DISCUSSION
1) Prévalence parasitaire
L'évaluation de la prévalence parasitaire donne
des indications sur l'importance de la transmission et sur l'état de
circulation du parasite dans une communauté. Les taux moyens de
prévalence enregistrés au niveau des trois zones d'étude
ont été partout inférieurs à 20 %. L'indice
plasmodique a été significativement plus élevé en
zone sud soudanienne avec 14,2 %, le paludisme y est
mésoendémique. Cette mésoendémicité palustre
a déjà été rapportée au sud du
Sénégal dans la zone du barrage anti-sel de Bignona avec un IP
moyen de 45,2 % (GAYE et al. 1991). Au niveau des zones nord sahélienne
et centre sahélo soudanienne il sévit selon un mode
hypoendémique avec respectivement des taux moyens de 2,3 % et 4,5 %.
Les indices plasmodiques ont considérablement
varié en fonction des périodes de prélèvement.
Ainsi dans les différents sites, la prévalence a
été plus importante en fin de saison des pluies, les indices de
saison sèche et de milieu de saison des pluies sont relativement
faibles. Dans les différents sites de la zone nord sahélienne
malgré les variations de l'indice plasmodique on reste toujours dans une
situation d'hypoendémicité quelque soit la saison. Au niveau du
delta et dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal des
études ont révélé que le paludisme sévit
selon un mode hypoendémique à mésoendémique (DIALLO
et al. 1991 ; FAYE et al. 1993b).
L'existence d'aménagements hydroagricoles favorise la
présence de gîtes larvaires dans la vallée du fleuve
Sénégal une grande partie de l'année, ce qui permet une
circulation du parasite dans la population tout au long de l'année. Le
faible taux de prévalence enregistré dans le site sahélien
non rizicole de Boki Diawé (1 %) dénote de la faiblesse de la
transmission dans la zone. Cette faible transmission a déjà
été signalée dans la basse vallée du fleuve
Sénégal (MBAYE, 1997), elle serait liée à la
prédominance d'An. arabiensis qui a une tendance zoophile dans
la zone ce qui diminue l'infection des moustiques et les inoculations à
l'homme. En zone soudanienne c'est une situation mésoendémique
qui prévaut en milieu comme en fin de saison pluvieuse au niveau des
sites rizicoles et non rizicoles, en saison sèche, on passe à une
situation d'hypoendémicité dans les deux sites. Des études
menées en zone sud ont montré que le paludisme est
mésoendémique à hyperendémique en zone de mangrove
et hyperendémique hors de la mangrove en basse Casamance (Gaye et al
1991). En milieu urbain (ville de Touba), c'est une situation
d'hypoendémicité qui prévaut dans le quartier central
(Darou Khoudoss) quelque soit la saison de l'année. Dans le quartier
périphérique (Darou Marnane), le paludisme est
hypoendémique en début de saison des pluies et en saison
sèche, alors qu'il devient mésoendémique. en fin de saison
des pluies. Dans la ville de Touba on a une transmission saisonnière
typique dépendant généralement de la mise en eau par la
pluie des gîtes larvaires temporaires. Le taux de prévalence
retrouvé dans le site de riziculture irriguée du delta de Kassack
Sud (4,3%) est supérieur à ceux retrouvés dans la zone par
MBAYE en 1997. La répartition des indices plasmodiques est en accord
avec les taux d'infections enregistrés dans les différentes
zones. Ainsi les zones nord et centre où les taux de prévalence
sont les plus faibles correspondent aux zones de plus faible transmission
vectorielle. C'est en zone Sud soudanienne qu'on note les plus forts taux
d'inoculations entomologiques et le taux de prévalence y est plus
élevé. La correspondance entre le taux d'infection des vecteurs
et la prévalence parasitaire est probablement liée à la
répartition inégale de la pluviométrie au niveau de ces
différentes zones. En effet les données pluviométriques
enregistrées au courant de l'étude dans les différentes
zones, sont en conformité avec le gradient de répartition
décrit en Afrique tropicale de manière générale et
au Sénégal en particulier, il croit du nord au sud..
Dans la ville de Touba (zone sahélo soudanienne), en
raison d'une urbanisation croissante et d'une couverture médicale
relativement bonne, la transmission ne peut être que faible. L'indice
plasmodique a présenté une différence entre les quartiers
de résidence, ceci à l'image de certaines villes Africaines
(TRAPE et ZOULANI, 1987. MULUMBA et al. 1990. MANGA et al.1993. DIALLO et al.
1998). Il a été plus élevé dans le quartier
périphérique de Darou Marnane que dans le quartier central de
Darou Khoudoss. Cette différence entre quartier d'une même ville
est classiquement expliquée par des infrastructures urbaines plus
développées en centre ville avec un niveau de vie plus
élevé.
P.falciparum a été la principale
espèce plasmodiale retrouvée dans l'ensemble des trois zones
d'étude. Selon des études effectuées au
Sénégal (FAYE, 1994), il représenterait 80 à 100%
des infections.
La probabilité des anophèles femelles de pouvoir
s'infecter sur l'homme repose sur la gamétocytémie circulante.
Les indices gamétocytaires retrouvés au niveau des
différentes zones ont été très faible et n'ont
présenté aucune différence significative.
La rareté de P. malariae et de P.
ovale ainsi que celle des stades sexués observés a
été signalée dans la vallée du fleuve
Sénégal (FAYE et al. 1993) et à Dakar (DIALLO et al.1998)
à la fois chez les porteurs symptomatiques qu'asymptomatiques.
2) Morbidité palustre
Le pic de morbidité chez les patients suspectés
de paludisme a été observé en saison pluvieuse dans les
différentes localités étudiées. Ce pic est
classiquement observé dans toute la zone sahélienne et
soudanienne, il est la conséquence de l'augmentation des densités
de population et des taux d'infection des vecteurs en fin de saison des pluies
(VERCRUYSSE, 1985 ; GAZIN & al, 1988 ; FAYE & al, 1993 ;
LEMASSON & al. 1997).
Au niveau de la zone nord sahélienne, en fin de saison
sèche, la morbidité n'a été observée que
dans le site de riziculture irriguée du delta du fleuve (Kassack Sud).
Les changements environnementaux intervenus dans cette zone sont à
l'origine de cette situation qui permet le maintien d'un anophélisme
continu durant toute l'année. En période de saison des pluies,
l'indice parasitaire a été significativement plus faible dans ce
même site. Cette observation est en concordance avec le faible taux
d'infection retrouvé chez les femelles d'An. gambiae
s.l de la zone. En effet au niveau du delta l'espèce An.
Pharoensis est la plus représentée, cependant il est un
mauvais vecteur du paludisme bien que des femelles infectées soient
retrouvées (CARRARA & al. 1990).
L'indice parasitaire retrouvé dans ce site de
riziculture (12,1 %) est comparable à ceux retrouvés dans des
villages situés dans la même zone (FAYE et al.1995), avec 12,9 %
à Kassack Nord et 11,8% à Maka Diama, de même qu'à
ceux retrouvés dans ces même sites par MBAYE en 1997 avec 10,4 %
à Kassack Nord et 11,3 % à Maka Diama. C'est dans les sites de
mangrove et d'agriculture sous pluie qu'on retrouve les plus forts indices
parasitaires. Ceci est lié à la faible endémicité
du paludisme dans ces 2 sites, ce qui se traduit par une faible
prémunition dans population et une forte morbidité en
période de transmission. Mais aussi à la présence de
vecteurs efficaces appartenant au complexe An. gambiae s.l,
probablement à l'espèce An. melas qui est
inféodée à l'écosystème de mangrove. Cette
espèce est surtout représentée au sud du
Sénégal incluant la Gambie (BRYAN, 1979 ,1980 ; BRYAN
et al 1982, 1983,1987 ; FAYE 1987).
Dans l'ensemble des sites étudiés au niveau des
différentes zones biogéographiques, les plus fortes
densités parasitaires ont été surtout retrouvées
chez les enfants de moins de 14ans excepté le site sahélien de
riziculture irriguée du delta du fleuve (Kassack Sud). La
présence de fortes densités parasitaires chez les enfants a
été souvent signalée et il est possible que au sein de
cette catégorie de la population acquérant sa prémunition,
l'équilibre hôte/parasite soit précaire (BAUDON et
al.1984 ; TRAPE, 1985 ; TRAPE et al.1985 ; CHIPPAUX et al.
1991). Dans le site sahélien rizicole du delta les fortes
densités parasitaires sont surtout retrouvées chez les adultes.
Dans le delta la rareté des infections est due à la
prédominance d'An pharoensis qui est un mauvais vecteur du
paludisme, ce qui entraîne une faible prémunition dans la
population et toutes les classes d'âges sont touchées de la
même manière.
Les fortes densités parasitaires (>50000
trophozoites / ìl de sang) enregistrées en zone sahélienne
de mangrove (Tassinère) et d'agriculture sous pluie (Boki Diawé),
dans le quartier central de la ville de Touba (Darou Khoudoss) et le site
soudanien rizicole (Madina Dianguette), ont été surtout
retrouvées chez les patients fébriles. Les mêmes
observations ont été signalées en zone rurale par GAYE et
al (1989). Selon GAYE et al (1989), en zone d'endémie il est habituel
d'observer des porteurs asymptomatiques à des densités
très élevées, et c'est à partir d'un certain niveau
de parasitémie que se déclenche l'accès fébrile. Ce
seuil pyrogène varie selon les critères d'appréciation des
auteurs, entre 1000 et 20000 GRP/mm3 (GAZIN et al 1988 ; RICHARD et al.
1988 ; GAYE et al. 1989).
Dans le site de riziculture nord sahélien (Kassack Sud)
le quartier périphérique de la ville de Touba (Darou Marnane),
les fortes densités parasitaires sont surtout rencontrées chez
les patients apyrétiques.
3) Transmission
Au cours de notre étude, 7 espèces
anophéliennes ont été identifiées: An gambiae
sl ; An funestus ; An pharoensis ; An rufipes ; An
ziemanni ; An wellcomei ; An coustani. Toutes ces
espèces étaient déjà connues au
Sénégal (HAMON et al, 1956).
En moyenne dans l'ensemble des trois zones
biogéographiques étudiées, An gambiae sl
a été prédominant aussi bien dans la faune
résiduelle que dans les captures nocturnes sur sujets humains. Au
Sénégal cette prédominance du complexe An gambiae
sl dans la faune anophélienne a déjà
été rapportée tant en milieu rural (Vercruysse,
1985 ; FAYE 1987, Faye et al 1992) qu'en milieu urbain (VERCRUYSSE &
et JANCLOES, 1981 ; TRAPE et al. 1990).
Au niveau de la zone nord sahélienne, An
gambiae sl a été dominant dans tous les sites sauf
à Kassack Sud dans le delta du fleuve, où An pharoensis
a été dominant. La prédominance d'An pharoensis
dans la population anophélienne observée au cours de cette
étude a été également signalée dans des
villages rizicoles de la même zone, situés aux
environs de Mboundoum (20, 21,43). La faiblesse du nombre de
femelles d'An gambiae sl aurait pour cause la salinité
des eaux. Ces sols salés résultent de l'envahissement de la zone
par des eaux marines avant l'installation du barrage. Malgré son
abondance dans la zone, An pharoensis n'est pas un bon vecteur du
paludisme (59). Les adultes se rencontrent assez rarement dans
les habitations (34) et ont une longévité
réduite les empêchant d'être infestant malgré une
anthropophilie élevée (21, 43, 59,70). An.
funestus a été retrouvé au niveau du site rizicole du
delta du fleuve Sénégal (Kassack sud). Cette espèce avait
disparu dans la zone du fait de la longue période de sécheresse
qui a entraîné la disparition de ses gîtes larvaires. Le
retour d'une bonne pluviométrie associée à une bonne
humidité relative explique probablement sa réintroduction dans la
zone.
Le taux d'inoculation entomologique, en zone
sahélienne a été nul dans le site rizicole du
delta et a été sensible dans le site de
mangrove. La transmission a présenté une variation
saisonnière importante avec une interruption en saison sèche
(VERCRUYSSE et JANCLOES, 1981 ; PETRARCA et al, 1987 ; FAYE et al,
1992 et 1993).
Les différentes observations ont montré qu'il
y'a une modification de la faune anophélienne dans les différents
sites suivant qu'on est dans un écosystème naturel ou en milieu
anthropisé. L'aménagement des rizières a
entraîné un bouleversement du milieu naturel avec un accroissement
de la densité anophélienne. Les rizières constituent en
général un milieu artificiel très favorable à de
nombreuses espèces de moustiques. Cependant cette pullulation n'affecte
pas toutes les espèces anophéliennes. Dans le cas du delta
(Kassack Sud) An gambiae s.l est en effectif très réduit
alors qu'il est un vecteur majeur du paludisme dans la zone. An
pharoensis qui est mieux adapté à ce type de biotope
caractérisé par la salinité des gîtes larvaires, ne
possède aucune potentialité vectrice bien que des femelles
hébergeant l'antigène circumsporozoïtique aient
été dépisté (CARRARA et al, 1990). Dans la ville de
Touba le développement des infrastructures urbaines a
entraîné la disparition des gîtes larvaires et la diminution
des densités anophéliennes.
Le taux de parturité des femelles d'An gambiae s.l
est resté élevé au cours des différents
passages effectués en saison des pluies et en saison sèche dans
les différents sites. Cette situation est proche de celle
signalée en zone soudanienne prés d'un cour d'eau (KONATÉ
,1991 ; DIAGNE, 1992 ; SOKHNA, 1994) et en zone sahélienne
prés d'un périmètre rizicole (FAYE et al 1993a) où
le taux de parturité reste élevé pendant toute
l'année avec de faibles variations mensuelles. La comparaison du taux de
parturité et de la densité agressive a montré qu'il existe
une corrélation négative entre les deux dans les
différentes localités étudiées. Le taux de
parturité présente ses plus faibles valeurs en période de
saison des pluies, période pendant laquelle la densité
anophélienne est maximale. Selon HOLSTEIN (1952), la baisse du taux de
parturité aux périodes de fortes abondances de populations
imaginales peut découler d'un flux massif et continu de jeunes femelles,
associé à une réduction de la longévité.
Inversement, le taux de parturité élevé chez les femelles,
observé en saison sèche serait probablement lié à
la rareté des jeunes femelles (assèchement des gîtes) et au
vieillissement de la population.
Le taux d'inoculation entomologique a été plus
élevé en zone soudanienne de riziculture irriguée
où la densité agressive des femelles d'An gambiae
s.l a été la plus forte. Les indices
circumsporozoïtiques obtenus ont été supérieurs aux
indices sporozoïtiques obtenus par dissection (BOUDIN et al. 1988). La
technique ELISA détecte la présence de la protéine
circumsporozoïte qui peut être présente dans les oocystes,
dans l'hémolymphe ou dans les glandes salivaires. Ainsi l'ELISA peut
surestimer les taux d'infection réels en détectant
l'antigène CSP libre non fixé sur les sporozoïtes avant que
ces derniers aient atteint les glandes salivaires (BOUDIN et al., 1988 ;
FERREIRA et al.,1993). Cependant la méthode ELISA présente des
avantages en permettant de confirmer les infections obtenues en dissection, de
déceler les faibles infections de glandes salivaires (pouvant
paraître négative à l'examen microscopique).
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