DISCUSSION
Nous présenterons dans un premier temps une
brève analyse du choix de notre matériel d'étude. Nous
discuterons nos données selon trois axes de réflexion principaux.
Nous nous interrogerons sur le rôle des interactions dans l'acquisition
de la théorie de l'esprit puis nous aborderons la phase de transition
qui mène à la théorie de l'esprit. Dans une
dernière partie, nous discuterons du lien entre le contenu des
interactions et l'acquisition de la théorie de l'esprit.
1. Le choix du matériel
d'étude
Les cinq épreuves de pré-test ont permis de
séparer les enfants en trois groupes distincts en fonction de leurs
performances aux épreuves de théorie de l'esprit et de
justification. Le barème sélectionné semble assez
adapté à la classe d'âge des enfants de moyenne section de
maternelle puisque les scores sont répartis sur l'ensemble des deux
échelles. Nous n'observons pas d'effet plafond puisque quatre enfants
sur un effectif de vingt-trois parviennent au score maximum.
Les résultats du pré-test valident
également le choix de la classe de moyenne section de maternelle comme
période d'étude de l'effet des interactions entre pairs sur
l'acquisition de la théorie de l'esprit. Nous observons, en accord avec
de nombreux autres résultats expérimentaux, une grande
variabilité des scores des enfants aux épreuves de théorie
de l'esprit qui indiquent qu'au cours de cette année les enfants passent
d'un stade d'échec aux épreuves de théorie de l'esprit
à un stade de réussite de ces épreuves.
Par contre il est impossible d'affirmer que la réussite
des épreuves atteste d'un accès total à la théorie
de l'esprit puisque nous n'avons testé que les capacités des
enfants à commenter cinq histoires. Les épreuves et les questions
proposées aux enfants se basent sur différentes formes
d'expression de la théorie de l'esprit mais nous considérons
à l'instar de Nadel ou de Bradmetz (1999) que l'acquisition de la
théorie de l'esprit ne se résume pas à la réussite
de ces épreuves. Les épreuves de fausse croyance
présentent cependant des résultats suffisamment solides pour
être utilisés comme marqueur du passage d'une étape
primordiale sur la voie de la maîtrise de la théorie de l'esprit.
2. Le statut de l'interaction pour l'acquisition de
la théorie de l'esprit
Nous avons observé une augmentation significative du
score aux épreuves de théorie de l'esprit et de justification
pour tous les enfants du groupe 3 lorsqu'ils sont placés en interaction
avec d'autres enfants. Les interactions semblent donc permettre une
amélioration des résultats aux épreuves liées
à l'acquisition de la théorie de l'esprit. Ces résultats
sont en accord avec notre approche théorique qui considère que
c'est en partie au cours des interactions avec autrui que les enfants
réalisent des progrès cognitifs. Ces données
expérimentales diffèrent de celles observées par Bouchand
qui remarquait que les interactions entre enfants de 4-5 ans de même
niveau n'ont généralement pas d'effet notable . Il observe que
chez les enfants de 3-4 ans, l'attention est encore moins soutenue que lors des
passations individuelles. Ce n'est que chez les enfants de 6 ans qu'une
ébauche de débat se met en place
Dans la recherche de Bouchand, le film présenté
aux enfants ne leur permet pas de déterminer qui est à l'origine
d'une bêtise commise. Les enfants n'ont pas accès aux informations
nécessaires. L'expérimentateur leur demande ensuite qui a commis
la bêtise. Ce type d'histoire est plus compliqué que celles que
nous leur avons proposées. Cette différence de difficulté
peut expliquer les différences entre les résultats des deux
études.
. Bouchand (1998) suppose qu'un débat ne peut
s'instaurer que quand les interlocuteurs deviennent capables de prendre en
compte le point de vue de l'autre. Le contenu des interactions au cours de
notre recherche est similaire à celui de Bouchand : les
interactions ne laissent que peu de place au débat source de conflit
sociocognitif ou à la co-élaboration. L'écoute et
l'observation des réponses des pairs étaient les comportements
les plus fréquents. Par contre les enfants restaient attentifs aux
histoires que nous leur contions.
Nous avons observé dans quelques rares cas la mise en
place d'une reprise de la réponse de l'autre pour la modifier en
justifiant la modification. Ces comportements n'ont été
observés que chez les enfants ayant acquis la théorie de l'esprit
et qui reprenaient la réponse de l'enfant en interaction. La mise en
place d'un conflit sociocognitif ne semble donc pas responsable des
progrès observés chez les enfants à la fin de
l'expérimentation.
Nous pouvons proposer plusieurs explications à
l'augmentation du score aux épreuves mais qui resteront au niveau de
simples hypothèses.
La première explication est que l'interaction
même faible permet des progrès cognitifs. Malgré l'absence
de conflit socio cognitif, les enfants ont été placés dans
une situation au cours de laquelle la prédiction formulée par
l'autre enfant diffère de la sienne .Cette situation peut être
à l'origine d'une comparaison de la réponse de l'autre enfant
avec ses propres prédictions qui peut mener à amorcer une
réélaboration cognitive. Les enfants se trouvent ainsi placer
dans une dynamique interactive du type « confrontation avec
désaccord non argumenté » (Gilly, Fraisse et Roux, 1988
in Carbones i Fleta, 2003). Dans ce type d'interaction, la réponse
formulée par un enfant n'est pas acceptée par l'autre mais
celui-ci ne fournit aucune autre réponse pour manifester son rejet.
L'imitation peut également intervenir dans le processus
de développement en permettant une interaction ou un conflit implicite
tel que nous l'avons défini dans la partie théorique. Les
histoires utilisées pour évaluer l'acquisition de la
théorie de l'esprit possèdent la même trame narrative mais
avec des variations (cadre, personnages, problème...) qui excluent ou
limitent la possibilité d'imitation simple des réponses
formulées par les enfants ou l'expérimentateur au cours de
l'interaction. L'enfant qui observe doit nécessairement adapter sa
réponse à des situations différentes ce qui rejoint
l'idée de paraphrase formulée par Bruner qui repose sur des
réélaborations cognitives.
Les outils langagiers détaillés dans la partie
théorique peuvent aussi intervenir puisqu'ils sont utilisés pour
justifier les réponses. Cet aspect sera développé dans le
paragraphe 4, page 64.
Il est également possible que la simple
répétition des activités soit suffisante pour permettre
des progrès. Dans ce cas la présence de l'autre enfant peut
être considérée comme facultative, le facteur
réellement important est la présentation
répétée d'activité de même nature ce qui
correspond à un effet d'entraînement.
Nous avons observé qu'un enfant sur les quatre du
groupe 3a (qui ne réussit pas les épreuves de théorie de
l'esprit) réussissait mieux les épreuves de fausse croyance
dès le début des interactions qu'au cours des épreuves de
pré-test. En se basant sur l'approche de Leslie qui justifie les faibles
résultats des enfants aux épreuves de fausse croyance par une
limite d'autres fonctions cognitives comme la mémoire, nous ne pouvons
pas exclure le fait qu'au cours des trois semaines d'évaluation les
enfants ont poursuivi leur développement cognitif et que ces
progrès entre les épreuves de pré-tests et de post-test
font également intervenir des acquisitions liées à
d'autres domaines cognitifs.
Il nous est impossible de déterminer quel facteur est
majoritairement à l'origine des progrès mais nous pouvons
imaginer une intervention de chacun d'entre eux.
Lorsque dans l'hypothèse 3 nous analysons l'effet du
facteur « niveau des enfants en interaction » avec les
enfants du groupe 3 (qui n'ont pas acquis la théorie de l'esprit) nous
avons observé que les interactions avec des enfants de niveaux plus
élevés permettent une augmentation plus importante du score mais
cette différence n'est pas significative. Ces résultats doivent
être modulés par le faible effectif de chaque groupe (quatre
enfants). Il serait donc nécessaire de compléter cette
étude par l'étude d'un groupe plus important. Ces
résultats rejettent notre hypothèse numéro trois.
L'interaction avec des enfants de niveau supérieur ne semble pas plus
efficace qu'une interaction avec des enfants de même niveau. De telles
données tendent donc à réduire l'importance de la zone de
développement prochain. Le fait de créer des groupes
hétérogènes quant au niveau d'acquisition de la
théorie de l'esprit ne semble donc pas plus bénéfique pour
les enfants de niveau le plus bas.
Les enfants du groupe 2 correspondent au stade le plus
intéressant dans le cadre de notre étude sur le rôle des
outils linguistiques puisque les enfants qui composent ce groupe sont capables
de répondre presque parfaitement à l'ensemble des questions de
prédiction de comportement mais sont incapables de justifier
correctement leurs réponses. Les interactions avec les enfants qui
justifient leur réponse permettent effectivement une amélioration
des scores aux questions de justification. Ce résultat valide notre
hypothèse expérimentale 4 concernant l'effet positif des
interactions sur la justification des réponses. Dans ce cas encore des
facteurs autres que l'interaction pure peuvent intervenir mais le contenu des
interactions est sur certains points plus riche que pour les dyades impliquant
un enfant du groupe 3 ce qui peut renforcer le rôle de l'interaction.
3. Une acquisition progressive de la
théorie de l'esprit
La répartition des enfants en trois groupes distincts
permet de souligner l'élaboration et la maîtrise progressive de la
théorie de l'esprit autour de l'âge de cinq ans. Tous les enfants
se trouvent dans la période d'acquisition mais à trois stades
différents. Les enfants du groupe 3 (qui échouent aux
épreuves de théorie de l'esprit) se situent dans une phase dans
laquelle ils sont très probablement capables de prendre en compte le
point de vue d'autrui dans certaines situations mais échouent
globalement aux épreuves que nous leur proposons. Comme nous l'avons vu
précédemment, une interaction sur des épreuves de ce type
permet d'améliorer le score.
Cependant, même si l'augmentation du score aux questions
de justification est présente seulement trois enfants sur les six qui
composent le groupe 2 (réussite des épreuves de théorie de
l'esprit du pré test mais échec aux questions de justification)
réussissent les épreuves de justification après les
interactions. De même sur les huit enfants qui échouent aux
épreuves de théorie de l'esprit durant la phase de pré
test, un seul (du groupe 3b) obtient un score correspondant à ceux du
groupe des enfants qui réussissent les deux épreuves. Ces mises
en situation expérimentales permettent donc une amélioration des
scores aux épreuves de fausse croyance par exemple mais ne semblent pas
suffisantes (quantitativement et qualitativement) pour permettre un passage
total vers l'expression de la théorie de l'esprit.
Ces résultats ne sont pas surprenants si nous les
reprenons dans une approche socioconstructiviste qui considère que
l'acquisition de la théorie de l'esprit repose sur une
réélaboration conceptuelle qui nécessite la confrontation
à une grande diversité de situation. Fréquemment, l'enfant
est placé dans des situations pour lesquelles les connaissances
diffèrent selon les personnes impliquées. Dans ce cas l'enfant
peut être surpris par les actions ou remarques de ceux qui ont des
connaissances qui diffèrent des siennes. Dans ce cadre, les histoires
sont menées à terme. Par contre, dans notre recherche, les
enfants doivent prédire le comportement des poupées mais
n'observent pas leur action réelle à la fin de l'histoire puisque
nous nous arrêtons à la question de prédiction du
comportement. Cette limite peut expliquer l'effet limité de
l'entraînement en interaction.
Les recherches de Chanoni sur la comparaison de l'expression
de la théorie de l'esprit entre une situation expérimentale et
une situation écologique ont montré que les situations
écologiques présentent une grande diversité d'indices qui
facilitent la compréhension de la situation par les enfants. Les
difficultés rencontrées par les enfants pour répondre
correctement aux histoires de fausse croyance peuvent s'expliquer en partie par
l'histoire qui restreint l'accès des enfants aux autres indices mentaux
qu'ils utilisent naturellement. Cette donnée peut également
expliquer les résultats des études écologiques qui
montrent une capacité des enfants à attribuer des états
mentaux en situation naturelle alors qu'ils échouent aux épreuves
de fausse croyance (Bartsh et Wellman , 1994 in Chanoni, 2004).
L'acquisition d'une théorie de l'esprit est souvent
présentée comme une rupture qui survient à l'âge de
quatre ou cinq ans. Chanoni a proposé des résolutions de
tâche de fausse croyance à des enfants réunis en fonction
de leur âge selon des critères stricts. Les enfants d'un
même groupe avaient au plus deux mois d'écart afin de limiter la
constitution de groupes pour lesquels les enfants de deux groupes successifs
peuvent avoir plus d'un an d'écart. Les résultats ont
montré des performances croissantes aux épreuves de fausse
croyance lorsque l'âge augmente (Chanoni, 2004). La répartition
des enfants de notre étude dans trois groupes de niveaux
différents s'accorde avec cette nouvelle approche des étapes
développementales menant à la théorie de l'esprit.
Ces résultats rappellent que les modifications
conceptuelles qui sous-tendent la réussite aux épreuves de
théorie de l'esprit se mettent en place progressivement pendant une
période de plusieurs mois voire de plusieurs années.
L'entraînement simple sur une tâche peut aider à
améliorer le score global mais ne permet pas une
réélaboration conceptuelle totale. Nous considérons que
l'acquisition se poursuit pendant plusieurs années pour s'achever vers
l'âge de six ou sept ans. En effet entre cinq et sept ans les enfants
deviennent capables de comprendre les fausses croyances ou les intentions de
second ordre (Gauthier, 2004).
Une donnée observée une seule fois nous semble
intéressante. Un enfant classé dans le groupe 1
(considéré comme regroupant les enfants ayant acquis la
théorie de l'esprit) a modifié sa réponse au cours d'une
interaction avec un enfant du groupe 3. Dans un premier temps, l'enfant a
formulé une réponse exacte sans avoir justifié sa
réponse mais après avoir entendu la réponse erronée
du second enfant, le premier a modifié sa réponse en
répétant la réponse erronée. Cet exemple peut
illustre également l'acquisition progressive de la théorie de
l'esprit qui présente une phase de transition au cours de laquelle les
enfants doutent de leur réponse et restent très influencés
par les réponses qu'ils formulaient peu de temps auparavant. Le statut
social dominant ou dominé de l'enfant peut également expliquer
cette modification de la réponse. Cet évènement est
cependant rare puisqu'il ne s'est produit qu'une seule fois sur un ensemble de
48 histoires racontées en interaction.
Même si nous n'avons pas évalué le score
des enfants du groupe 1 après les interactions, les observations des
réponses des dyades indiquent que les enfants de niveau supérieur
sont peu influencés par les réponses des enfants de niveau
inférieur et tendent généralement à expliquer
spontanément leur choix notamment au cours de la seconde séance
d'interaction pendant laquelle les réponses sont plus
assurées.
4. Aspect qualitatif des échanges au cours
des interactions.
Le manque d'échange direct entre les enfants des dyades
a fait que l'expérimentateur relançait fréquemment les
interactions en posant des questions. La plupart des phrases produites par les
enfants correspondent donc à des réponses directes aux questions
posées par l'expérimentateur.
Le calcul des coefficients de corrélation entre les
progrès aux questions de justification et l'occurrence des
différents outils langagiers présentés dans le cadre
théorique n'ont pas mis en évidence de lien entre l'occurrence
des outils et les progrès. Notre hypothèse 5 a donc
été rejetée. L'absence de corrélation ne signifie
bien évidemment pas qu'il n'y a aucun lien entre l'utilisation des
verbes mentaux ou des propositions enchâssées et
l'amélioration des scores aux épreuves de justification mais que
l'occurrence de ces termes ne permet pas de prédire
l'amélioration du score.
Il faut en effet rappeler que des études basées
sur un entraînement portant sur l'utilisation de différents outils
linguistiques ont mis en évidence des progrès significatifs aux
épreuves de fausse croyance.
Cette absence de corrélation possède
différentes causes. La première est que notre protocole
expérimental est basé sur une mise en interaction des enfants.
Notre recueil du contenu des interactions ne cherche pas à
différencier les réponses des deux enfants placés en
interaction. Or, les dyades contiennent un enfant du groupe 1 qui fournit des
justifications riches basées sur l'utilisation des outils langagiers.
L'occurrence de ces termes au cours des différentes interactions
marquent donc uniquement leur présence et en aucun cas leur
compréhension ou leur utilisation par les enfants de niveau
inférieur.
Il n'est pas suffisant de donner la bonne justification aux
enfants pour qu'ils soient capables de l'utiliser par la suite dans d'autres
contextes. Ce qui renforce le lien entre ces épreuves et la
théorie de l'esprit puisque l'entraînement n'est pas suffisant
pour permettre l'accès complet à la théorie de l'esprit.
Des modifications conceptuelles sont indispensables selon nous.
La seconde cause de l'absence de corrélation est que
les enfants du groupe deux se trouvent dans un stade intermédiaire
d'accès à la théorie de l'esprit. Nous avons mis en
évidence des scores significativement supérieurs aux questions de
justification dès la phase de prétest. Il nous semble donc normal
que leurs interactions présentent davantage de marqueurs sans
entraîner d'augmentation plus importante du score.
Au-delà de cette absence de corrélation le
contenu des interactions apporte plusieurs informations intéressantes
pour notre recherche. Tout d'abord, nous avons mis en évidence
l'utilisation de ces différents marqueurs pour l'ensemble des groupes
même lorsque les enfants du groupe 3 (qui échouent aux deux types
d'épreuves) sont placés en interaction entre eux. Ces
résultats valident l'utilisation précoce de ces marqueurs sans
qu'il y ait expression de la théorie de l'esprit ou du moins
réussite des épreuves de fausse croyance. Une analyse fine des
phrases produites par les enfants au cours des interactions indique que chez
les enfants qui ne réussissent pas les épreuves de théorie
de l'esprit ces termes apparaissent dans des justifications qui sont le plus
souvent justes même si elles sont rares. Les quatre enfants du groupe 3
ne peuvent donc pas être considérés comme n'ayant pas
accès à la théorie de l'esprit mais plutôt comme
étant en cours d'acquisition mais à un niveau pour lequel ils
échouent ou réussissent rarement aux épreuves de fausse
croyance.
L'effet positif de ces interactions doit donc être
rapporté à l'âge des enfants. Il serait intéressant
de mesurer si des interactions adaptées à des enfants de 3 ans
(qui se trouvent plus éloignés de l'âge moyen d'acquisition
de la théorie de l'esprit) présente des effets similaires.
L'approche statistique du contenu des interactions des dyades
composées uniquement d'enfants n'ayant pas accès à la
théorie de l'esprit est difficile compte tenu du faible effectif du
groupe. Il nous semble tout de même intéressant de noter la
pauvreté relative des interactions. Lorsque des enfants qui ne
maîtrisent pas la théorie de l'esprit sont placés en
interaction les marqueurs se trouvent sous représentés. L'absence
de connecteurs est particulièrement flagrante ainsi qu'un nombre
réduit de recours aux propositions enchâssées et aux
habiletés pragmatiques. Les enfants formulent des réponses aux
questions posées par l'expérimentateur mais se trouvent soit
incapables de justifier leur choix ou le justifient en utilisant peu les outils
linguistiques (verbes mentaux, connecteurs, marques modales
épistémiques...)
Quel que soit le niveau d'acquisition de la théorie de
l'esprit les enfants de notre étude âgés de plus de quatre
ans et six mois utilisent les verbes mentaux suivants dans leurs
réponses aux questions de justification : voir, entendre, dire,
vouloir, savoir et croire. Par contre, l'occurrence des verbes mentaux et des
propositions enchâssées augmente lorsque les enfants progressent
sur la voie de l'acquisition de la théorie de l'esprit comme dans les
interactions entre les enfants du groupe 2 et du groupe 1.
Les verbes mentaux ne sont que rarement utilisés afin
de décrire des comportements mais plutôt sous une forme que
Bouchand qualifie d' « intentionnelle » qui permet de
développer des espaces mentaux détachés de la
réalité . Ces espaces mentaux fournissent ainsi la
capacité de prendre en compte le point de vue d'autrui.
La présence de ces termes peut donc, malgré
l'absence de corrélation, en partie expliquer l'augmentation des scores
aux épreuves de théorie de l'esprit après l'interaction.
En effet, l'utilisation de ces marqueurs dans le cadre des épreuves de
fausse croyance peut permettre un renforcement du lien entre l'utilisation
pragmatique de ces termes et les métareprésentations liées
à l'acquisition de la théorie de l'esprit.
Le contenu des interactions permet de soutenir une approche
socioconstructiviste de l'acquisition de la théorie de l'esprit
basée sur la notion de zone de développement prochain
développée par Vygotsky. Lorsqu'ils sont placés avec des
enfants capables de justifier leurs réponses, les enfants de niveau
inférieur améliorent parfois leur réponse et utilisent
certains outils linguistiques. Ces outils pouvant être utilisés
par la suite dans d'autres contextes comme nous avons pu l'observer dans la
phase de post-test.
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