CADRE THEORIQUE
1. La théorie de l'esprit
L'étude de la théorie de l'esprit a
émergé au début des années 80 à partir des
travaux de Premack et Woodruff (1978) en primatologie. Ce terme a ensuite
été repris dans le cadre de la psychologie du
développement par Wimmer et Perner (1983). Ce nouveau champ
d'étude a suscité de très nombreuses recherches au cours
des vingt-cinq dernières années qui ont mené au
développement de diverses théories sur les modes d'acquisition et
les changements cognitifs associés à l'accès à la
théorie de l'esprit.
1.1 Définition
L'expression « théorie de
l'esprit » désigne la capacité des enfants à
attribuer des états mentaux à eux-mêmes et à autrui,
ce qui correspond à l'accès à une psychologie
« profane ». Plus généralement, l'enfant
devient capable de produire et d'utiliser des espaces mentaux
détachés de la réalité. L'enfant a ainsi la
capacité d'interpréter et de prédire les comportements
d'autrui en identifiant des états mentaux comme l'intention, la
croyance, l'ignorance ou le désir.
L'acquisition d'une théorie de l'esprit est davantage
le fruit d'une évolution progressive des fonctions cognitives au cours
des premières années de la vie qu'un simple passage à un
niveau de développement supérieur.
Cette étape est décisive pour l'enfant puisque
l'accès à la théorie de l'esprit présente une
grande importance pour le développement des liens sociaux comme la
gestion des conflits, les jeux de fictions à plusieurs, la
compréhension des plaisanteries ou des métaphores et enfin le
jugement des questions morales.
Tous ces progrès étant sous-tendus en partie par
la compréhension et la prise en compte des désirs et des buts
d'autrui.
L'absence de théorie de l'esprit
appelée « cécité mentale » par
Baron-Cohen (1994) serait une des causes de l'autisme à l'origine des
difficultés des autistes à donner un sens au comportement de
l'autre. (Baron-Cohen, 1998 ; Reboul, 2000)
1.2 Concepts fondamentaux de la théorie de
l'esprit
La connaissance du monde est basée sur un
système de représentations de la réalité à
partir des informations perçues par les organes récepteurs et
interprétées par le cerveau. Le terme représentation
décrit en fait deux entités : le processus qui consiste
à former des états mentaux et le produit de cette
activité. Perner (1991) sépare les représentations en
représentations primaires qui correspondent aux croyances que chacun
élabore sur le monde et les représentations secondaires d'un
niveau conceptuel supérieur, qui décrivent par exemple le
découplement des représentations, l'objet banane peut par exemple
être associé à la représentation du
téléphone.
La théorie de l'esprit correspond au passage à
un niveau supérieur de représentation, les
métareprésentations. En ayant accès à la
théorie de l'esprit, les enfants produisent et manipulent mentalement
des représentations de représentations.
Pour Reboul (2000), une métareprésentation est
une description d'une situation centrée sur l'agent et qui explicite
quatre sortes d'information : 1. Qui est l'agent ? 2. Quelle est son
attitude propositionnelle ? 3. Quelle est la proposition en
jeu ? 4. Que décrit-elle ?
Lorsque les enfants accèdent aux
métareprésentations, leurs représentations et celles
d'autrui constituent un substrat pour le raisonnement et la
compréhension des actions. Les enfants comprennent ainsi que deux
personnes peuvent avoir des représentations différentes d'un
même objet ou d'une situation selon les informations dont ils disposent.
L'enfant comprend que les erreurs de jugement peuvent être dues à
un accès incomplet aux informations (le personnage ne sait pas que
l'objet a été déplacé en son absence alors que
l'enfant le sait). Par conséquent l'enfant réalise que ce qu'il
pense et ce que les autres pensent ne correspond pas nécessairement
à la réalité mais est directement dépendant de la
connaissance (Astington, 1999).
L'acquisition de la théorie de l'esprit permet ainsi
d'accéder à une représentation de l'ensemble des
états épistémiques (croire, savoir, faire semblant,
penser, mentir, rêver).
Figure 1 : Genèse de l'action
intentionnelle d'après Bradmetz et Amiotte-Suchet ( Bradmetz, 1999)
Pour affirmer l'existence d'une théorie de l'esprit, il
faut comme préalable que la pensée soit considérée
comme issue d'une activité rationnelle basée sur la prise en
compte de données internes et externes qui mène à
l'intentionnalité des actions (Bradmetz, 1999). Une action ne peut donc
pas se résumer à la simplification behavioriste qui
considère que les actions sont provoquées par des modifications
de l'environnement ou par des pulsions. Bradmetz propose le schéma
suivant de l'action intentionnelle :
: Est à l'origine de
EMOTIONS
INTENTION
CROYANCES
CONNAISSANCES
DESIRS
ACTION
Selon ce modèle, les désirs et les croyances
sont à l'origine d'une intention qui mènera à la
réalisation d'une action. Une croyance est issue des connaissances
construites à partir de l'observation de la situation et des
connaissances antérieures alors que les désirs sont
élaborés à partir des émotions. Les deux sources,
émotions et connaissances, sont également
interdépendantes : Les croyances interagissent avec les
émotions comme les connaissances interagissent avec les
désirs.
Les jeunes enfants qui n'ont pas encore accès à
une théorie de l'esprit justifient leur action par leur croyance mais
la relation entre croyance et réalité est directe et
« transparente » puisque, pour eux, les croyances ne
peuvent pas différer de la réalité. Ainsi, lorsque leur
action aboutit à un résultat différent de leur attente,
les enfants sont incapables de retrouver leur croyance initiale et la
remplacent par une nouvelle qui est souvent en accord avec ce qu'ils ont
observé. Cette hypothèse explique les réponses
formulées par les enfants dans les tâches de contenu inattendu.
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