Coopération au développement et renforcement des capacités locales : Intervention des ONG et marges d'autonomie des acteurs à la base (cas des ONG GADEC et DIAPANTE )( Télécharger le fichier original )par Mamadou DIOUF Université GASTON BERGER de Saint Louis - Maîtrise de Sociologie du Développement 2007 |
Chapitre sept (7) : Présentation, analyse et interprétation des résultats des enquêtes de terrainLa présentation et l'exploitation des résultats de nos enquêtes de terrain nous permet, dans un premier temps, d'analyser les mécanismes, la nature et la portée de la participation des acteurs à la base aux différentes étapes des projets et programmes et, dans un second temps, de nous prononcer sur les marges d'autonomie des acteurs à la base dans le cadre des interventions du GADEC et de DIAPANTE. Section seize (16) : Les acteurs à la base et leur participation aux projets et programmes des ONGGADEC et DIAPANTE16.1 : A l'élaboration des documents de projets ou de programmes Il semblerait sur la question de l'élaboration des documents de projets et programmes que le GADEC et DIAPANTE recherchent effectivement à valoriser la connaissance que les populations ont de leurs propres situations. C'est là il faut le reconnaître tout l'enjeu de l'approche participative qui postule que « la prise en compte des savoirs locaux renforce considérablement l'efficience et l'efficacité des actions de développement »79(*). Les résultats des enquêtes sur le terrain confirment en effet que cette préoccupation est bel et bien pris en charge par les ONG GADEC et DIAPANTE puisqu' à la question de savoir quelle était la place des acteurs à la base dans le processus d'élaboration des documents de projets ou programmes, 93% des personnes membres ou sympathisants des OCB partenaires du GADEC et DIAPANTE, estiment qu'ils sont effectivement associés à l'élaboration des projets et programmes qui les lient à ces ONG. Graphique N°4 Source : données de l'enquête (questionnaire n°1) En terme de pouvoirs dans les processus de prise de décision, ces populations elles mêmes jugent pour leur majorité (74%) ceux-ci déterminant. Au GADEC et à DIAPANTE les avis des responsables enquêtés semblent corroborer cet état de fait, c'est ainsi qu'une personne à DIAPANTE nous révélait que les populations ont une place cruciale dans l'élaboration des documents de projets et programmes notamment pour tout ce qui a trait aux diagnostics et à la formulation d'activités alternatives « rien ne se fait sans eux et ils peuvent même avoir un droit de veto »80(*). Il est intéressant de remarquer à ce propos, l'importance toute particulière accordée aux phases de restitution/négociation qui jalonnent les processus d'élaboration. C'est comme qui dirait qu'après chaque étape il est impérieux de valider les éléments d'information collectés ainsi que leur même compréhension par tous. Cette démarche traduit à notre sens un réel désir chez le GADEC et DIAPANTE de trouver des solutions consensuelles sur les enjeux locaux de développement. Consensuelles non seulement entre elles et les populations locales mais aussi entre les différents groupes stratégiques en présence. Il ressort également que les partenaires financiers et bailleurs interviennent bel et bien dans le processus d'élaboration des documents de projets et programmes. La plupart des responsables rencontrés tant au GADEC qu'à DIAPANTE (97%) nous confient, en effet, que ces derniers interviennent dans les processus d'élaboration des documents de projets et programmes. Graphique N°5 Source : données de l'enquête (questionnaire n°1) Pour M. Ibrahima NDIAYE du GADEC « c'est généralement pour voir si le projet ou programme en passe d'être ficelé est en adéquation avec leurs cadres stratégiques. Si c'est le cas tant mieux, si non il faut trouver des alternatives »81(*) , des propos qui rejoignent ceux d'Amicolé BADJI de DIAPANTE pour qui « les partenaires financiers interviennent dans l'élaboration des documents de projets et programmes en référence à leurs préoccupations spécifiques »82(*). C'est dire que leur rôle est d'ordre consultatif et vise surtout à harmoniser les documents de projets d'avec les cadres stratégiques des bailleurs en vue de garantir aux futurs documents de projets ou programmes un maximum de bancarité. Lorsqu'on interroge les responsables du GADEC et de DIAPANTE sur les difficultés que pose la participation des acteurs à la base à l'élaboration des documents de projets et programmes, la réponse qui revient le plus souvent (48%) a trait à la priorisation. Beaucoup de ces responsables déplorent en effet le fait qu'il peut souvent arriver que les différents groupes stratégiques, c'est-à-dire les principaux acteurs en présence (hommes/femmes, agriculteurs/éleveurs.....) ne tombent d'accord sur les besoins prioritaires auxquels il faut rapidement apporter des solutions au travers du futur projet ou programme. En d'autres termes on ne tombe presque jamais vraiment d'accord sur quel doit être parmi les besoins identifiés celui (ou ceux) auquel il faut expressément apporter des solutions. Pour Amicolé BADJI le problème est que « l'intérêt commun n'est pas toujours bien perçu »83(*). L'analphabétisme ou encore le manque de formation adéquate sont également des difficultés qui ont été souvent soulevées par les responsables du GADEC et de DIAPANTE. Il est important de signaler cependant que la question ne se pose pas véritablement dans le cas des OCB concernées par les enquêtes, car l'essentiel des personnes membres ou sympathisants de ces OCB rencontrés ont été si ce n'est à l'école tout au moins dans des cycles d'alphabétisation fonctionnelle. Graphique N°6 Source : données de l'enquête (questionnaire n°3) Il est vrai (l'analyse de contenu le révèle et les données recueillies au GADEC et à DIAPANTE le confirment) que le désir est réel du côté des ONG GADEC et DIAPANTE d'impliquer du début jusqu'à la fin les populations à l'élaboration des documents de projets et programmes. Cela se réalise effectivement aux étapes d'identifications des besoins, de priorisation et de définition des activités..... A toutes ces étapes en effet, les populations sont très fortement associées et leurs pouvoirs de décision y sont déterminants. Mais il ressort, aussi, des données et résultats de nos enquêtes qu'à l'étape de la planification les ONG GADEC et DIAPANTE paraissent moins enclines à écouter les populations. Ici le véritable problème n'est pas le fait de les « associer » au processus mais plutôt celui de les « écouter » et de leur conférer un certain pouvoir de décision. Elles peuvent en effet bel et bien y être associées comme le révèlent d'ailleurs les données recueillies auprès des responsables du GADEC et de DIAPANTE. Graphique N° 7 Source : données de l'enquête (questionnaire n°2) Mais, cette implication ne leur donne pas, pour autant, un pouvoir de décision déterminant sur les processus « le dernier mot ne leur revient pas ». En d'autres termes ils sont présents aux réunions et séances de planification, y participent même mais leur pouvoir de décision n'est déterminant que dans certaines limites comme le révèlent plus de 50% des réponses à la question de savoir si les populations ont un réel pouvoir de décision dans la planification des activités ? Graphique N°8 Source : données de l'enquête (questionnaire n°2) M. DIOP du comité de jumelage de Ndiathène déplore à ce propos ce qu'il nomme le « manque de confiance »84(*) de la part de l'ONG « comment pouvons nous être censés mettre en oeuvre ensemble un projet, sans nous être clairement convenu sur l'organisation au quotidien (modalités) ; je trouve que c'est à la limite un manque de confiance »85(*). Ce qui ressort généralement c'est, en effet, un sentiment de frustration lié au fait que ces populations estiment majoritairement qu'elles sont comme qui dirait laissées pour compte. Quoiqu'il en soit, le fait reste que pour ce qui est de l'organisation du projet, de la définition des inputs et outputs, de la détermination des périodes d'évaluations..., le GADEC et DIAPANTE se réservent le droit de prendre les décisions. C'est-à-dire que bien qu'elles s'attachent à analyser et à intégrer les dynamiques sociales en présence, à prendre en charge les besoins, potentialités, limites et aspirations des populations ; ces ONG ne s'en réservent pas moins le privilège de donner le ton dés qu'il s'agit de planification opérationnelle. Comment peut-on analyser et interpréter un tel état de fait ? Tout d'abord nous commencerons par avancer en partant d'un certain nombre de données tirées de l'analyse de contenu que ces ONG se voulant performantes, crédibles et visibles, il est tout à fait compréhensible que sur des décisions touchants des aspects aussi sensibles et décisifs pour un document de projet que la planification ; le pouvoir de décision et d'orientation soit détenu par la « technostructure » c'est-à-dire les cadres de conceptions et techniciens. Ce que nous voulons dire c'est que cet état de fait qui consiste en ce que l'ONG se réserve le dernier mot en ce qui concerne tout au moins la planification des activités du projet ou programme, peut s'analyser sous l'angle de ce désir profond qu'il y a au GADEC et à DIAPANTE de faire les choses de manière professionnelle, transparente, performante et crédible. Cette interprétation pousse à se dire en définitive que c'est parce que ces ONG souhaitent paraître professionnel et crédible vis-à-vis de certains partenaires qu'elles se refusent à croire véritablement et profondément en la capacité d'auto organisation des populations. Ce qui rejoint pour une large part les propos de M. DIOP que nous citions tantôt et qui se plaignait d'un manque de confiance. L'autre élément d'analyse que nous pourrions avancer pour tenter d'expliquer l'absence visible d'un pouvoir de décision suffisamment déterminant conféré aux populations dans le processus de planification, c'est peut être ce que nous pourrions nommer les exigences des bailleurs. Cet élément d'analyse est d'ailleurs fortement lié au premier à savoir la recherche de performance et de crédibilité. Mais il a aussi cela de particulier qu'au lieu de braquer le regard du côté des ONG (comme c'est le cas du premier élément d'analyse), il incite plutôt à orienter l'analyse du côté des bailleurs. Il faut dire qu'à partir de la planification déjà le projet ou programme commence à être ficelé, et l'identification des potentiels bailleurs commence à hanter l'esprit des promoteurs (responsables d'ONG)86(*). Il est donc aisé de comprendre qu'à partir de ce stade l'ONG cherche déjà à se conformer à certaines exigences, à respecter certains termes de références, cahiers de charges et protocoles d'engagements. Grâce à l'analyse de contenu on a pu, par exemple, se rendre compte en étudiant des protocoles de collaboration, contrats d'exécution, lettres de mission, convention de partenariat... que les bailleurs exigent (en terme de contrôle financier et de régularité des procédures) entre autres la totale régularité des montages financiers des projets et programmes qui leur sont soumis. Vu que ce montage financier se fait principalement à l'occasion de la planification (définition des inputs), on peut comprendre que ces ONG ne veuillent pas pâtir par manque de professionnalisme et de clairvoyance. Ce qui rejoint le premier élément d'analyse. Chacun pourra juger de la pertinence de ces éléments d'interprétation que nous avançons, mais ce qu'il est surtout intéressant de retenir c'est que les populations bien qu'elles soient consultées et associées au processus de planification ; n'y disposent pas pour autant de réels pouvoirs de décision. Nous n'irons pas jusqu'à dire que leurs opinions n'ont aucun poids, mais il est clairement démontré que leur pouvoir décisionnaire est limité et n'entre en compte que lorsqu'il convient aux exigences des bailleurs c'est-à-dire lorsqu'il correspond aux critères de professionnalisme et surtout de crédibilité et de performance. Bien qu'elle soit déterminante dans les processus de planification des activités, la participation des bailleurs et partenaires financiers n'en est pas moins tacite ou implicite. Ce qu'il faut comprendre c'est que cette participation n'est pas physique, autrement dit les bailleurs ou partenaires financiers ne sont pas explicitement et concrètement associés à chaque processus de planification d'un projet et programme (sauf s'ils sont eux-mêmes les porteurs de projet ou d'anciens partenaires sur d'autres phases d'un même projet ou sur d'autres projets du même genre). Dés lors leur participation devient tacite en ce sens ou c'est à travers l'idée ou les informations que les responsables d'ONG ont des cahiers de charges ou autres termes de référence des potentiels bailleurs, qu'il s'invitent par la petite porte aux processus de planification où ils finissent par prendre toute la place. Cette réalité de terrain, ils ne sont pas nombreux les responsables au GADEC et à DIAPANTE qui osent le reconnaître. Ainsi sur l'ensemble de nos questionnaires soumis aux coordonnateurs, délégués, administrateurs financiers et autres responsables administratif et financier à la question de savoir s'il est une fois arrivé dans l'histoire de l'ONG que des partenaires financiers aient à édicter des stratégies, des types d'actions ou zones particulières d'intervention ; les réponses affirmatives recueillies ont été de loin beaucoup moins importantes que celles négatives (20%). Graphique N°9 Source : données de l'enquête (questionnaire n°2) Partout c'est un «non catégorique», pour reprendre M. DIALLO du GADEC, qui a fusé même si le fait reste que sur le terrain tout laisse à penser que c'est généralement et de façon implicite le contraire. Oui, il arrive que les partenaires financiers parce que l'on calcul avec eux s'immiscent dans le processus de planification pour y voler la vedette et cela l'analyse de contenu le confirme. Si les responsables des ONG GADEC et DIAPANTE opposent un certain nombre de difficultés et manquements imputables aux populations et qui justifieraient qu'elles ne soient pas trop écoutées dans les ateliers de planification (manque de formations adaptés et parfois même d'éducation, inaptitude à participer valablement à des exercices qui exigent un niveau de technicité suffisamment pointu comme c'est le cas au cours du montage financier, conflits d'intérêts et autres luttes de pouvoir) ; les populations elles aussi ne manquent pas de fustiger un certain nombre de faits. En fait elles déplorent surtout c'est le manque de confiance flagrant dont font preuve leurs partenaires (les ONG) dés qu'on parle de planifier quelque chose. De ce constat découle une certaine frustration qui donne l'impression que les ONG négligent les savoirs et capacités des populations. Certaines populations aussi comme c'est le cas pour Khaly KANE de l'EIVC reconnaissent et acceptent les griefs qui leur sont faites en terme de manque d'organisation et de conflits d'intérêts. Ce Monsieur nous répondant à la question de savoir à son avis, quelles sont les difficultés que pose leur participation à la planification des activités et programmes de l'ONG nous déclarait « la difficulté principale se situe au niveau des rapports entre le groupement du village de Diyabougou et l'EIVC ». Pour dire que même ces populations reconnaissent aujourd'hui les limites de leurs propres organisations et devinent nettement les enjeux et conflits d'intérêt qui se dessinent sur leurs terroirs. 16.2 : A l'exécution des projets et programmes Chaque projet ou programme, selon son contenu, présente une spécificité du point de vue de ses modalités de mise en oeuvre (exécution). On ne mettra pas en oeuvre de la même sorte des projets de d'hydraulique villageoise ou de construction d'infrastructures et des projets de sensibilisation/animation ou de promotion d'une variété culturale (sésame). De la même sorte le rôle et l'intensité de la participation des différentes catégories d'acteurs, et plus particulièrement des acteurs à la base, varient en fonction des contenus des projets et programmes. Il est clair, de notre point de vue, que les acteurs à la base constituent une catégorie d'acteurs qu'il est impératif d'associée à l'exécution des projets ou programmes de développement ; tout doit être fait pour que les populations puissent s'approprier par elles mêmes les projets ou programmes de développement qui les touchent directement, qu'elles en assurent l'entière réalisation et qu'elles en garantissent la pérennité. Il semblerait au regard des résultats de nos enquêtes que le GADEC et DIAPANTE sont aussi de cet avis. On s'est, en effet, rendu compte à travers des projets comme le projet Adduction d'Eau Potable (AEP) du Programme de Coopération Décentralisée Commercy Mbagam Ndiathène (PCD/CMN), que les populations sont au coeur de l'exécution des projets ou programmes ; s'il y a quelque chose à construire ce sont elles qui le font, s'il faut aménager des périmètres agricoles ce sont elles aussi qui le font et s'il faut sensibiliser ou former c'est elles qu'on sensibilise ou forme. Il faut comprendre qu'à chaque fois qu'il s'agit d'exécuter des projets ou programmes, ce sont elles qui se retrouvent en première ligne. L'ONG ou ses partenaires techniques peuvent bien les appuyer et les conseiller mais elles sont concrètement celles qui exécutent le projet ou programme. Dans le cas du PPS qui recoupe le volet sécurité alimentaire du PADEL nous avons ainsi pu nous rendre compte, comme nous le disait M. WELE, qu'il appartenait aux populations d'identifier au cours de l'exécution du programme « les périmètres sur lesquels le sésame sera cultivé, de faire les démarches auprès des autorités compétentes pour l'affectation de ces terres, de cultiver, de récolter et de commercialiser les productions »87(*). L'implication va même, dans certains cas, au-delà de l'investissement physique (humain) jusqu'à l'investissement financier ou monétaire. C'est-à-dire que les populations peuvent même être amenées à engager leurs ressources financières dans l'exécution des projets ou programmes. Dans le cas du projet AEP, par exemple, il est convenu qu'une fois la réalisation de la station de pompage terminée, il appartiendra aux populations elles mêmes de supporter les coûts d'exploitation en payant notamment les notes d'électricité. Les choses auraient pu être parfaites s'il ne se trouvait que les processus de prise de décision qui ponctuent cette étape du projet ou programme sont le plus fréquemment biaisés. Nous trouvons qu'ils sont biaisés dans le sens où les faits révèlent qu'à ce niveau les exécutants qui logiquement auraient dû détenir les pouvoirs de décision, n'en sont pas véritablement les détenteurs. C'est-à-dire que les populations qui dans les faits exécutent les différentes phases de mise en oeuvre des projets ou programmes, n'en disposent pas pour autant d'un réel pouvoir de décision. Ils ne décident par exemple ni des décaissements, ni des périodes d'évaluation.... En un mot elles n'organisent pas et ne gèrent pas. Dans la majeure partie des cas, les réponses que nous avons recueillies sur le terrain à la question de savoir si les populations ont un pouvoir de décision dans la gestion (technique, financière, humaine..) et l'organisation des projets ou programmes, ont soit été nuancées (54%) soit catégoriquement négatives (35%). Graphique N°10 Source : données de l'enquête (questionnaire n°1) A part peut être le fait que dans quelques rares cas elles peuvent décider de la localisation des activités (exemple lieu d'implantation d'un forage) ; à aucun moment de l'exécution elles ne sont réellement les décideurs. Tout vient de l'ONG, c'est elle qui prend les grandes décisions. Et cela ressort à travers les données recueillies auprès des populations. Alkali SAO de l'EIVC déplorait, par exemple, le fait qu'à l'étape d'exécution le projet devient «un projet du GADEC»88(*). C'est pour lui comme qui dirait que l'ONG, à l'étape d'exécution des projets ou programmes, fait délibérément l'impasse sur les populations qui disparaissent comme par enchantement des sphères de décision. Autrement dit bien qu'elles soient, par exemple, chargées de la construction le puits dans le cas d'un projet d'hydraulique villageoise; elles n'en demeure pas moins écartées de la gestion et de l'organisation de ces projets. Ce qui nous fait penser par métaphore à la théorie des entreprises de TAYLOR, les populations tels les ouvriers de TAYLOR ne sont que des bras à qui on demande d'exécuter et non de réfléchir d'autres sont là et qui savent mieux le faire. Si l'on cherche à analyser les choses en terme de difficultés que pose la participation des populations à l'exécution des projets ou programmes, on peut tout simplement relever un certain nombre de réponses qui nous ont été fournies par des responsables du GADEC et de DIAPANTE et qui parlent d'elles mêmes. Pour M. NDIAYE le responsable du Suivi/Evaluation au GADEC, par exemple, il faut déplorer que de manière générale ce sont « les femmes qui sont les plus impliquées dans l'exécution alors que ce sont les hommes qui obtiennent toujours les crédits »89(*). Sur un autre registre Alain KASRIEL regrettait les tiraillements et autres luttes d'intérêts auxquels on peut généralement assister « quand il y a de petites réalisations à faire ou tout simplement des choses à mettre en oeuvre, on rencontre très souvent des formes de favoritisme et de lobbying venant de leur part. Chacun cherche à se positionner ou tout au moins à placer un proche»90(*). Du côté des populations, le constat paraît amer pour tous « on fait semblant de nous impliquer, le plus souvent même c'est nous qui supportons l'essentiel des charges mais au fond tout n'est que leurre car nous ne décidons en fait de rien ». Il en découle ce même de sentiment de frustration latent dont nous parlions un peu plus en arrière. 16.3 : Au Suivi/Evaluation des projets et programmes Pour Amicolé BADJI de DIAPANTE, le suivi/évaluation des projets et programmes de développement peut être résumé en trois (3) démarches : 1. Le suivi quotidien 2. L'évaluation à mi parcours 3. L'évaluation externe ou finale Chacune de ces démarches vise un objectif bien spécifique et interpelle, par conséquent, différemment tel ou tel autre acteur de l'environnement du projet ou programme. Le suivi quotidien vise à assurer la conformité des activités et résultats obtenus sur le terrain en rapport aux objectifs du projet ou programme. C'est-à-dire qu'il est question pour l'ONG d'assurer au jour le jour la concordance et la cohérence entre objectifs, axes stratégiques d'intervention, exigences de l'environnement et réalités de terrain. Cette activité de gestion au quotidien cherche à éviter tout dérapage et à garantir le respect de la planification et des conditionnalités de financement. Il est flagrant que dans ce processus ce sont l'ONG et les populations qui sont les acteurs les plus impliqués ; il s'agit notamment d'entretenir un échange permanent sur le déroulement des opérations. Au GADEC, par exemple, nous avons pu nous rendre compte que ce sont les animateurs de terrain qui sont surtout les moyens de cette démarche. Ainsi nous avons été témoin, pendant tout le temps que nous étions en stage à Tambacounda, que chaque jour 3 ou 5 animateurs de terrain quittaient à motocyclettes leurs villages pour se rendre au GADEC et y rencontrer des responsables. Ces visites, hebdomadaires pour certains, s'inscrivent justement dans l'optique de cette démarche de suivi quotidien. Dans le cadre du projet AEP du PCD/CMN nous avons, personnellement aussi, eu à participer à une rencontre du comité de gestion qui s'inscrivait dans l'optique d'une gestion directe et en temps réel de l'exécution du projet. Nous avons aussi et à maintes reprises était témoin au GADEC comme à DIAPANTE de nombreuses visites de terrain que devaient effectuer tel responsable de programme ou tel autre. C'est dire que le suivi quotidien est bel et bien réel au GADEC et à DIAPANTE et que outre l'ONG il se fait essentiellement avec les exécutants c'est-à-dire les populations elles mêmes. Au GADEC, par exemple, les choses se passent de la façon suivante : chaque jour les animateurs se rendent sur le terrain (d'où d'ailleurs leur appellation d'animateurs de terrain) pour recueillir auprès des populations des données quantitatives qu'ils se chargeront une fois par semaine de restituer aux chargés de programmes. C'est sur la base de ces données quantitatives fournies par les populations que les fiches de suivi quotidien sont établies. L'évaluation à mi parcours est au projet ou programme ce qu'est un brevet de fin d'études moyennes dans le cursus d'un élève. C'est en quelque sorte un examen de passage qui se tient à mi parcours de l'exécution du projet ou programme. Schématiquement il s'agit lorsque, par exemple, le projet ou programme est étalé sur 2 ans ; de procéder au bout de la première année d'exécution à un contrôle (audit) qui peut porter sur différentes rubriques (contrôle financier, audit de gestion, audit de procédures, audit des outputs....). Les populations y sont associées et nous avons pu d'ailleurs nous rendre compte qu'elles y occupaient une place centrale. Pour Ibrahima NDIAYE le responsable du suivi/évaluation au GADEC, cela semble aller de soi « dans la mesure où ce sont elles qui doivent assurer le remboursement du crédit, acheter le gasoil, payer l'eau ; ils ont intérêt à suivre si les choses se passent bien »91(*). Il ne faut en effet pas perdre de vue que, dans certains cas, l'implication des populations dans l'exécution des projets ou programmes peut aller bien au-delà de l'investissement physique (humain) jusqu'à l'investissement financier. Dans de tels cas il est, pensons nous, fort compréhensible qu'elles veuillent s'assurer de l'utilisation et de la gestion rationnelle de leurs fonds. C'est pourquoi on constate qu'elles participent très activement aux activités d'évaluation et apportent sur de nombreuses rubriques leurs avis. Plus fondamentalement cependant, ce qu'il faudra surtout retenir c'est que même s'ils ne s'investissent pas financièrement dans l'exécution d'un projet ou programme donné l'implication des acteurs à la base reste toujours effective (elle est presque même nécessaire) à l'étape de suivi/évaluation à mi parcours. A chaque fois en effet, qu'une mission d'évaluation descend sur le terrain c'est à elles prioritairement qu'elle s'adresse ; c'est dire que c'est principalement auprès d'elles que les données d'évaluation qualitatives sont recueillies. L'évaluation externe ou finale est, non seulement, un contrôle qui se tient en fin de projet ou programme mais c'est, en plus, un contrôle qui se fait le plus généralement avec le concours d'observateurs et/ou de structures externes. La chose la plus intéressante à retenir reste, nous semble t-il, que c'est un processus qui voit la participation effective des différents acteurs qui ont concouru à l'élaboration, la planification et à l'exécution du projet ou programme qui arrive à terme. Généralement les choses se passent de manière très simple : bailleurs, ONG, populations, instances de l'Etat, structures techniques déconcentrées, représentants des collectivités locales et souvent aussi des structures externes indépendantes du projet ou programme, se retrouvent autour d'une table pour tirer le bilan de ce qui a été fait, des résultats qui ont été atteints et de leur conformité d'avec les objectifs de départ. C'est à l'ONG au cours de ces rencontres d'évaluation, de faire les exposés et de diriger les échanges ; bailleurs, partenaires techniques et populations n'étant là que pour apporter leurs remarques et contributions (ce n'est surtout pas pour dire que c'est tout juste une affaire de l'ONG). On se doute bien cependant que les contributions des uns ou des autres varieront selon qu'il s'agit de tel ou tel autre acteur. Le bailleur est surtout là pour évaluer la rentabilité économique et sociale de son « investissement » et là les critères d'appréciation peuvent être de divers ordres : · L'exécution budgétaire · L'efficacité d'action · La pérennité des actions qui ont été mises en oeuvre · L'atteinte des objectifs · Le respect de la planification..... Tout en aidant donc à tirer le bilan de ce qui a été fait les bailleurs focalisent généralement leur attention sur des critères d'évaluation quantitatifs qui leur permettront de juger si oui ou non le projet ou programme qui arrive à terme a été une bonne « opération ». Dans le cas où elles s'investissent financièrement les populations peuvent, elles aussi, entretenir la même démarche. Mais ce à quoi on assiste le plus fréquemment c'est à une ferme volonté d'aider à tirer tous les enseignements sur des questions ayant notamment trait à l'atteinte des objectifs, à la satisfaction des besoins identifiés lors de l'élaboration du projet ou programme, aux futures actions à entreprendre.... Ce que nous voulons dire c'est que même si elles peuvent être là pour évaluer la rentabilité économique de leur participation financière, les populations saisissent toujours l'opportunité de ces rencontres pour participer sérieusement aux débats et donner leurs opinions sur ce qui a été fait et ce qui reste à faire. Il ressort de ce bref survol des démarches de suivi/évaluation des projets et programme au GADEC et à DIAPANTE que, globalement, trois (3) dispositifs ont cours chez ces ONG. Comme on a pu le voir, chacun de ces dispositifs vise un ou des objectifs différents et implique donc à des degrés différents chacun des acteurs de l'environnement du projet ou programme. Tantôt ce sont les populations et l'ONG qui sont à l'oeuvre, tantôt ce sont les bailleurs et des structures externes qui le sont plus. Il est dés lors très aisé de comprendre que les processus de décision soient elles aussi entachées de ces variations. Dans certaines situations la décision revient à l'ONG et dans d'autres elle est plutôt du ressort du ou des bailleurs. Dans le cas du suivi quotidien, par exemple, il est clair que c'est surtout à l'ONG qu'il appartient de corriger toute dérive sur le terrain. C'est à elle qu'il appartient, au jour le jour, de prendre les décisions qui s'imposent et de s'assurer de leur bonne application. Pour l'évaluation à mi parcours et l'évaluation externe, par contre, on s'est très rapidement rendu compte que les véritables décisions venaient des bailleurs. C'est à eux qu'il pouvait appartenir de juger de la qualité des résultats et donc de décider de la reconduction ou non d'un projet ou programme car tels sont, en vérité, les enjeux réels de ces deux procédures. Il est vrai que lorsqu'on interroge les responsables du GADEC et de DIAPANTE pour savoir si oui ou non les populations disposent d'un pouvoir de décision sur les procédures de suivi/évaluation, la majeure partie des réponses que l'on recueil est affirmative (83%) et de surcroît ils soutiennent presque tous que ce pouvoir de décision est déterminant.
Graphique N°11 Source : données de l'enquête (questionnaire n°2) Mais, le fait reste aussi que ces mêmes populations soutiennent mordicus le contraire. Sagni TOURE de l'EIVC parlait, par exemple, de « responsabilité partagée selon les compétences requises »92(*) pour dire que presque jamais leur avis n'est déterminant dans les processus de suivi/évaluation dans la mesure où ils n'ont presque aucune compétence avérée pour ce qui est de la plupart des rubriques du suivi/évaluation. Il semble rejoindre en cela A. SOW du comité de jumelage de Mbagam qui lui se plaignait surtout du fait que les acteurs à la base ignorent presque tout des indicateurs de performance qui permettent d'évaluer un projet ou programme. L'adage dit « qui souhaite noyer son chien, l'accuse de rage », pour dire qu'il est tout à fait permis de se demander si l'on ne fait pas croire aux populations qu'elles sont incompétentes pour mieux les écarter des véritables sphères de décision ? Dans tous les cas le fait reste que nos études sur le terrain révèlent que même si les populations participent de différentes manières, mais toujours très activement, aux processus de suivi /évaluation ; très concrètement, cependant, elles ne disposent d'aucun pouvoir de décision. Le ton est surtout donné par les bailleurs puis ensuite par l'ONG. S'agissant des différents types de difficultés que nous avons eu à relever concernant la participation des acteurs à la base aux processus de suivi/évaluation des projets et programmes, nous retiendrons que les responsables du GADEC et de DIAPANTE se sont plaints du manque de compétences, des rivalités personnelles, de l'absence d'une vision claire des véritables enjeux..... ; alors que du côté des populations on a surtout déploré le manque de moyens (par exemple le fait que leurs organisations ne soient dotées de motocyclettes), l'absence de motivation et surtout l'unilatéralisme des décisions qui sont prises. Ce qui nous pousse à aborder la question proprement dite des marges d'autonomie dévolues aux acteurs à la base dans les projets et programmes (interventions) du GADEC et de DIAPANTE. * 79 SECK (S.M) et D'AQUINOT (P), op. Cit., p. 232. * 80 Interview M. DIAW * 81 Interview M. Ibrahima NDIAYE. * 82 Interview Mme Amicolé BADJI. * 83 Interview Mme Amicolé BADJI. * 84 Interview Mr DIOP du comité de jumelage de Ndiathène. * 85 Op. Cit. * 86 Précisons que notre approche analytique part toujours du postulat que l'ONG est le porteur de projet ou programme. A chaque fois que nous envisagerons l'ONG en tant qu'elle est sollicitée par un bailleur pour la réalisation d'un projet ou programme nous prendrons la peine de le préciser. * 87 Interview M. WELE. * 88 Interview Alkali SAO. * 89 Interview M. NDIAYE. * 90 Interview Alain KASRIEL. * 91 Interview Ibrahima NDIAYE. * 92 Interview Sagni TOURE. |
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