2.1.2. La dépendance envers le
prestataire:
Introduction :
L'engagement dans une relation d'externalisation
présente des nombreux avantages potentiels. Mais toutefois, ce genre de
relations inter-organisationnelles est généralement
caractérisé par une asymétrie de pouvoir où une
entreprise dépend d'une autre. Cette dépendance peut constituer
un frein pour la réalisation des objectifs de l'externalisation des SI.
Par conséquent, la dépendance perçue vis-à-vis du
prestataire doit être prise en compte avant que l'entreprise
décide d'externaliser ses SI. Cette variable constitue donc une variable
explicative de notre modèle.
Ainsi, nous présenterons en premier lieu la
définition conceptuelle et les déterminants de la
dépendance, ensuite nous allons étudier les dimensions de cette
variable.
2.1.2.1. Définitions conceptuelles de la
dépendance :
Le concept de dépendance connaît plusieurs
acceptions quant à sa conceptualisation à travers les
différents référentiels théoriques. (Lepers 2003).
D'une part, de point de vue stratégique, c'est aux forces
concurrentielles étudiées par Porter (1980) qu'il convient de se
référer. Porter (1980) a déjà identifié, la
variable « pouvoir de négociation des Fournisseurs »
comme élément clés faisant partie de son modèle
incontournable permettant d'analyser l'intensité de la concurrence et
d'évaluer l'attrait d'un segment de marché (Remili et Carrier
2006). Plus le degré de dépendance est important plus le pouvoir
de négociation de la firme diminue puisqu'elle ne peut se permettre de
perdre un fournisseur important. L'intensité du pouvoir du fournisseur
dépend de plusieurs indicateurs comme la répartition de la valeur
ajoutée, l'importance des coûts de transfert et la concentration
relative (Bouattour 2004).
D'autre part, partant de l'idée que les organisations
sont dépendantes de leur environnement puisqu'elles y puisent les
ressources dont elles ont besoin, plusieurs conceptualisation se sont
basées sur les travaux de Emerson (1962) qui définit la
dépendance d'un agent B à l'égard d'un agent A comme
étant directement proportionnelle à l'investissement de B dans
les buts qu'il cherche à atteindre par l'intermédiaire de A, et
inversement proportionnelle à la possibilité de B d'atteindre ses
buts en dehors de sa relation avec A. (Emerson 1962, p. 32). En fait, en
appliquant cette conception interpersonnelle de la dépendance sur le
niveau inter-organisationnelle, Pfeffer et Salancik (1978) ont
développé la théorie de la dépendance des
ressources. Cette théorie suggère que trois
éléments déterminent la mesure dans laquelle une
organisation A est dépendante d'une organisation B : (1) l'importance
pour l'organisation A des ressources que l'organisation B lui procure; (2) la
mesure dans laquelle l'organisation B contrôle l'utilisation de ces
ressources et (3) la possibilité pour l'organisation A de se procurer
ces ressources sans passer par l'organisation B.
Sur la base de cette même théorie de la
dépendance des ressources (Pfeffer et Salancik 1978), différentes
définitions et tentatives d'opérationnalisation ont
été proposées. Frazier (1983) annonce l'approche de
performance du rôle selon laquelle la dépendance est
estimée à l'aide de degré de satisfaction d'une partie
quant à la manière dont l'autre partie s'acquitte de ses
différentes responsabilités à son égard. Plus une
firme est performante dans son rôle, plus les alternatives disponibles
pour la remplacer seront faibles pour ses partenaires et inversement plus leur
dépendance sera forte (Lepers 2003). Buchanan (1992, p. 65) ajoute que
la dépendance consiste au « the extent to which a trade partner
provides important and critical resources for which there are few alternatives
sources of supply ». Cet auteur met l'accent sur le degré
d'essentialité des ressources objet de la transaction. Il s'agit donc
d'une dépendance liée d'une part, à des alternatives
potentielles, d'autre part, à des estimateurs subjectifs comme le
respect ou la satisfaction (Lepers 2003).
Cependant, la théorie des coûts de transaction a
longuement expliqué la dépendance en terme
d'irréversibilité des situations que peut entraîner le
recours au marché ou à une forme de gouvernance hybride comme
l'externalisation (Law-Kheng 2007), et des coûts de changement et de
transfert relatifs à ces situations (Whitten et Wakefield 2006). Elle
trouve son origine dans des situations où les actifs en jeu sont
fortement spécifiques et sujet à l'opportunisme ex-post des
entreprises et au risque de hold-up (Williamson, 1985). En plus,
étant donné la difficulté d'arriver à accomplir un
contrat d'externalisation qui prendrait en compte l'ensemble des contingences
futures (Barthélemy 2004b) - surtout lors de la première
expérience - l'entreprise externalisatrice peut se trouver enfermer dans
une situation où le rapport de force n'est pas en sa faveur, elle se
trouve donc guidée par un prestataire plus expérimenté.
Nous pouvons ainsi retenir dans notre recherche la
définition suivante « La dépendance existe
lorsqu'une partie ne peut pas contrôler toutes les conditions
nécessaires à l'accomplissement d'une action ou des
résultats désirés qui sont réalisés par une
autre partie ». (Handfield et Bechtel 2002, p. 371). Il
s'agit donc d'une dépendance liée d'une part, à
l'essentialité de la relation avec un prestataire pour que l'entreprise
puisse se procurer d'une ressource importante pour son activité, et par
conséquent, la difficulté de remplacement de ce prestataire. Et
d'autre part, à l'incertitude entourant cette relation à long
terme, bien évidemment le risque de verrouillage en terme de non
disponibilité des alternatives à l'autre partie d'échange
et des coûts de transfert qui accompagne cette situation.
2.1.2.2. Les déterminants de la
dépendance :
En fait, le risque de dépendance est souvent
présenté dans la littérature de l'externalisation des SI
à travers le concept Lock-in (Bahli 2002), qui
réfère à « une situation où l'entreprise
ne peut pas s'en sortir de la relation d'externalisation sans une perte ou
sacrifice d'une partie où de la totalité de ses actifs à
son prestataire » (Bahli et Rivard 2003, p.213). Trois principaux
déterminants peuvent conduire à cette situation de verrouillage
(Bahli et Rivard 2003).
Le premier est la spécificité des actifs, qui
réfère aux investissements physiques et/ou humains qu'une
entreprise réalise pour une transaction donnée et qui ne
pourraient être redéployé pour une autre transaction sans
un coût élevé (Williamson 1985 ; Heide et John 1988).
Plus les actifs investis par une entreprise sont spécifiques, plus elle
est vulnérable aux comportements du prestataire (Bahli et Rivard 2005),
qui sera plus opportuniste et tentera à tirer la plus grande quasi-rente
possible en négociant le contrat à son profit (Aubert et al,
2005).
Le deuxième déterminant est le nombre restreint
des prestataires (Bahli et Rivard 2003). En effet, si le nombre de prestataire
est bas, l'entreprise a plus de chance de se trouver prisonnière de la
relation puisque sa capacité de substituer un prestataire par un autre
est faible (Aubert et al, 2005). Ainsi les coûts de transactions sont
plus élevés et le rapport de force est en faveur du prestataire
(Williamson 1985).
En fin, le troisième déterminant de la
dépendance selon Bahli et Rivard (2003) consiste au degré
d'expertise de l'entreprise avec les contrats d'externalisation. Il est
fortement probable qu'une première décision d'externalisation
prise par une entreprise mènera au risque de dépendance (Bahli et
Rivard 2003). En effet, l'engagement dans un contrat à long terme sans
des dispositions contractuelles qui protègent les investissements, ou
des clauses permettant l'adaptation et le contrôle des activités
externalisées peut donner à ce dernier un pouvoir de
négociation et mettre l'entreprise dans une situation dépendante
(Bahli 2002 ; Bahli et Rivard 2003). Et elle devient obligée de
continuer la relation d'externalisation même si la valeur perçue
de cette relation n'est pas satisfaisante.
2.1.2.3 Les dimensions de la
dépendance :
Dans plusieurs études, (Heide et John 1988 ;
Ganesan 1994 ; Johnson 1999 ; Bahli 2002), la dépendance
était présenter comme étant une variable
unidimensionnelle. Tandis que Ganesan (1994) et Bahli (2002)
conceptualisent la dépendance en terme de degré d'importance
d'une entreprise pour une autre, Heide et John (1988) et Johnson (1999)
s'intéressent plutôt à l'effet de non
substituabilité ou de la difficulté de remplacement que trouve
une partie si elle décide de quitter la relation avec son partenaire
d'échange.
Par ailleurs, Yilmaz et Kabadayi (2006) ont combiné ces
deux conceptions pour dégager une conceptualisation bidimensionnelle
manifestant en parallèle l'essentialité (valeur reçue) du
partenaire et la perception de son irremplaçabilité comme deux
dimensions de la dépendance. Plusieurs autres études ont
adopté une conception tridimensionnelle comme celle de Young-Ybarra et
Wiersma, (1999), Ryu et al, (2007), et Golicic et Mentzer (2006) qui
conceptualisent la dépendance à travers l'essentialité de
la relation, la difficulté du changement, et de la disponibilité
d'alternative au prestataire. Ces trois dimensions sont en
réalité fortement corrélées. Dans notre recherche
nous allons retenir la conceptualisation bidimensionnelle qui présente
la dépendance en terme de l'essentialité de la relation avec le
prestataire et la difficulté de remplacement de ce dernier.
En effet, tout d'abord la dimension de l'essentialité
de la relation consiste en l'importance de la contribution du prestataire dans
l'activité de l'entreprise et pose la question de savoir ce qui se
passerait si l'entreprise veut replacer un prestataire par un autre. Ensuite,
la difficulté de changement réfère aux obstacles et
sacrifices qu'une entreprise peut subir en cas de rupture de la relation.
Quantitativement, cette dimension renvoie aux coûts de transfert,
appelés souvent switching costs (Whitten et Wakefield 2006),
qui sont les coûts associés au processus du changement d'un
fournisseur par un autre (Burnham et al, 2003). Ils englobent des coûts
économiques et relationnels engendrés par l'arrêt de la
relation d'externalisation (Whitten et Wakefield 2006). De plus, cette
dimension inclut également la non disponibilité d'alternative au
prestataire ou encore le degré de facilité avec laquelle une
entreprise peut trouver des nouveaux prestataires de remplacement et
réalise la substitution. Cette dimension est également
liée à des facteurs environnementaux (Ganesan 1994), comme
l'incertitude et le nombre des prestataires sur le marché.
Conclusion :
Après avoir présenté les
différentes approches théoriques ayant traité le concept
de la dépendance dans une relation inter-organisationnelle, nous avons
retenu la définition suivante « la dépendance existe
lorsqu'une partie ne peut pas contrôler toutes les conditions
nécessaires à l'accomplissement d'une action ou des
résultats désirés qui sont réalisés par une
autre partie ». Nous avons également présenté
les déterminants de la dépendance souvent présents dans le
contexte d'externalisation des SI. En fin, le concept de la dépendance a
été conçu à travers deux dimensions à
savoir : travers l'essentialité de la relation, la
difficulté du changement.
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