contemporaine, n°250, 1996p.251. * 45 Ibidem. * 46 Ceci s'applique fort bien au cas congolais au moment même où, dans l'euphorie de sa victoire à l'élection présidentielle de 1992, Pascal Lissouba prêtait serment devant le peuple congolais en oubliant qu'il aurait été d'abord nécessaire de mettre en place des institutions comme la Haute Cour de Justice, le Conseil constitutionnel, le Conseil économique et social, le Conseil supérieur de l'information et de la communication, la Cour des comptes, tous prévus par l'Acte fondamental régissant la période de transition comme de sortes d'organes de contrôle du pouvoir. Ce premier acte constitue le premier coup d'état constitutionnel de l'ère démocratique au Congo, dès lors qu'il créait là un précédent grave pour l'enracinement de la jeune démocratie congolaise chèrement acquise après près de trois décennies de gestion sans partage du pouvoir politique. On était donc entré dans une dynamique de changement, changement entendu dans le sens de la positivité, faisait l'État autoritariste naissait de ces propres cendres. * 47 Renard (D.), Caillosse (J.) et Béchillon (D.), L`analyse des politiques publiques aux prises avec le droit, Paris, L.G.D.J, 2000, p.70. |
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