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Les OGM face à la question de la sécurité alimentaire: controverse et dilemme

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par Jean-Paul SIKELI
Université Cocody Abidjan en partenariat avec le Centre de Recherche et d'Action pour la Paix - DESS droits de l'homme 2005
  

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Paragraphe 2 : les biotechnologies agricoles modernes, une technologie

Approximative

L'enthousiasme créé par la révolution génétique en agriculture se trouve fragilisé devant les thèses favorables à une « agriculture soutenable sans modification génétique ». Plusieurs arguments démontrent la vacuité des affirmations tendant à faire croire que les biotechnologies agricoles pourraient constituer une réponse efficace à l'épineuse équation de la sécurité alimentaire. Si on estime de ce côté-là que les OGM ne peuvent pas augmenter la production agricole comme le pensent certains esprits euphoriques, c'est parce que l'agriculture biotechnologique a, de diverses façons, montré ses lacunes. De ce fait, certains auteurs n'hésitent pas à dénoncer le rapport jubilatoire de la FAO sur les opportunités réelles que pourraient offrir les biotechnologies agricoles en vue de faire face à la crise alimentaire que connaît l'ensemble des pays pauvres75. Ce rapport jugé complaisant éveille des soupçons sur le parti pris de l'organisation mondiale dans le débat sur les OGM. Certains estiment que la FAO à travers ce rapport semble n'avoir pas retenu les enseignements tirés des problèmes issus de la révolution verte. Comme on le sait, la révolution verte n'a pas eu que des effets positifs. En effet elle a entraîné un usage excessif de pesticides, occasionnant un appauvrissement des sols. Elle a aussi causé des bouleversements culturels à travers des phénomènes tels que l'exode rural massif avec à la clé la déperdition du savoir traditionnel agricole. Elle est par ailleurs accusée de contribuer à réduire la biodiversité et de mettre les agriculteurs sous dépendance de l'industrie agrochimique. Comme le fait si bien remarquer Delvin KUYEK76, on peut tirer deux leçons de l'échec de la révolution verte en Afrique : d'une part le succès limité que peuvent avoir des technologies «révolutionnaires» importées de l'extérieur dans l'écologie complexe de l'Afrique ; les sols africains n'étant généralement pas propices à une production intensive de monocultures à causes des pluies excessives dans certains cas et insuffisantes dans d'autres cas, de la fréquence élevée des maladies et des ravageurs ainsi que d'autres facteurs. Aussi les conditions politiques économiques et sociales conviennent mal aux technologies « révolutionnaires ». D'ailleurs, poursuit-il, la Banque mondiale estime que la moitié de ses projets agricoles a échoué en Afrique parce qu'elle n'avait pas tenu compte des limites des infrastructures nationales. On présume que ces problèmes vont connaître une amplification avec l'agriculture biotechnologique. En effet si on estime dans un certain sens que la révolution génétique est une double révolution verte, on pourrait également s'accorder à croire que les problèmes apparus sous cette révolution auraient tendance à connaître une double amplification à l'ère des biotechnologies modernes.

Pour Jacques TESTART et Arnaud APOTEKER77, les cultures génétiquement modifiées le plus souvent citées n'ont pas d'existence réelle : par exemple la tomate à longue conservation, première culture génétiquement modifiée en 1994, a vite été abandonnée, son goût rebutant les consommateurs des Etats-Unis. Ces derniers sont formels sur l'échec du riz doré ou Golden Rice produisant de la vitamine A. En effet, expliquent-ils, il faudrait en manger plusieurs kilogrammes pour obtenir la dose quotidienne requise de vitamine. En outre, les plantes capables de pousser en terrains peu propices à l'agriculture, notamment les terrains très riches en sel ou les terrains désertiques en sont toujours au stade de promesse.

Dans l'ensemble, les cultures génétiquement modifiées qui font l'objet d'une grande admiration par leurs défenseurs sont des plantes capables soit de produire elles-mêmes leur propre insecticide, soit de tolérer les épandages d'herbicides. Dans le premier cas, l'effet bénéfique initial risque de s'atténuer en quelques années, car les pestes ainsi combattues parviennent à s'adapter. Des études révèlent que dans le cas des plantes Bt génétiquement modifiées pour produire des protéines insecticides provenant de gènes de bactérie Bacillus thuringiensis, certains insectes ont développé une résistance à toutes ces toxines. Le drame, c'est que des souches d'insectes résistantes utiliseraient la toxine pour en tirer une source nutritive supplémentaire, ce qui les rendrait encore plus dangereux pour les plantes78. Dans le cas des plantes génétiquement modifiées tolérantes aux herbicides des résultats de recherches évoquent la possibilité que celles-ci se transforment par la suite en «super mauvaises herbes» nécessitant davantage de produits chimiques pour leur élimination, ce qui n'est pas sans conséquence pour la santé de l'agriculture79. Le moins qu'on puisse dire, c'est que les plantes génétiquement modifiées n'auraient pas permis jusqu'à ce jour, une réduction significative de l'épandage d'herbicides, d'insecticides et de pesticides sur les champs. Bien au contraire, certaines cultures transgéniques auraient besoin de plus d'intrants chimiques que d'autres systèmes de gestion des mauvaises herbes ou des pestes. Par exemple, le soja Roundup Ready (RR) aurait besoin de deux à cinq fois plus d'herbicides que son équivalent conventionnel. De même, des résultats relevés en l'an 2000, par le Département de l'Agriculture des Etats-unis (USDA) montrent qu'en moyenne, il est nécessaire d'utiliser trente pour cent de plus d'herbicides pour traiter un arpent de maïs Roundup Ready(RR) par rapport à une surface similaire plantée avec du maïs conventionnel. On évoque le plus souvent le problème des gènes terminator80 qui stérilisent les graines des récoltes, obligeant ainsi les paysans à se procurer de nouvelles semences auprès des firmes productrices des semences OGM. Et même lorsqu'il ne s'agit pas de semences stériles, la logique marchande des industries agroalimentaires oblige les paysans à acheter les semences grâce au système des brevets81.

Dans le sillage du paradigme de l'agriculture intensive, productiviste et chimique, la mission assignée à certaines plantes génétiquement modifiées est l'éradication des mauvaises herbes et des insectes parasites. Cette pratique rompt avec l'attitude traditionnelle du paysan, résolu à préserver sa récolte par une sorte de « pacte armé » avec la nature plutôt que par l'éradication de certaines populations végétales ou animales considérées comme nuisibles. En effet le paysan sait que l'ensemble du vivant auquel il appartient est beaucoup trop complexe pour s'autoriser des actions radicales sans risquer des catastrophes. Le moins qu'on puisse dire, c'est que les cultures génétiquement modifiées favorisent les systèmes agricoles industriels : alors que l'agriculture des pays développés est très mécanisée, l'agriculture de la plupart des pays du tiers-monde dépend de la traction humaine et animale. De plus, on avance que si les chercheurs en génie génétique visent à trouver des solutions en s'intéressant seulement au gène, les praticiens de l'agriculture durable se préoccupent de l'état des sols, de la gestion de l'eau, ... ils tiennent compte de la situation socio-économique, des questions de relations entre hommes et femmes, et des besoins des agriculteurs tels qu'ils les expriment eux-mêmes. Ainsi pour Delvin KUYEK, « l'agriculture durable intègre complexité et diversité alors que le génie génétique se fonde sur la simplicité et l'uniformité »82.

Le prix élevé des semences OGM, associé à l'utilisation accrue des herbicides, et à un rendement qui laisse à désirer, auquel s'ajoutent les redevances sur l'utilisation des semences et les marchés réduits, permet de conclure que tous ces facteurs mis bout à bout font perdre de l'argent aux agriculteurs83.

Au total les cultures génétiquement modifiées telles qu'on les connaît à ce jour relèveraient aux yeux de plusieurs d'un énorme « bluff technologique » auquel participent certaines institutions et certains chercheurs pour des raisons qui échappent à la logique de la sécurité alimentaire. En effet, la transgénèse abusivement présentée comme preuve de la maîtrise humaine du vivant apparaît aux yeux de Jacques TESTART et de Arnaud APOTEKER comme une « manipulation aléatoire », « une technologie approximative »84. Par ailleurs, le problème des risques liés à l'ingestion des produits dérivés des OGM accroît davantage l'hostilité de nombreuses personnes à l'égard de ces « aliments artificiels ».

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