Titre:les biotechnologies modernes à
l'épreuve des droits de l'homme:les OGM face à la question de la
sécurité alimentaire, dilemme, controverses et
contrastes.
INTRODUCTION
Considéré comme un droit fondamental de l'homme,
le droit à l'alimentation ou à la nourriture jouit d'une certaine
préséance et d'un certain prestige tant il fait l'objet d'une
importante consécration juridique au plan international et au plan
interne des Etats. Cependant, cette reconnaissance textuelle ou formelle
contraste fortement avec la réalisation effective de ce droit. En effet,
bien que la communauté internationale ait fréquemment
réaffirmé l'importance du respect intégral du droit
à l'alimentation, il se trouve que, entre les normes
énoncées et la situation qui règne dans de nombreux pays
du globe, l'écart reste préoccupant. Plus de huit cent cinquante
quatre millions de personnes à travers le monde, pour la plupart dans
les pays en développement, souffrent chroniquement de la faim. Des
millions de personnes sont en proie à la famine par suite de
catastrophes naturelles, de la multiplication des troubles civils et des
guerres dans certaines régions. Ce tableau déjà sombre de
la situation alimentaire mondiale se trouve davantage assombries par les
prévisions des démographes qui estiment que dans les trente ou
cinquante années à venir, la population du globe aura
augmenté de deux à trois milliards d'habitants, et quatre vingt
quinze pour cent de ceux-ci vivront dans les pays en voie de
développement.
Depuis les années soixante dix, les
préoccupations de l'humanité en matière d'alimentation se
sont accrues, favorisant ainsi l'émergence du concept nouveau de
sécurité alimentaire. La sécurité
alimentaire en tant que concept englobant, commande d'assurer l'accès
à une alimentation suffisante, saine et de qualité. Comment alors
garantir cette nécessité vitale? Telle est la grande
équation qui devra impérativement être résolue, au
risque de rendre illusoire la jouissance des autres droits, et donc
compromettre tous les acquis et ruiner tous les espoirs de
l'humanité.
Comme le fait si bien remarquer le Comité des droits
économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, la
sécurité alimentaire est indissociable de la dignité
intrinsèque de la personne humaine et est indispensable à la
réalisation des autres droits fondamentaux consacrés dans la
charte internationale des droits de l'homme.
Les politiques entreprises jusque-là au niveau des
instances gouvernementales et même à l'échelle
internationale, en vue de résorber le déficit alimentaire, n'ont
pas connu le succès attendu. Les espoirs qui ont été
suscités par le passage d'une agriculture biologique à
une agriculture conventionnelle à l'ère de la révolution
verte se sont heurtés à la rigueur de la
réalité dans la mesure où dans l'ensemble, les
résultats obtenus ne sont pas à la hauteur des attentes de
l'humanité en matière d'alimentation. Dans cette recherche
quelque peu désespérée de solutions, certains esprits
pensent qu'une rupture de technologie reste la seule alternative à la
catastrophe alimentaire mondiale.
C'est dans ce contexte sur fond de
crise que les biotechnologies modernes notamment les Organismes
Génétiquement Modifiés ou OGM font leur irruption dans le
débat public. Pourtant, le rapport des OGM à la
sécurité alimentaire de façon spécifique et aux
droits de l'homme en général n'est pas du tout aisé
à définir. C'est la raison pour laquelle cette technologie
nouvelle se trouve au coeur d'une controverse qu'on pourrait qualifier
d'épique. Débordant le cadre des laboratoires scientifiques, le
débat sur les OGM prend ainsi l'allure d'une querelle idéologique
qui polarise les énergies et captive les attentions. De ce point de vue,
deux thèses antagonistes extrêmes semblent se livrer une lutte
sans merci ; d'un côté, les pro-OGM qui pensent que seul un
bond technologique prodigieux et révolutionnaire peut juguler l'actuelle
crise alimentaire mondiale, brandissent les vertus messianiques de cette
technologie qui, à les croire, est incontournable; de l'autre
côté, les anti-OGM, farouches opposants à ces «
aliments artificiels » soulèvent les risques supposés ou
réels que les biotechnologies modernes font peser sur notre
humanité.
L'intérêt social du
sujet réside dans son actualité. En effet alors que des
populations dans certaines régions du monde notamment les pays en
développement souffrent d'un accès difficile à la
nourriture, le risque d'intoxication alimentaire n'a jamais paru aussi
élevé dans les pays développés.
Encéphalopathie Spongiforme bovine (ESB) communément
appelée maladie de la « vache folle », maladie de Creutzfeldt
Jakob, forme humaine de la « vache folle », fièvre aphteuse,
et aujourd'hui grippe aviaire. Toutes ces maladies liées à
l'alimentation nous invitent à nous intéresser de plus
près à la question du rapport OGM / sécurité
alimentaire. Ces inquiétudes sont d'autant plus justifiées
qu'elles dessinent en filigrane les droits des consommateurs. Les débats
autour de la dialectique OGM / sécurité alimentaire traduisent au
fond une différence de représentations entre les
différentes couches de la société. Par exemple, alors que
les consommateurs font une nette distinction entre les aliments donnés
aux animaux et ceux qui aboutissent dans leurs assiettes, les professionnels de
l'alimentation raisonnent en termes de nutriments. Les profanes quant à
eux effectuent des catégorisations des espèces animales en
distinguant les carnivores et les herbivores quand les zootechniciens et les
vétérinaires situent leur catégorisation au niveau des
protéines.
Le génie génétique est
considéré par beaucoup comme une transgression des lois de la
nature, comme une pratique de sorciers, qui induisent forcément des
conséquences néfastes. Face aux raisonnements parfois froids des
professionnels, des scientifiques et des politiques qui parlent de faibles
probabilités des risques, les réactions des consommateurs
généralement exprimées avec une profonde émotion
traduisent bien le très grand fossé. Ce que les consommateurs
considèrent comme normal c'est-à-dire conforme à leur
système de valeurs est nettement divergent des normes et des
règles existantes auxquelles se réfèrent les
professionnels et les responsables politiques. Dans ce débat sur les OGM
d'autres interrogations non moins légitimes suscitent
l'intérêt du public. Les risques sur l'environnement et la
biodiversité, l'hypothèque du droit à la
souveraineté alimentaire, et celui des communautés villageoises
insidieusement entretenue à travers la mainmise des multinationales sur
le commerce des semences et les droits de propriété
intellectuelle, les questions éthiques et religieuses soulevées
par la recombinaison d'ADN dans la fabrication in vitro des OGM et le
brevetage du vivant ...sont autant de préoccupations qui n'ont pas
encore trouvé de réponses satisfaisantes. Dans cet océan
de doutes, de craintes persistantes et d'incertitudes croissantes, la
confrontation des vues reste la seule arme de lutte des différents
acteurs sociaux.
D'un point de vue scientifique et
académique, la présente étude est une
modeste contribution à la matière des droits de l'homme
considérée comme la fondation de notre humanité. La
richesse du débat réside dans le fait que le sujet rapproche deux
notions qui sont a priori inconciliables. A y regarder de près les OGM
et les droits de l'homme se disputent un même terrain de
prédilection, celui de l'interdisciplinarité. Discipline des
sciences sociales matrice par excellence, les droits de l'homme
considérés comme des prérogatives attachées
à la personne humaine et intangibles par nature, jouissent de l'avantage
d'être à l'interface de toutes les disciplines.
Comme nous l'avons indiqué un peu plus haut, les enjeux
des OGM regardent la société en différents aspects: enjeux
scientifiques, alimentaires et sanitaires, enjeux écologiques ou
environnementaux, enjeux politiques et économiques, enjeux
éthiques, philosophiques et religieux. Le sujet fonde ainsi dans un
même moule deux notions qui atteignent l'homme dans sa double dimension,
corps et esprit.
Cette situation montre bien pourquoi le débat sur les
OGM a déchaîné autant de passions dans le cercle des
universitaires, des intellectuels, des spécialistes et autres
écrivains qui n'ont pas renoncé à leur droit naturel
d'écrire. L'abondante
littérature qui s'est construite autour de la
question sensible des OGM est en fait à la mesure de tout
l'intérêt qu'on accorde à cette technologie,
véritable phénomène de société. Dans une
vision simpliste des choses, les lectures auxquelles nous nous sommes
adonnées, montrent bien que deux principales tendances se neutralisent
dans le débat sur les OGM. C'est pour l'essentiel des documents
spécialisés élaborés par des experts d'organismes
intergouvernementaux tels que l'Organisation des Nations Unies pour
l'Alimentation et l'Agriculture ( FAO) et certaines fédérations
paysannes et Organisations non gouvernementales (ONG) telles que l'Institut
Africain de Développement Economique et Social (Inades-formation), lieu
de notre stage académique. Pour la circonstance l'ensemble des ouvrages
mis à notre disposition dans le cadre du stage reflète bien la
position de cette institution sur la question des OGM. Inades-formation qui
travaille à la promotion sociale et économique des populations
rurales en accordant une place toute particulière à leur
participation libre et responsable à la transformation de leur
société, soutient que l'utilisation des OGM à l'heure
actuelle ne peut qu'être préjudiciable à tout point de vue.
Dans deux ouvrages simples à la lecture et accessibles, BEDE
(Bibliothèque d'échange de documentation et
d'expériences), GRAIN (Genetic Resources Action International) et
Inades-formation, trois organismes de développement démontrent
à travers une approche très simple, comment les OGM constituent
une menace vivante pour nos sociétés. Le premier ouvrage
intitulé Les Organismes Génétiquement
Modifiés en Afrique : comprendre pour agir
traite de manière générale des différents
problèmes liés à l'utilisation des OGM en Afrique tandis
que le second ouvrage intitulé Les droits des
communautés africaines face aux droits de
propriété intellectuelle. met en évidence de
façon bien singulière les inconvénients des OGM pour le
monde paysan.
Parmi les documents trouvés sur place dans les locaux
de Inades-formation et qui brisent l'enthousiasme créé par
l'avènement des biotechnologies modernes, on citera de façon
toute particulière, Le
plaidoyer en faveur
d'un monde soutenable
sans modification
génétique, document conçu par le
Panel pour une science indépendante. Ce manuel s'évertue à
discréditer les OGM qu'il appréhende comme de la simple poudre
aux yeux. Il met en évidence de façon assez virulente les
problèmes et les risques liés aux plantes
génétiquement modifiées et met en avant les nombreux
atouts de l'agriculture durable pour la sécurité alimentaire.
Toujours dans le même esprit, on citera également
La piraterie des
ressources biologiques ou
biopiraterie en Afrique,
document assez pessimiste quant à la situation actuelle de l'Afrique
face au problème de brevet sur des organismes vivants modifiés
génétiquement et exportés hors de leur environnement vers
les laboratoires des sociétés multinationales où ils
perdent la majeure partie de leurs constituants.
On n'oubliera pas d'évoquer
Le commerce de
la faim, ouvrage d'ordre
général dans lequel l'auteur, John MADELEY dénonce
l'actuel système commercial international gouverné par
l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) qui subordonne un besoin fondamental
de l'homme - se nourrir - aux froides règles de la philosophie
libre-échangiste. Il démontre ainsi comment la
sécurité alimentaire a été sacrifiée et
continue de l'être sur l'autel du libre-échange. Les Organismes
Génétiquement Modifiés participeraient de ce paysage laid,
cruel et inique de
la mondialisation. Enfin, les
colonnes du quotidien français Le monde
diplomatique d'avril 2006 ont été largement
consacrées aux OGM. Plusieurs articles abordent cette question sous
l'angle des risques, des dangers, des périls et de la menace qui
pèsent sur notre planète relativement à
l'utilisation des biotechnologies modernes.
A l'opposé, certains documents vantent les
mérites des OGM : il s'agit en partie, de documents conçus par
l'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO).
Par exemple dans son rapport sur la situation mondiale de l'alimentation et de
l'agriculture 2003 / 2004 intitulé Les
biotechnologies agricoles,
une réponse aux
besoins des plus
démunis?, la FAO estime que le problème de
la sécurité alimentaire dans le monde ne trouvera de
réponse efficace qu'en étant circonscrit dans le «cercle
vertueux» de l'accroissement de la productivité, de
l'amélioration des niveaux de vie et de la croissance économique.
La révolution génétique serait un maillon essentiel de
cette chaîne sociale.
Dans un document scientifique intitulé
Mythes populaires
concernant la
sécurité sanitaire
des aliments et
de l'environnement en
relation avec les
plantes cultivées
GM, le Centre Mondial de Connaissances sur la
Biotechnologie des Plantes Cultivées présente les
conclusions d'une enquête sur les OGM. La Commission Royale
néo-zélandaise auteur des recherches entreprises marquait son
enthousiasme pour le génie génétique quand elle affirmait
que « les modifications génétiques
représentent une promesse exceptionnelle non seulement pour vaincre les
maladies, éliminer les pestes et contribuer aux économies du
savoir mais aussi pour augmenter la compétitivité internationale
du secteur primaire...».
La méthodologie utilisée dans ce document a
consisté à détruire par des preuves scientifiques tous les
arguments qui discréditent les biotechnologies modernes.
Devant cet enlisement sans issue qui présage des
lendemains incertains sur la question des OGM, laquelle oppose même les
scientifiques entre eux, Jean-Paul OURY dans La
querelle des OGM nous
invite à prendre du recul sur un sujet brûlant d'actualité.
Etude des controverses scientifiques, analyse du suivi médiatique,
réflexion philosophique et juridique, l'ouvrage en question permet
d'envisager le sujet autrement que sous le prisme déformant de
l'idéologisation croisée nourrie à la sève
d'intérêts divergents .
Si le débat sur les OGM fait couler autant d'encre et
de salive au point d'ameuter toutes les couches de la société,
c'est parce qu'il est avant tout soutenu par une problématique.
La problématique
soulevée par le phénomène des biotechnologies modernes
prend tout son sens au regard de la question cruciale de la
sécurité alimentaire en tant que droit fondamental de l'homme.
Bien évidemment, à partir des données en notre possession,
il s'agira pour nous d'examiner si les OGM peuvent constituer une
réponse efficace au problème de l'alimentation dans le monde.
Quelque complexe qu'elle soit, la problématique ainsi posée ne
nous oblige pas à y répondre de façon péremptoire,
au risque de se voir catégoriser de pro- ou d'anti-OGM. Mais il serait
peut-être encore plus difficile de nous dérober honnêtement
à cette tâche qui est aussi la nôtre, c'est-à-dire la
recherche inconditionnelle de la vérité par la confrontation des
thèses en présence. N'est-il pas vrai que, c'est la contradiction
qui enfante la vie et la fait éclore? La recherche de la
vérité passe inéluctablement par l'épreuve du feu;
voilà pourquoi il nous paraît tout indiqué de faire passer
les thèses en présence au crible de la critique intellectuelle.
C'est à ce prix seul que le débat sur les OGM sera fécond.
Toutefois on doit avouer que le débat sur les OGM
réduit à la seule question de l'alimentation ne nous livre qu'une
vision à la fois fragmentaire, parcellaire et partielle des nombreux
enjeux qui découlent de l'utilisation des biotechnologies modernes;
aussi faudrait-il tenir compte des rapports que les OGM entretiennent avec les
droits de l'homme tout court. La délicate question qui en résulte
est de savoir si les OGM respectent les autres droits de l'homme à
l'instar du droit à l'alimentation qui fera l'objet d'un examen
préalable, en principal.
Le sujet tel que pensé impose d'emprunter
l'approche
interdisciplinaire. Le droit, la sociologie,
l'histoire, la science, la philosophie, l'éthique et la morale, aucun de
ces domaines n'échappe à la matière des droits de l'homme.
Bien que n'étant pas de formation sociologue, l'esprit sociologique
devra nous habiter dans la conduite du débat pour éviter ce qu'il
est convenu de considérer comme les pièges tendus à la
recherche de la vérité: il s'agit du sens commun ordinaire et de
l'abstraction. En tant que phénomène social, les OGM
mériteraient d'être saisis par la méthode sociologique qui
consiste, d'un côté à éviter les apriorismes non
éprouvés et infondés, de l'autre côté
à verser dans un excès de théorie sans lien avec la
réalité. Pour ce faire une enquête à petite
échelle sera menée dans notre environnement immédiat pour
analyser les différentes perceptions que les Ivoiriens ont des OGM.
Les hypothèses émises
devraient pouvoir nous situer sur le degré de connaissance des Ivoiriens
sur les enjeux des biotechnologies modernes et leur approche du sujet.
Face à aux incertitudes liées à
l'utilisation des OGM, le droit apparaît comme un instrument de
contrôle des risques biotechnologiques. L'étude appelle donc
à l'examen des différents textes organisant la
biosécurité. Pour la circonstance il s'agira pour nous de faire
une lecture de quatre textes principaux : le Protocole de
Carthagène, les deux lois modèles africaines, et le cadre de
biosécurité en Côte d'Ivoire.
Afin de tenter de répondre aux différents
problèmes que pose le sujet, l'étude mettra en évidence
dans une première partie, la controverse qui se fait jour autour de la
dialectique OGM / sécurité alimentaire
(Première partie) pour ensuite dépasser
cette controverse, en abordant les autres enjeux des biotechnologies modernes
( Deuxième partie ). Mais bien avant, il
faudra définir les différents notions et concepts qui
intéressent l'étude. (Chapitre
préliminaire)
|