2.1.3. Le partage des connaissances :
Introduction :
L'opération d'externalisation des SI met en relation
deux organisations distinctes au niveau de leurs activités principales,
et par conséquent, les capitaux de savoir et les connaissances
existantes dans chaque organisation sont hétérogènes.
L'accès de chaque partie aux connaissances de l'autre constitue donc une
source d'enrichissement. Au contraire de la vision couramment répandue
selon laquelle chaque organisation doit protéger ses connaissances du
risque de l'imitation, nous étudions que le partage des connaissances
entre l'entreprise externalisatrice et son prestataire constitue un facteur qui
favorise l'augmentation de la valeur perçue et le succès de
l'opération d'externalisation des SI. Ainsi, la variable partage des
connaissances constituera une variable explicative dans notre modèle.
Nous commencerons par la présentation des définitions
conceptuelles du partage inter-organisationnel des connaissances, puis nous
allons étudier ses dimensions.
2.1.3.1. Définitions conceptuelles du partage
des connaissances :
Le concept du partage des connaissances est devenu un concept
central dans le domaine de la recherche en management stratégique
(Prévot 2007). Comme prolongement de l'approche Knowledge-based
View, nombreuses sont les recherches portant sur les relations
inter-organisationnelles qui se réfèrent au partage de
connaissances comme problématique centrale (Sargis 2001). L'importance
du partage des connaissances est liée, bien évidemment, au
rôle croissant de la connaissance pour la performance organisationnelle.
En effet, la définition de la connaissance adoptée par Ke et Wei
(2007) reflète clairement ce constat, «Knowledge is defined as
a justified belief that increases an entity's capacity to take effective
action » (Ke et Wei 2007, p298). La disponibilité des
connaissances nécessaires et leur diffusion au moment de la
réalisation d'une action augmentent sa chance de réussite.
L'idée principale consiste au fait que les
connaissances nécessaires à la réalisation des
activités à la base de la création de valeur dans le cadre
d'une prestation donnée sont rarement la propriété d'une
seule firme. Ces connaissances sont distribuées dans un ensemble
d'entreprises (Pardo et al 2006 ; Prévot 2007). Ainsi, Dyer et
Singh (1998) conceptualisent le partage inter-organisationnel des connaissances
comme un processus ou routines d'échange qu'il les définisse
comme « un cadre régulier d'interactions inter-firmes qui permet le
transfert, la combinaison ou la création d'un savoir spécifique
». Pour Soekijad et Andriessen (2003), le partage des connaissances entre
les partenaires d'une alliance réfère aux processus de transfert,
de distribution, et de création des connaissances. En outre, en tant que
moyen de performance et d'apprentissage dans le cadre d'une opération
d'externalisation des SI, Lee (2001) définit le partage des
connaissances comme « l'activité de transfert ou de diffusion
des connaissances d'une personne, groupe ou organisation à une
autre ». (Lee 2001, p324).
Ces définitions, comme le remarque Renzl (2008),
manifestent une confusion entre le concept de transfert et de partage des
connaissances. Bien qu'ils soient souvent utilisés conjointement, ces
deux concepts ont des significations différentes. En fait, la notion de
transfert est issue des théories de la communication et se traduit par
la transmission d'un message de la part d'un émetteur vers un
récepteur, via un canal de communication et un système de codage
(Sargis 2001). La signification de ce concept paraît quelque peu
étriquée par rapport à celle désirée dans
notre recherche, puisque qu'elle réfère à un mouvement des
connaissances qui se réalise en un sens unique (Sargis 2001). Ainsi,
nous souhaitons privilégier la conception du partage des connaissances
comme étant « un processus réciproque
d'échange des connaissances » (Renzl 2008,
p.207). Cette conception favorise une approche dynamique de la connaissance
dans ses différents modes de conversion (Sargis 2001). Dans cette
perspective, le défi principal consiste au développement d'une
relation qui permet de transformer les connaissances de chaque organisation
à des connaissances pouvant être intégrées et
gérées au niveau inter-organisationnelles de sorte qu'elles aient
comme conséquence la performance de l'opération d'externalisation
(Lee, 2001).
Bandyopadhyay et Pathak (2007) modélisent l'interaction
entre l'entreprise externalisatrice et son prestataire comme une
possibilité de partage de leurs connaissances et compétences afin
de travailler ensemble comme étant une équipe, tout en restant en
même temps antagoniques l'un vers l'autre. En fait, bien qu'on parle d'un
processus réciproque, chaque partie doit veiller à son propre
avantage avant de s'engager dans un processus de partage des connaissances. De
point de vue économique, Pardo et al, (2006) arguent que
«Decisions by individuals or organizations to share knowledge can thus
be seen as based on calculations of risk and reward. Knowledge sharing will
occur if the reward is sufficient and the risk of exploitation is sufficiently
low» (Pardo et al, 2006, p296). Les motivations de chaque partie
constituent donc un facteur qui conditionne le succès du processus de
partage des connaissances (Soekijad et Andriessen 2003). Toutefois, l'effet de
ce facteur diminue lorsque le partage des connaissances est traité comme
un processus social (Bandyopadhyay et Pathak 2007 ; Ke et Wei 2007). En
effet, des relations basées sur la confiance, la transparence et la
réciprocité permettent, d'une part d'atténuer le risque
qu'un des partenaires agisse de façon opportuniste (Ke et Wei 2007), et
d'autre part d'améliorer la qualité de communication et
d'interaction entre les parties, ce qui facilite le partage des connaissances
(Bandyopadhyay et Pathak 2007).
Par ailleurs, Lin (2008) s'intéresse à l'effet
de la culture et de la structure organisationnelle. Il montre qu'une culture
à tendance innovatrice, ainsi qu'une structure moins formalisée
influencent positivement l'efficacité du processus de partage des
connaissances. En outre, Soekijad et Andriessen (2003) citent d'autres facteurs
pouvant influencer ce processus. Certains sont liés aux
caractéristiques mêmes des connaissances partagées en terme
de degré de codifiabilité et du caractère
contextualisé. D'autres se rapportent à la capacité de
chaque partie à partager les connaissances qui sont liées
essentiellement à la réceptivité et la capacité
d'absorption et d'accès aux connaissances (Soekijad et Andriessen
2003).
2.1.3.2. Les dimensions du partage des
connaissances :
La plupart des études sur le partage des connaissances
mettent considérablement l'accent sur les diverses formes de
connaissances partagées (Pardo et al, 2006). En particulier, en terme
des processus, technologies, et structures organisationnelles qui favorisent ou
empêchent le partage des différentes formes des connaissances dans
un contexte inter-firmes (Pardo et al, 2006). La distinction la plus admise est
celle entre connaissance explicite et connaissance tacite (Prévot 2007).
Cette distinction est directement liée à la facilité et
à l'efficacité du partage (Pardo et al, 2006). Selon la
définition de Nonaka (1994) la connaissance tacite est personnelle,
spécifique à un contexte, et donc difficile à être
formaliser et communiquer, tandis que la connaissance explicite peut être
décrite comme connaissance qui est transmissible en langue formelle et
systématique.
Cette distinction n'est pas statique, ni dichotomique. Les
connaissances tacites et explicites ne sont pas exclusives mais sont
localisées sur un continuum (Sargis 2001). D'ailleurs, Lee (2001)
propose dans son étude une conceptualisation du partage des
connaissances en terme de degré auquel les connaissances peuvent
être exprimées sous forme verbale, symbolique ou écrite.
Cette conceptualisation permet d'identifier trois formes de connaissances.
D'une part, la connaissance tacite est une connaissance qui
« ne peut pas être »
exprimée sous forme verbale, symbolique ou écrite. Comme
déjà mentionné, cette forme de connaissance est
incommunicable et intimement attachée à son possesseur (Sargis
2001). Leonard et Sensiper (1998) les caractérises comme étant
des connaissances cachées, intangibles, subjectives et
spontanées. La seule manière d'acquérir les connaissances
tacites est à travers l'apprentissage et l'expérience (Nonaka
1994). Pour ces raisons, et à l'instar de Lee (2001), les connaissances
tacites seront exclues du champ d'étude du partage des connaissances.
D'autre part, la connaissance explicite est une connaissance
qui « existe » sous forme
écrite ou symbolique (Lee 2001). Elle est articulable et
généralement documentée (Renzl 2008) sous forme des
rapports, des manuels, des périodiques, des bases de données,
etc. (Lee 2001 ; Pardo et al, 2006). Elle peut être donc plus
facilement et directement observée, capturée, et partagée
(Pardo et al, 2006).
En fin, la troisième forme est celle implicite, qui est
une connaissance qui « peut être »
exprimée sous forme verbale, symbolique, ou écrite,
mais non encore exprimée (Lee 2001). Cette dimension inclut des
connaissances liées à des savoir-faire, des expertises obtenues
par des formations, des connaissances sur le marché et les concurrents,
etc. (Lee 2001). Le partage de ces connaissances est possible, seulement il
nécessite plus d'interaction et une bonne qualité de partenariat
(Lee 2001).
Par conséquent, à l'instar de Lee (2001),
après l'élimination de la forme tacite, le concept de partage des
connaissances étudié comporte deux dimensions, à savoir,
le partage des connaissances explicites, et le partage des connaissances
implicites.
Conclusion :
Nous avons retenu la conceptualisation du concept de partage
des connaissances comme étant « un processus réciproque
d'échange des connaissances » (Renzl 2008). Ce processus
concerne deux formes de connaissance, à savoir, le partage des
connaissances explicites et le partage des connaissances implicites, qui
présentent ainsi les deux dimensions de ce concept.
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