Le chehabisme ou les limites d'une expérience de modernisation politique au Liban( Télécharger le fichier original )par Harb MARWAN Université Saint-Joseph de Beyrouth - DEA en sciences politiques 2007 |
1,2 - La création du « Grand-Liban » ou la viabilité aux dépens de l'équilibre.En proclamant le Grand-Liban dans ses limites historiques, un Etat unifié sur le plan politique, économique et administratif, le Mandat Français reconstitua ainsi un ensemble géographique composé de la Montagne et d'un ensemble de cazas entourant cette dernière. En 1840, ces cazas furent détachés de la Montagne par un acte d'autorité de Chékib Effendi, représentant de la Sublime Porte. En 1920, ils furent annexés à la Montagne, selon les voeux d'une partie de la population, par un acte d'autorité du général Gouraud, au nom de la France. En dépit de la richesse naturelle de leur territoire, les régions annexées se cantonnèrent dans un stade agricole rudimentaire et restèrent, pour de multiples raisons, fermées à toute pénétration étrangère. Ce qui déclencha un processus de dénivellement économique de plus en plus accentué au profit de la Montagne. L'élargissement de la frontière du Mont-Liban vers la côte et vers les plaines fertiles a assuré la viabilité du Mont-Liban en lui ouvrant des débouchées maritimes28(*) sur la Méditerranée et en lui donnant accès au grenier29(*) des plaines fertiles de la Bekaa. Henri Laurens affirme que « cette extension géographique à pour but d'assurer une cohérence économique permettant d'éviter le retour des famines des années de guerre30(*). » La géographie a triomphé de l'homogénéité sociale. La reconstitution du Grand-Liban porta sa superficie trois fois celle de la Montagne. Cependant, les conditions nécessaires à la viabilité du pays ont secoué l'équilibre confessionnel du Mont-Liban en intégrant des régions, à majorité sunnite (Beyrouth, Tripoli, Saida, Akkar) et chiite (Bekaa et le Djebel Amel) ; la grande faiblesse du jeune Etat fut de renforcer des groupements minoritaires et de rendre minoritaires des groupes majoritaires dans le groupement initial des communautés. Le Liban (Mont-Liban) cessera d'être un Etat surtout chrétien pour devenir un Etat multicommunautaire (Grand-Liban) sans majorité définie. Le tableau suivant montre clairement la répartition de groupements antagonistes appelés à une coexistence harmonieuse dans une seule société31(*) :
Les différents groupes communautaires occupaient donc ces deux milieux (ville-montagne) sous forme d'agglomérations localisées dans l'espace. Cette localisation communautaire sera l'une des causes de la naissance du leadership communautaire et de son extension politique car chaque communauté était majoritaire dans sa région et pouvait par le fait donner à toute revendication économique, sociale ou politique un appui et une connotation communautaire. De même, les populations venues de ces régions «n'avaient pas participé antérieurement à la riche expérience sociale et historique du Mont-Liban et de Beyrouth, et elles ne furent donc pas facilement intégrées au système social libanais. »32(*) Georges Corm dans « Le Liban contemporain » précise que « l'évolution socio-économique des communautés ne s'est pas faite de façon synchronique,... la ville et la montagne n'ont pas eu le temps de s'apprivoiser mutuellement.»33(*) L'histoire politique et sociale du Liban sera rythmée dès cette époque par la rencontre entre les populations et les idéologies des «villes » avec celles de la « Montagne »34(*) et par la localisation d'histoires différentes dans un même espace géographique. Dès sa création l'Etat du Grand-Liban sera confronté au problème de la cohabitation. Sous le régime du Mandat, sous le régime de l'Indépendance, la confusion fut presque totale entre territoires annexés et régions exploitées. La différence pour les Musulmans entre le Mont-Liban et le Grand-Liban est le fait que ceux qui sont originaires du premier occupent les premiers postes de l'Etat, ceux du second n'ont d'autre tâche que de payer l'impôt35(*) . Cependant, au-delà de l'exploitation économique qu'ils invoquèrent, des antagonismes religieux motivaient leurs attitudes, en s'opposant à une entité dont le pouvoir ne tire pas ses racines de leurs lois et coutumes. Il faut écrit Michel Chiha laisser faire le temps qui résorbera les contradictions qui empêchent les Libanais de « vivre politiquement ensemble... de faire ensemble les lois36(*). »
* 28 -Les débouchées maritimes ont assuré au Liban un rang élevé sur la scène commerciale mondiale. * 29 - La famine de 1915 a révélé la précarité de la Montagne à nourrir sa population. * 30 - Henri LAURENS, l'Orient arabe, l'Arabisme et islamisme de 1798 à 1945 , Armand Colin, coll. U, 2nde édition, Paris, 2002, p. 225. (336 pages) * 31- Ces statistiques sont citées dans Massoud DAHER, Histoire sociale du Liban 1914-1926, (en arabe) Dar al-Farabi, Beyrouth, 1974), pp 55-56 * 32- Kamal SALIBI, Une maison aux nombreuses demeures, l'identité Libanaise dans le creuset de l'histoire, NAUFAL, Paris, 1989. p.190 * 33 - Georges CORM, Le Liban contemporain, histoire et société .... op.cit. p.59 * 34 -Cf. Albert HOURANI, Ideologies of the Mountain and the City, in Roger OWEN ( dir.), Essays on the Crisis in lebanon, Ithaca Press, Londres, 1976 (89 pages ) * 35 - Jamil Beyhum MOHAMMAD, Le Liban entre les partisans de l'Est et de l'Ouest. op.cit. pp. 33-34 * 36- Michel CHIHA, Politique intérieure, Publications de la fondation Chiha, Ed. du Trident, Beyrouth, 1964, p. 14-16, (316 pages). |
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