problématique de la gouvernance en République de Guinée et l'appui de la Banque mondiale( Télécharger le fichier original )par Abdourahmane DIALLO Université Sonfonia de Conakry - Maîtrise 2009 |
CHAPITRE INOTION DE GOUVERNANCE1 - Historique du concept, contextes et définitionsGouvernances urbaine, mondiale ou globale, bonne gouvernance, corporate governance... On le voit, le terme fait l'objet d'une multitude d'usages. Des différences notables existent de part et d'autre de l'Atlantique et outre-Manche, comme d'une discipline à l'autre, au point que l'on peut parler de gouvernances au pluriel, comme le suggère un numéro récent des Annales de la recherche urbaine. Cette polysémie ne serait pas problématique si ces usages n'étaient par trop contradictoires. Tandis qu'en économie institutionnelle, la gouvernance traduit un effort d'intégration et de simplification (de l'échange), dans le contexte urbain, elle sert souvent à désigner une complexité croissante de l'organisation du pouvoir local du fait des coûts de transaction et de coordination entraînés par la sollicitation d'une multiplicité d'acteurs, privés ou associatifs. Pour les uns, la gouvernance participe d'une démocratisation du fonctionnement étatique, et ouvre donc le champ aux initiatives et à de nouvelles mobilisations civiques. Pour d'autres, elle signifie, d'abord, une revalorisation du rôle des acteurs économiques et la remise en cause de l'interventionnisme étatique. Reste que par-delà ces différences de signification, la gouvernance permet de décrire un changement de style dans le mode de gouvernement ou de gestion, à quelque niveau où on se situe. En cela, elle mérite d'être considérée avec attention. Parallèlement aux réformes de l'administration publique, la notion de gouvernance a aussi servi à rendre compte des transformations du pouvoir local et de ses rapports avec le pouvoir central. A l'origine de cet usage, il y a les réformes entreprises en Angleterre à partir de l'arrivée des conservateurs en 1979. Dans ce contexte, la gouvernance traduit une réforme des pouvoirs locaux à l'initiative du pouvoir central. Elle sert alors à promouvoir l'idée de partager, de mettre en commun les compétences, les ressources de l'Etat et des acteurs publics et privés, institutionnels ou associatifs. Comme la bonne gouvernance, l'urban governance implique l'effacement des frontières entre les secteurs public et privé. Dans les années 80, le lancement d'un vaste programme de recherche devait assurer sa diffusion dans les sciences sociales anglo-saxonnes. En France, il faut attendre le programme interdisciplinaire lancé dans les années 80 par le CNRS2(*) (programme Pir-Villes3(*)), dans le contexte de la politique de la ville, pour assister non sans quelques altérations de sens à l'usage de la notion chez les spécialistes de politiques urbaines. Elle sert alors à rendre compte du « passage d'un système d'administration, centré sur l'Etat et des institutions locales, à un système de gouvernement municipal centré sur les élus locaux (en particuliers les élus des grandes villes) faisant un plus large recours au marché, à la délégation, etc. ». Concrètement, la mise en place des contrats de développement social de quartier, puis des contrats de ville, a pour effet d'élargir la négociation entre l'Etat et les collectivités locales aux associations et aux entreprises. Mais plusieurs autres formes de gouvernance peuvent être imaginées : un conseil urbain en charge par exemple du recyclage des déchets, une instance intercommunale qui assure un système de transport avec les associations d'usagers, etc. La notion a également été transplantée dans les pays en développement, à la faveur des programmes internationaux. Au Brésil sont par exemple menées des expériences de « budget participatif », consistant à faire participer la population locale aux arbitrages dans les choix d'investissement des villes. Ce n'est qu'à la fin des années 90, à la faveur de la fin de la guerre froide et du monde bipolaire, que la notion fait irruption dans les théories des relations internationales. Le premier, l'Américain James Rosenau en fournit en 1992 une définition dans un ouvrage devenu depuis un classique : Governance without Government (gouvernance sans gouvernement). Il définit la gouvernance comme un ensemble de règles, de procédures, de conventions, de principes élaborés de manière implicite par des acteurs relevant de logiques différentes, en l'absence d'autorité officielle et sans recours systématique à la force militaire. Une définition que J. Rosenau complètera par la suite, dans ses contributions à une nouvelle revue trimestrielle, créée en 1995 et consacrée à ce thème (Global Governance). Du point de vue des sciences sociales, la gouvernance offre, comme l'explique le sociologue anglais Bob Jessop, le mérite de dépasser plusieurs dichotomies qui n'apparaissent plus opératoires pour comprendre le fonctionnement réel des sociétés, de l'économie, de l'action publique, de l'ordre international d'aujourd'hui. A savoir : marché et hiérarchie, en économie ; marché et plan, dans les analyses de l'action publique ; privé et public, en politique ; anarchie et souveraineté, en relations internationales. Elle revient aussi à promouvoir une autre forme de rationalité distincte de la rationalité procédurale (définie en fonction des moyens), substantielle (orientée vers des buts) ou limitée. La gouvernance implique une rationalité « réflexive » : les acteurs agissent en réagissant en permanence aux effets de leur action collective. En tirant les leçons des précédents et des échecs, ils avancent dans un dialogue permanent, en vue d'un consensus. S'agissant des relations internationales, Pierre de Senarclens4(*) considère que les débats sur la gouvernance ne font que réactiver l'analyse en terme de système politique, conçue à partir des années 60. S'agissant enfin de la corporate governance, des spécialistes font observer qu'elle est déjà prévue dans certains de ses principes par le droit des sociétés français, lequel sanctionne les abus de biens sociaux et prévoit une majorité d'administrateurs non exécutifs au sein du conseil d'administration. En ce qui concerne l'Afrique subsaharienne, un constat est visible : deux décennies seulement après leur triomphale accession à la souveraineté nationale généralement survenue aux environs de l'année 1960, la plupart des pays d'Afrique subsaharienne, surtout ceux francophones, se sont trouvés confrontés à des difficultés économiques d'une acuité telle que, à partir de 1980, la BM et le FMI ont commencé à leur appliquer les fameux programmes d'ajustement structurel (PAS). Le but visé à travers ces PAS, outre celui premier mais non avoué de mettre ces pays en mesure de rembourser la dette extérieure, était de les sortir de la crise pour les engager sur la voie de la croissance et du développement économiques. Mais, à la fin de ces mêmes années 1980, les résultats des PAS se sont révélés tellement catastrophiques que l'on a parlé de décennie perdue pour le développement économique de l'Afrique. En effet, la croissance et le développement économiques escomptés n'ont pas suivi, mais les PAS se sont traduits par des coûts sociaux très exorbitants. C'est dans ce contexte que, en 1989, la BM, dans une étude intitulée « L'Afrique subsaharienne : de la crise au développement durable, une perspective à long terme », lança, pour la première fois, la notion de bonne gouvernance (BG), notion qu'elle reprendra du reste avec plus de force dans un document de 1992 intitulé « Gouvernance et développement ». Dans l'entendement des experts de la BM qui avaient conçu ces deux documents, la BG apparaît comme la condition du développement, et cela particulièrement dans les pays africains sous ajustement structurel. Depuis, la notion de gouvernance, en relation avec le développement, est devenue récurrente dans les discours et débats politico-économiques en cours en Afrique. Mais toute réflexion sérieuse sur la BG dans son rapport avec le développement qui constitue l'aspiration de tous les peuples suppose un préalable à savoir : La définition du concept de bonne
gouvernance Ainsi, l'expression BG comprend deux termes : l'adjectif qualificatif « bonne » et le substantif « gouvernance ». Ce substantif vient de l'anglais « governance » et désigne le mode de gestion des affaires publiques. En d'autres termes, la gouvernance désigne l'ensemble des mesures, des règles, des organes de décisions, d'informations et de surveillance qui permettent d'assurer le bon fonctionnement d'une organisation qu'elle soit publique ou privée, régionale, nationale ou internationale. Pour ce qui est du contenu concret de cette bonne gestion et des affaires publiques en question, c'est-à-dire donc de la notion de BG elle-même, il fait l'objet de deux conceptions. La première conception est le fait de l'institution même qui a conçu, enfanté, et promu la notion de BG : la BM, cette autre institution de Bretton Woods, peut-être par souci de fidélité à ses statuts dont l'article 45(*) (section 10) l'enjoint de ne pas s'immiscer dans les affaires politiques de ses membres et de s'en tenir aux seules considérations économiques, revendique une conception purement économiciste de la BG6(*). Dans son entendement, celle-ci se ramène tout simplement à une gestion économiquement saine, transparente, et efficace des deniers publics. Cette conception dite technico-gestionnaire, parce que mettant en avant le seul critère d'efficacité des modes de gestion économique sans considération aucune de l'environnement socio-politique dans lequel s'inscrivent ces modes de gestion, se réduit ainsi à une approche exclusivement financière et comptable de la BG (gérés d'une façon économiquement saine, transparente, et efficace, l'argent public et celui mis à la disposition des Etats par les bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux). Cette conception économique de la Bonne Gouvernance devrait déclencher une dynamique de croissance et de développement. L'ajustement que la BM prône dans ce cadre est, par conséquent, un ajustement purement économique ; Mais les questions économiques, en tant qu'elles sont culturellement, socialement et, surtout, politiquement liées et ne peuvent pas être traitées ex nihilo, c'est-à-dire sans considération du contexte et de l'environnement dans lesquels elles baignent et avec lesquels elles entretiennent des rapports dialectiques positifs ou négatifs. C'est pour l'avoir compris que, au début des années 1990, les bailleurs de fonds bilatéraux et les dirigeants des mouvements subsahariens de revendications démocratiques ont repris à leur compte et popularisé la notion de BG dans le cadre d'une conception nouvelle, qui transcende celle de la BM. Selon cette deuxième conception, la BG, n'est plus considérée comme une question de gestion économique rigoureuse mais plutôt postule un régime politique fondé sur la démocratie libérale et l'Etat de droit. En d'autres termes, elle suppose le pluralisme idéologique, le multipartisme, la séparation des pouvoirs, le suffrage universel, l'égalité juridique des citoyens, le respect des droits de l'homme, une justice indépendante, la possibilité juridique pour les citoyens d'attaquer l'Etat et ses démembrements en justice, la transparence dans la gestion des affaires publiques, l'association des populations et des medias à cette gestion (notamment par le moyen de leur consultation et de la déconcentration administrative), la responsabilité (dans le sens anglais de « accountability », c'est-à-dire de l'obligation de rendre des comptes), la lutte contre la corruption. Cette deuxième conception consacre ainsi un élargissement de la notion de BG, et cet élargissement va dans le sens de la politisation du concept. La BG recherchée ici, c'est la BG démocratique, laquelle se situe au plan politique. Avec cette conception, l'ajustement politique vient s'ajouter à l'ajustement économique et social pour le compléter et en assurer la réussite. Tel est aujourd'hui le contenu généralement conféré à la notion de BG et qui sera retenu dans le cadre de cette étude. Paradoxalement, la BM, même si elle s'en défend au nom des interdits posés par l'article 4 (section 10) précité de ses statuts, semble quelque peu adhérer, dans la pratique, à cette conception, et cela à travers certaines conditionnalités insérées dans les PAS, exprimées dans certains de ses documents, et tournant autour de l'Etat de droit et de la participation populaire. C'est ce qui explique que beaucoup d'études
menées sur la BG parlent de conditionnalités démocratiques
posées par les Institutions internationales; de même, beaucoup de
chercheurs n'ont pas hésité à parler de
conditionnalités démocratiques avancées par la BM comme
facteurs externes explicatifs des mouvements africains de revendications
démocratiques du début des années 1990. Pour les
Institutions de Breton woods, une bonne gouvernance et l'élimination de
la corruption sont essentielles à la mission qu'elles entreprennent en
vue de faire reculer la pauvreté en Afrique et d'arriver à
atteindre les objectifs fixés dans les projets qu'elles
financent. Ces clarifications sémantiques étant faites, il importe de souligner que l'étude de la BG dans son rapport avec le développement est triplement intéressante : économiquement d'abord, en ce qu'elle permet d'examiner les aspects économiques de la BG, du développement, et de leurs rapports ; politiquement ensuite, en ce qu'elle pose le problème des conditions politiques d'une BG ; juridiquement enfin, en ce qu'elle permet de réfléchir sur l'environnement juridique et judiciaire nécessaire à la BG. Il s'agira, pour une telle étude, de démontrer que si le développement économique est un phénomène possible sans la BG, celle-ci demeure la condition sine qua non du développement global et durable. Cette démarche analytique se justifie par le fait qu'elle permet d'envisager, sous leurs divers aspects, les rapports qu'il y a entre la BG et le développement. * 2 Centre National de Recherche Scientifique, organisme public français de recherche scientifique, placé sous la tutelle administrative du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. * 3 Programme interdisciplinaire français de recherche Ville et Environnement, Créé en novembre 2006 * 4 Pierre de Senarclens, professeur à l' université de Lausanne en Relations Internationales, a écrit d'importants ouvrages d'Histoire et de Relations Internationales. * 5 L'art. IV section 10 stipule : «La Banque et ses responsables n'interféreront pas dans les affaires politiques d'un quelconque membre et il leur est interdit de se laisser influencer dans leurs décisions par le caractère politique du membre ou des membres concernés. Seules des considérations économiques peuvent influer sur leurs décisions et ces considérations seront soupesées sans parti pris, en vue d'atteindre les objectifs (fixés par la Banque) stipulés dans l'art. I * 6 Agence Nationale de Lutte contre la Corruption, « Gouvernance et Institutions, Comment Reconstruire un Etat de Droit en GUINEE et Mettre Fin à la Corruption? », Hôtel MARIADOR (Conakry), 23 et 24 Mai 2007, 17P |
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