13 4.2 OCTOBRE 88 ET L'EMERGENCE D'UNE PRESSE PLURIELLE
Un vaste mouvement de protestation en ce début du mois
d'Octobre 1988 essentiellement animé par des adolescents embrase les
principales villes du pays. Les causes sont essentiellement sociales et
économiques. (De nombreux observateurs y ajouteront plus tard les
résultats des luttes de pouvoir au sein des groupes dirigeants). En
réaction, l'armée tire. On comptera plusieurs centaines de morts
(chiffres communiqués par les hôpitaux. L'évaluation
officielle fait état de moins de deux cents morts.)
C'est dans ce climat survolté que le 10 Octobre
" un collectif de 70
journalistes "1,
condamne " l'utilisation violente et meurtrière de la force
armée ". Le mouvement se prononce pour « une information
régie par un secteur public puissant et démocratique qui conserve
et développe la totalité des médias et titres existants
à la date d'adoption de la nouvelle Constitution aux côtés
d'une presse d'opinion pluraliste"2.
Des conflits naissent entre journalistes sur l'orientation
à donner au mouvement.
" Ce que nous voulions au départ comme une
organisation de type syndical a commencé sous la houlette de certains
journalistes à se transformer en une sorte de mouvement
politique. " 3
Le quotidien El-Moudjahid est secoué par une
grève d'écriture qui durera 27 jours en mars 1989. Cette
« première grève d'envergure de la presse
algérienne » 4 n'affectera pas sa
parution.
Le 23 février 1989, 7.290.760 algériens (73,43 %
des suffrages exprimés) approuvent par référendum la
troisième constitution algérienne qui garantit au citoyen
" les libertés d'expression, d'association et de
réunion " (article 39) et reconnaît le droit de
" créer des associations à caractère politique "
(article 40.)
1- Un "collectif de journalistes" et non un officiel ou formel
"MJA" comme il sera ultérieurement écrit. Le "Mouvement des
Journalistes Algériens" structure organisée n'apparaît en
tant que telle que l'année suivante.
2- Algérie-Actualité du 30 mars au 5
avril 1989
3-un journaliste à
Algérie-Actualité du 14 au 20 décembre1989.
4-Sandrine TOLOTTI in Jeune-Afrique du 03 mai 1989.
14 Des journalistes en conflit avec d'autres membres de ce qui
est devenu le Mouvement des Journalistes Algériens s'organisent en
mai 1989 en Comités de Coordination Interentreprises. La rupture est
consommée au lendemain de la conférence nationale du MJA qui
se tient les 13 et 14 octobre 1989 par un communiqué du CCIE. " Le
Comité relève que cette conférence n'a pas répondu
à l'attente des journalistes. "
" La défaite patente du MJA (...) dans cette bataille
du démantèlement de la presse écrite du secteur
d'état, préfigure de toute évidence sa défaite dans
la bataille de la privatisation pure et simple qui se
prépare"1.
" On était loin de poser la
question d'une presse privée (...) car nous avions alors la conviction
qu'elle ne servirait que des intérêts
particuliers."2
Dans son édition du mercredi 14 février 1990,
El-Moudjahid titre en Une :
" Au conseil des ministres : droit syndical,
défense du dinar et aide de l'Etat aux associations politiques."
En page trois, quinze lignes d'un texte de deux cents lignes
signé APS (agence officielle Algérie Presse Service)
sont réservées à la libéralisation de la presse.
(lire en annexe.)
" Afin de permettre l'émergence d'une presse
d'opinion de qualité, le conseil des ministres a décidé
d'autoriser les journalistes en fonction actuellement dans les entreprises de
presse appartenant au secteur public d'exercer dans les organes qui leur
paraissent les plus conformes à leurs opinions et à leur
vocation. Leurs rémunérations et l'évolution de leur
carrière demeureront garanties par le budget de l'Etat."
2-G.MOUFFOK (Omar BELHOUCHET - plus tard directeur de
El-Watan- cité par). Etre journaliste en
Algérie. Paris : Reporters sans frontières, 1996, p 39.
- Quelques semaines plus tard, le jour même de l'adoption du Code de
l'information par l'Assemblée Populaire
Nationale1, une circulaire du chef du gouvernement
« sur le régime d'exercice des journalistes du secteur
public » est signée (circulaire numéro 04/90 du 19 mars
1990) qui stipule un certain nombre de mesures :
- " I le conseil des ministres I, en sa séance du 13
février 1990 a arrêté les mesures suivantes pour consolider
et renforcer de façon soutenue, cette dynamique d'élargissement
du monde médiatique et des moyens d'information en assurant aux
journalistes des régimes d'exercice adaptés (...). Il s'agit
(...) de permettre tout à la fois, aux journalistes qui le souhaitent,
la mobilité dans la préservation à termes de leurs
intérêts de carrière et aux organes d'accueil, la garantie
indispensable d'un professionnalisme de qualité (...) Il est
désormais ouvert aux journalistes du secteur public les deux options
ci-après :
- -La possibilité d'oeuvrer, au sein de la presse de parti ou d'option
de leur choix
- -La possibilité de constituer des collectifs professionnels pour la
création et l'édition d'un titre indépendant, de revues ou
de périodiques (...) "
Le texte de loi (loi 90-07 du 3 avril 1990 relative à
l'information. Journal officiel n° 14 du 14 avril 1990) énonce en
son article 4 :
" L'exercice du droit à l'information est
assuré notamment par:
* les titres et organes d'information du secteur
public,
* les titres et organes appartenant ou créés par
les
associations à caractère
politique,
* les titres et organes créés par les
personnes
physiques ou morales de droit algérien.
Il s'exerce par tout support médiatique écrit,
radiophonique, sonore ou télévisuel."
- 1-Durant le second semestre de 1989 l'Assemblée Nationale
(élue avant octobre 1988) adopte un code de l'information. Soumis par le
président de la République en seconde lecture quelques semaines
plus tard, ce même code est rejeté. Elle y revient donc en ce mois
de mars 1990. (A.MAHMOUDI note in Le Nouvel-Hebdo du 5/09/1990 : "En
1989, les journalistes virent défiler entre leurs mains un peu plus
(sic) de six projets de codes de l'information".
- NB : A la demande de l'administration -en 1989- des journalistes
contribuèrent à la préparation de la nouvelle loi sur
l'information, qui sera (pour des motifs variables) remise en cause par une
partie non négligeable de la profession.
- Dans les deux cas des garanties salariales sont assurées jusqu'au 31
- décembre 1992 ainsi que des facilités diverses.
- Le 10 avril 1990 une dépêche de l'agence APS,
indique :
- " on nous signale (...) plusieurs déclarations d'intention
pour la création de trois quotidiens, trois hebdomadaires, un journal
satirique, quatre périodiques spécialisés (...) ainsi
qu'une revue féminine. "
En fait plusieurs publications, périodiques et
brochures non- gouvernementaux sont en circulation publique avant cette
dépêche de l'agence de presse algérienne (voir annexe
9.)
Trois périodiques d'association :
- El-Irchad (El-Irchad-Wel-Islah - décembre 1989)
- At-Tabyin' (El-Djahidhiya - février 1990)
- Le Couffin d'Alger (association de consommateurs -
janvier1990)1.
- Onze organes de partis politiques :
- La lettre du RCD (RCD - juillet 1989)
- El-Mounqid (FIS - octobre 1989)
- La chronique des deux rives (RCD - octobre
1989)1
- L'Avenir (RCD - novembre 1989. Remplace La lettre du RCD)
- FFS-Info (FFS - novembre 1989)
- Assalu (RCD - décembre 1989)
- Tadjamou (RCD - décembre 1989)
- Etaqadum (PSD - décembre 1989)
- Saout-Echaab (PAGS - février 1990 /
clandestin2 depuis 1966). Un
en français, un autre en arabe.
- Libre-Algérie (FFS - mars 1990 /
clandestin2 depuis août1986)
- 1- Ce titre est indiqué par AGGOUN (Y). El-Moudjahid ; monographie
du quotidien national de langue française de sa création à
nos jours (1965-1990). Th. Sciences Politiques : Paris 2 : 1991, p868.
- 2- Lire en section 4.3
- Ainsi que :
- Alger-Républicain (proche du PAGS - octobre 1989 /
plusieurs fois
interdit depuis sa création en 1938. Un en
français, le second en arabe.
- Erriwaya (revue littéraire-février 1990)
- Carrefour-31 (périodique culturel, Oran - avril
1990) 1
- El-Hakim2 (mars 1990).
Le reste de l'année (avril à décembre
1990) 43 journaux de droit privé paraîtront dont neuf
appartiennent à des partis politiques et quatre à des
associations.
Les journaux créés entre janvier 1989 et
décembre 1990 (y compris ceux du secteur public) s'élèvent
à 84. (figure 11)
Leur statut :
Journaux de partis : 20 ; journaux d'associations :
sept ; autres journaux de droit privé : 35 ; journaux du
secteur public : 20 (deux sans indication de statut). (figure 12).
Périodicité : quatre quotidiens, 35
hebdomadaires, 13 mensuels, 12 bimensuels, huit bimestriels, 10
irréguliers, deux dont la périodicité n'est pas
indiquée. (figure 13).
Langue : 50 en français, 31 en arabe, deux en
tamaziT, un seul est bilingues (français, arabe).
Les 35 journaux créés en 1989 et 1990 de droit
privé (P.R) mais non affiliés à des partis ou à des
associations se répartissent ainsi : Informations
générales (IG) 12, Informations locales (IL) sept, Informations
culturelles (CL) deux, informations spécialisées sept,
divertissement quatre, divers : trois.
1- Nous avons tenté cette brochure à destination
d'un public de jeunes. Elle disparu aux termes de quelques mois du fait de
l'article 28 de la nouvelle loi.
(lire en annexe 12B.)
2- Ce titre est indiqué par AGGOUN (Y).
El-Moudjahid...Op.cit.
Le nombre de titres (toutes périodicités et
titres confondus) s'élèvera à 160 en 1991 contre 49 en
1988, avec un tirage global de 1.850.000 en 1991 pour 500.000 en
1988.1
De nombreux autres périodiques ont paru, d'autres ont
disparu.
En 1996 très peu de ces journaux nés avant 1991
existent encore. Ils ont disparu soit pour des motifs objectifs commerciaux ou
de gestion, (difficultés matérielles, financières ou
carences) soit pour causes de tracasseries administratives et/ou mauvaises
distributions.2
Plusieurs de ces journaux en vente aujourd'hui en
Algérie sont disponibles en France.
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