Le chehabisme ou les limites d'une expérience de modernisation politique au Liban( Télécharger le fichier original )par Harb MARWAN Université Saint-Joseph de Beyrouth - DEA en sciences politiques 2007 |
PREMIERE PARTIELE CHEHABISME : UNE EXPERIENCE DE MODERNISATIONChapitre 1 :Les tares historiques et la nature du régime politique libanais«Le passé est comme la distance. Notre vue y décroît et s'y perdrait de même l'histoire et la chronologie n'eussent placé des flambeaux aux points les plus obscurs. » Buffon
« Le problème actuel, vient toujours de la solution précédente. » Daniel Descheneaux Section É - Historique1,1- L'effondrement et l'héritage de l'Empire Ottoman.Entre la révolution des Jeunes Turcs de 1908 et l'organisation en 1920 des territoires arabes en Etats relevant des puissances mandataires, un vent d'espoir d'indépendance souffle sur la région. Mais la guerre mondiale désintègre l'Empire Ottoman et remplace l'oppresseur par un tuteur, seul habilité à décider de la maturité des populations pour accéder à l'indépendance. Les lendemains de la victoire laisseront chez beaucoup un arrière-goût de frustration. Si « tout empire périra23(*) » est une loi de l'Histoire selon l'historien Jean-Baptiste Duroselle ; ce qui est moins évident, c'est le degré de renaissance qui suit la chute ou l'éclatement des empires ; c'est-à-dire l'ordre nouveau qui émerge. Après la chute de Rome, ce ne fut pas tout de suite la Renaissance, mais bien plutôt le Moyen-âge, le Quattrocento ( Première Renaissance) vient bien plus tard. De la désagrégation des empires émergent le plus souvent deux formes de société politique : Les unes sont des sociétés nationales. Leur intégration était déjà acquise dans le système antérieur ou, du moins, en voie de réalisation. L'indépendance leur apporte généralement; avec la consécration juridique, l'armature institutionnelle d'un Etat unitaire. C'est ainsi que l'éclatement des Empires austro-hongrois et ottoman en 1919 a donné naissance à des Etats- Nations réels. A son tour, la décolonisation des Empires britannique et français a permis la formation en tant qu'Etats souverains de pays comme l'Australie, l'Inde, le Ghana, le Maroc, la Tunisie ou Madagascar D'autres sociétés, en revanche, sont de nature différente. Elles recèlent plusieurs communautés entre lesquelles aucune fusion véritable ne s'est encore opérée. Dans ces pays, comme le Liban, l'intégration reste à faire ou s'avère provisoirement impossible. Leur structure sociale pose, en tout cas, aux autorités qui en assument la responsabilité politique, un difficile problème de cohabitation. Au Liban, il n'y avait aucune structure, ou infrastructure politico-administrative moderne. Dès avant la guerre de 1914, des courants du Mont-Liban réclament un Liban rétabli dans ses frontières d'avant 1861. Mais ils sont dispersés et sans poids réel. Ils représentent des milieux maronites, plus ou moins francophiles. Après la chute de l'Empire Ottoman en 1918, le conseil représentatif est rétabli. Présidé par Habib Pacha Es Saad il commence à multiplier les motions réclamant l'indépendance d'un Liban agrandi. Le Liban n'existait pas encore au sens géopolitique. Seul le Mont-Liban et ses 7 cazas à majorité chrétienne bénéficient depuis 1861 d'une autonomie. Gouverné par un moutassarrif chrétien, il est entouré du wilayet de Beyrouth (la ville étant enclavée dans le Mont-Liban) avec les sandjaks de Lattaquié, Tripoli, Sa'ida, Tyr, Acre et du wilayet de Damas auquel sont rattachés les cazas de Baalbeck, Moallaka (Bekaa), Rachaya et Hasbaya. Au Liban, un système particulier s'était élaboré sous l'Empire ottoman qui est celui des millets24(*) (au singulier, milla signifie en arabe « communauté ») ou nations auxquelles l'Empire accordait une autonomie interne. La communauté maronite avait oeuvré depuis longtemps pour l'indépendance totale du Liban, et ne pouvait éprouver aucun enthousiasme à fusionner dans un Etat où elle serait fortement minoritaire et gravement menacée. Cette indépendance devrait être totale, définitive et inconditionnelle, vis-à-vis de l'Orient et de l'Occident. Pour les chrétiens du Liban et pour les minorités en général, leur situation au sein de l'Empire ottoman était préférable à celle qu'ils risquent de subir dans l'union. Henri Laurens voit que « contrairement à une légende noire, l'époque ottomane est la grande époque des chrétiens d'Orient.25(*) » De même, Georges Corm précise que « l'identité des populations et la mixité de divers groupes ethniques, linguistiques ou religieux sur un même sol caractérisaient de larges régions géographiques, rurales comme urbaines, de ces empires. Une fois consolidée la domination de ces grands empires, la stabilité assurée aux populations sous leur contrôle permettait l'épanouissement et la permanence de cette mixité26(*). » Le multi-communautarisme, le multiculturalisme, le multilinguisme dans l'Empire Ottoman sont l'expression d'une reconnaissance et d'une protection. «Il y avait en effet des avantages pour ces minorités jouissant d'une petite autonomie au sein d'un Empire protecteur des minorités, et qui craignaient de la perdre dans un Etat-Nation où l'Islam deviendrait religion d'Etat27(*). » Ainsi, les idées d'union et d'indépendance, d'homogénéité et de spécificité, de nation libanaise, de nation syrienne et de nation arabe se mêlaient en polarisant les énergies autour deux centres de gravité : le premier tirant sa force de l'histoire du pays, des données fondamentales de sa composition riche, variée et complexe ; le second tirant sa force des rapports avec l'histoire des autres pays. La société du Grand-Liban se développa ainsi à un double niveau : celui de l'Etat qui tenta officiellement d'unifier les attitudes en légiférant pour la Communauté nationale ; celui des groupes communautaires qui infléchirent réellement, la plupart des fois, l'Etat et la Nation à leur structure propre. L'évolution politique et sociale du Liban a toujours obéi à l'interférence de deux ensembles de facteurs qui sont d'une part, les rapports entre les diverses communautés qui vivent sur son sol et, d'autre part, l'influence des pressions qu'exerce la conjoncture régionale et internationale par et pour ces communautés ou contre elles. * 23 - Jean-Baptiste DUROSELLE, Tout empire périra, théorie des relations internationales, Publications de la Sorbonne, Paris, 1981. * 24 - Sur les millets Cf. B BRAUDE et B LEWIS, Christians and Jews in the Ottoman Empire. The Functioning of a Plural Society, 2 vol, New York, 1982. * 25 - Henri LAURENS, l'Orient arabe, l'Arabisme et islamisme de 1798 à1945, op.cit. p. 29 * 26 - Georges CORM, L'Europe et l'Orient.... op.cit. p. 50 * 27- Ghassan TUENI en collaboration avec Jean LACOUTURE et Gérard D.KHOURY, «Un siècle pour rien,.... op.cit. p. 35 |
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