Paragraphe 2 : les biotechnologies agricoles modernes, une
technologie
Approximative
L'enthousiasme créé par la révolution
génétique en agriculture se trouve fragilisé devant les
thèses favorables à une « agriculture soutenable sans
modification génétique ». Plusieurs arguments
démontrent la vacuité des affirmations tendant à faire
croire que les biotechnologies agricoles pourraient constituer une
réponse efficace à l'épineuse équation de la
sécurité alimentaire. Si on estime de ce
côté-là que les OGM ne peuvent pas augmenter la production
agricole comme le pensent certains esprits euphoriques, c'est parce que
l'agriculture biotechnologique a, de diverses façons, montré ses
lacunes. De ce fait, certains auteurs n'hésitent pas à
dénoncer le rapport jubilatoire de la FAO sur les opportunités
réelles que pourraient offrir les biotechnologies agricoles en vue de
faire face à la crise alimentaire que connaît l'ensemble des pays
pauvres75. Ce rapport jugé complaisant éveille des
soupçons sur le parti pris de l'organisation mondiale dans le
débat sur les OGM. Certains estiment que la FAO à travers ce
rapport semble n'avoir pas retenu les enseignements tirés des
problèmes issus de la révolution verte. Comme on le sait, la
révolution verte n'a pas eu que des effets positifs. En effet elle a
entraîné un usage excessif de pesticides, occasionnant un
appauvrissement des sols. Elle a aussi causé des bouleversements
culturels à travers des phénomènes tels que l'exode rural
massif avec à la clé la déperdition du savoir traditionnel
agricole. Elle est par ailleurs accusée de contribuer à
réduire la biodiversité et de mettre les agriculteurs sous
dépendance de l'industrie agrochimique. Comme le fait si bien remarquer
Delvin KUYEK76, on peut tirer deux leçons de l'échec
de la révolution verte en Afrique : d'une part le succès
limité que peuvent avoir des technologies
«révolutionnaires» importées de l'extérieur dans
l'écologie complexe de l'Afrique ; les sols africains
n'étant généralement pas propices à une production
intensive de monocultures à causes des pluies excessives dans certains
cas et insuffisantes dans d'autres cas, de la fréquence
élevée des maladies et des ravageurs ainsi que d'autres facteurs.
Aussi les conditions politiques économiques et sociales conviennent mal
aux technologies « révolutionnaires ». D'ailleurs,
poursuit-il, la Banque mondiale estime que la moitié de ses projets
agricoles a échoué en Afrique parce qu'elle n'avait pas tenu
compte des limites des infrastructures nationales. On présume que ces
problèmes vont connaître une amplification avec l'agriculture
biotechnologique. En effet si on estime dans un certain sens que la
révolution génétique est une double révolution
verte, on pourrait également s'accorder à croire que les
problèmes apparus sous cette révolution auraient tendance
à connaître une double amplification à l'ère des
biotechnologies modernes.
Pour Jacques TESTART et Arnaud APOTEKER77, les
cultures génétiquement modifiées le plus souvent
citées n'ont pas d'existence réelle : par exemple la tomate
à longue conservation, première culture
génétiquement modifiée en 1994, a vite été
abandonnée, son goût rebutant les consommateurs des Etats-Unis.
Ces derniers sont formels sur l'échec du riz doré ou
Golden Rice produisant de la vitamine A. En effet,
expliquent-ils, il faudrait en manger plusieurs kilogrammes pour obtenir la
dose quotidienne requise de vitamine. En outre, les plantes capables de pousser
en terrains peu propices à l'agriculture, notamment les terrains
très riches en sel ou les terrains désertiques en sont toujours
au stade de promesse.
Dans l'ensemble, les cultures génétiquement
modifiées qui font l'objet d'une grande admiration par leurs
défenseurs sont des plantes capables soit de produire elles-mêmes
leur propre insecticide, soit de tolérer les épandages
d'herbicides. Dans le premier cas, l'effet bénéfique initial
risque de s'atténuer en quelques années, car les pestes ainsi
combattues parviennent à s'adapter. Des études
révèlent que dans le cas des plantes Bt
génétiquement modifiées pour produire des protéines
insecticides provenant de gènes de bactérie Bacillus
thuringiensis, certains insectes ont développé une
résistance à toutes ces toxines. Le drame, c'est que des souches
d'insectes résistantes utiliseraient la toxine pour en tirer une source
nutritive supplémentaire, ce qui les rendrait encore plus dangereux pour
les plantes78. Dans le cas des plantes génétiquement
modifiées tolérantes aux herbicides des résultats de
recherches évoquent la possibilité que celles-ci se transforment
par la suite en «super mauvaises herbes» nécessitant davantage
de produits chimiques pour leur élimination, ce qui n'est pas sans
conséquence pour la santé de l'agriculture79. Le moins
qu'on puisse dire, c'est que les plantes génétiquement
modifiées n'auraient pas permis jusqu'à ce jour, une
réduction significative de l'épandage d'herbicides,
d'insecticides et de pesticides sur les champs. Bien au contraire, certaines
cultures transgéniques auraient besoin de plus d'intrants chimiques que
d'autres systèmes de gestion des mauvaises herbes ou des pestes. Par
exemple, le soja Roundup Ready (RR) aurait besoin de deux à cinq fois
plus d'herbicides que son équivalent conventionnel. De même, des
résultats relevés en l'an 2000, par le Département de
l'Agriculture des Etats-unis (USDA) montrent qu'en moyenne, il est
nécessaire d'utiliser trente pour cent de plus d'herbicides pour traiter
un arpent de maïs Roundup Ready(RR) par rapport à une surface
similaire plantée avec du maïs conventionnel. On évoque le
plus souvent le problème des gènes
terminator80 qui stérilisent les graines des
récoltes, obligeant ainsi les paysans à se procurer de nouvelles
semences auprès des firmes productrices des semences OGM. Et même
lorsqu'il ne s'agit pas de semences stériles, la logique marchande des
industries agroalimentaires oblige les paysans à acheter les semences
grâce au système des brevets81.
Dans le sillage du paradigme de l'agriculture intensive,
productiviste et chimique, la mission assignée à certaines
plantes génétiquement modifiées est l'éradication
des mauvaises herbes et des insectes parasites. Cette pratique rompt avec
l'attitude traditionnelle du paysan, résolu à préserver sa
récolte par une sorte de « pacte armé » avec la nature
plutôt que par l'éradication de certaines populations
végétales ou animales considérées comme nuisibles.
En effet le paysan sait que l'ensemble du vivant auquel il appartient est
beaucoup trop complexe pour s'autoriser des actions radicales sans risquer des
catastrophes. Le moins qu'on puisse dire, c'est que les cultures
génétiquement modifiées favorisent les systèmes
agricoles industriels : alors que l'agriculture des pays
développés est très mécanisée, l'agriculture
de la plupart des pays du tiers-monde dépend de la traction humaine et
animale. De plus, on avance que si les chercheurs en génie
génétique visent à trouver des solutions en
s'intéressant seulement au gène, les praticiens de l'agriculture
durable se préoccupent de l'état des sols, de la gestion de
l'eau, ... ils tiennent compte de la situation socio-économique, des
questions de relations entre hommes et femmes, et des besoins des agriculteurs
tels qu'ils les expriment eux-mêmes. Ainsi pour Delvin KUYEK, «
l'agriculture durable intègre
complexité et diversité alors
que le génie génétique
se fonde sur la simplicité
et l'uniformité »82.
Le prix élevé des semences OGM, associé
à l'utilisation accrue des herbicides, et à un rendement qui
laisse à désirer, auquel s'ajoutent les redevances sur
l'utilisation des semences et les marchés réduits, permet de
conclure que tous ces facteurs mis bout à bout font perdre de l'argent
aux agriculteurs83.
Au total les cultures génétiquement
modifiées telles qu'on les connaît à ce jour
relèveraient aux yeux de plusieurs d'un énorme « bluff
technologique » auquel participent certaines institutions et certains
chercheurs pour des raisons qui échappent à la logique de la
sécurité alimentaire. En effet, la transgénèse
abusivement présentée comme preuve de la maîtrise humaine
du vivant apparaît aux yeux de Jacques TESTART et de Arnaud APOTEKER
comme une « manipulation aléatoire », «
une technologie approximative »84.
Par ailleurs, le problème des risques liés à l'ingestion
des produits dérivés des OGM accroît davantage
l'hostilité de nombreuses personnes à l'égard de ces
« aliments artificiels ».
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