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11 INTRODUCTION
L'évolution de la presse en Algérie est
fortement liée à l'évolution du pouvoir. Deux grandes
périodes sont à distinguer. La première, de 1962 à
1988. La seconde s'ouvre par les manifestations d'Octobre 1988.
La première période se caractérise par
une presse très fortement contrôlée. Certains titres
critiques sont tolérés aux premières années de
l'indépendance. Face à cette presse, des journaux clandestins
circulent, certains jusqu' en 1988.
Au lendemain d'"Octobre", des dizaines de titres paraissent.
Ils sont publics ou privés. Nous traiterons dans ce chapitre de
l'évolution de cette presse mais également de sa diffusion
actuelle en Ile -de- France. Nous réserverons une section aux lignes
éditoriales défendues par cette presse algérienne.
12 4.1 UNE PRESSE UNIQUE
Nous distinguons dans la première période quatre
phases.
-La première de ces phases voit l'interdiction de la
presse coloniale dès juillet 1962. Neuf journaux sont interdits.
En effet le premier texte de l'Algérie
indépendante concernant l'information date du 10 juillet 1962. C'est
un arrêté (...) du président de l'exécutif
provisoire interdisant l'impression, la mise en vente, la diffusion de certains
journaux.
Cette première phase est aussi marquée par
l'interdiction de l'organe central du Parti Communiste Algérien,
l'hebdomadaire El-Hourriya (novembre 1962). En 1963, les journaux
coloniaux La Dépêche d'Alger, La Dépêche d'Oran,
La Dépêche de Constantine sont interdits.
-La deuxième phase est celle de la création de
plusieurs journaux dont Révolution Africaine, (organe central
du Front de Libération Nationale), Echaab / Le Peuple,
El-Djoumhouria, En-Nasr, Révolution et Travail (1963)
et Alger-Le Soir (1964). Mais dès juillet 1962
Alger-Républicain reparaît. (Il fut interdit avant
l'indépendance à deux reprises, pour ses prises de positions.)
-La troisième phase se caractérise par plusieurs
tentatives plus ou moins explicites d'intégration
d'Alger-Républicain dans le F.L.N.
" C'est au cours des débats du Congrès du F.L.N
en avril 1964, que fut soulevée officiellement la question du statut de
ce quotidien qui restait
insolite, le seul à demeurer indépendant
après la nationalisation des autres quotidiens (...). C'est
Alger-Républicain qui annoncera lui-même et le premier,
la nouvelle. 20 avril 1964 : un grand titre en rouge sur huit colonnes en page
une : Alger-Republicain va devenir organe du F.L.N, et un long
éditorial intitulé un honneur, une
responsabilité" écrit F.
CHEHAT1
Alger-Républicain explique par cet
éditorial la démarche de l'intégration du journal au
F.L.N.
Ce rapprochement entre Alger-Républicain et le
F.L.N est précipité aux premières heures du coup
d'état du 19 juin 1965. Alger-Republicain disparaît une
nouvelle fois.
(Alger-Republicain reparaît en octobre 1989
pour disparaître une quatrième fois en avril 1994 -pour causes de
difficultés financières-).
Le 21 juin 1965 la naissance d'El-Moudjahid se réalise
par le sacrifice d'autres titres dont Alger-Républicain. Une
nouvelle phase s'ouvre.
Lorsque surviennent les événements d'Octobre
1988, la presse en Algérie se caractérise par son lien organique
au Pouvoir. En 1982, la première loi sur l'information stipule en effet
en son article premier :2
Le secteur de l'information est un des secteurs de
souveraineté nationale. Sous la direction du Parti du Front de
Libération Nationale et dans le cadre des options socialistes
définies par la Charte Nationale, l'information est la volonté de
la révolution. L'information traduisant les aspirations des masses
populaires ; oeuvre à la mobilisation et à l'organisation de
toutes les forces pour la concrétisation des objectifs
nationaux.
Depuis 1962, épisodiquement les journalistes sont
confrontés dans l'exercice de leur fonction à des
difficultés plus ou moins graves émanant tantôt de leur
direction tantôt de responsables extérieurs administratifs ou
politiques : ils sont interdits d'écriture, censurés,
emprisonnés3.
1- F. CHEHAT. Monographie de presse. Le quotidien
Alger-Républicain de juillet 1962 au 19 juin 1965. Mémoire
de D.E.A en sciences de l'information. Université Paris II. 1978.
2-loi n° 82-01 du 6 février 1982 portant code de
l'information ; journal officiel n° 6 du 9 février 1982 page
157
3-Animateur d'un programme quotidien nous avons nous
même fait l'objet de plusieurs interdits. Puis suspendu d'émission
en mars 1971, par les responsables de la station régionale de la radio
algérienne (Oran), au motif officiel que "la station doit-être
arabisée".
En 1976 " Lorsque le quotidien de l'ouest La
République commença à déranger et que
son indépendance et sa liberté de ton finirent par
déplaire, il fut arabisé -c'était le prétexte-
afin d'étouffer une voix qui parlait fort et qui portait
loin ". 1
La fronde du collectif rédactionnel au
départ de Z. BENAMADI en novembre 1981, exprimée faute de mieux,
par une simple protestation verbale adressée au ministre de tutelle
(...) n'a pu donner comme seul résultat que le choix par les
journalistes, en leur sein, du nouveau rédacteur en chef, A.HALLI.
Celui-ci fut limogé six mois plus tard, par le nouveau directeur de la
publication, K.BELKACEM, pour avoir commis un article sur des manifestations de
lycéens et un autre (jugé ouvriériste) sur la fête
du premier mai ".2
Si Z. BENAMADI a été écarté, "
c'est surtout parce qu'il a refusé de s'inféoder à l'une
ou l'autre des personnalités du
régime "3
" Le journaliste
d'Algérie-Actualité, Abdelkader HAMOUCHE, est
détenu pendant cinq jours en novembre 1987 par les services de
sécurité, dans un endroit inconnu, où il a
été emmené avec cagoule (...). Abdelkrim DJAAD, alors
rédacteur en chef du même journal, a de son côté
été détenu pendant une journée. On lui reprochait
d'avoir fait publier un article écrit par un autre journaliste, dans
lequel on croyait trouver une allusion au chef de l'Etat " écrit
Abed CHAREF. 5
D'autres, qui mènent une lutte radicale contre le
régime politique dans sa globalité sont assassinés. Ainsi
le 7 avril 1987 Ali MECILI fondateur huit mois plus tôt du journal
Libre-Algérie est assassiné devant son domicile
à Paris.
" La goutte qui fera déborder le
vase d'amertume5 émane en
décembre 1987 d'un document explicatif des nouvelles modalités de
promotion
1-Mustapha CHELFI : Algérie-Actualités
; 16 au 22 mars 1989
2-B.MOSTEFAOUI. Unanimisme et crédibilité de
l'information en Algérie . In l'Annuaire de l'Afrique du Nord.
Paris : CNRS, 1984, p 291.
3-B. BRAHIMI. Le droit à l'information principes et
réalités. in « l'Algérie et la
modernité » sous la direction de Ali El Kenz. Ed. Série
des livres du CODESRIA ; Dakar. 1989. Page 261
4-A.CHAREF. Octobre. Alger : Laphomic, 1990, Page 17.
5-Larbi KHALFOUN :
Algérie-Actualité. Ibid.
décidées par le ministre de l'information. Il
provoque un mouvement de réprobation au sein de la profession des
journalistes. De réunions en assemblées générales
les groupes prennent forme.
" En l'absence d'une véritable organisation ;
les problèmes professionnels et sociaux des journalistes se sont
accumulés jusqu'à ce qu'en février 1988, un groupe de
journalistes décide qu'il n'était plus possible de continuer
ainsi ; qu'il fallait reconstruire l'organisation des
journalistes. "1.
Dans une déclaration datée du 9 mai 1988
" au terme d'un débat large et franc organisé au
siège de l'Union des Journalistes, Ecrivains et Interprètes (
UJEI ) , le collectif inter-organe des journalistes relève (...) un
recul évident du professionnalisme (...) cette dévalorisation de
notre métier constitue une grave atteinte à la
crédibilité de l'information (...) une pratique
généralisée de la censure et de l'autocensure (...) les
journalistes souhaitent vivement que leurs Unions professionnelles et sections
syndicales soient à la hauteur des exigences."2
Cette mobilisation allait aboutir quelques mois plus tard
à des " revalorisations générales des postes de
travail ; (attribution) de primes d'indemnités avec effet
rétroactif (...) augmentation de près de 40 % du salaire moyen
des rédacteurs et de près de 20 % pour celui des
assimilés. Le problème du logement sera également pris en
compte. "3
Dans la déclaration du 28 septembre 1988 des
journalistes algériens s'interrogent : " Il s'agit de mettre fin
à l'arbitraire (...) à la censure, à la complaisance (...)
aux interdits les plus divers à tous ces phénomènes qui
ont favorisé l'émergence d'une presse maussade et
1-Un journaliste. Algérie-Actualité.
Ibid.
2-B.BRAHIMI. Le pouvoir, la presse et les intellectuels en
Algérie. Paris : L'Harmattan, 1990, p 293.
1-A.MAHMOUDI. la face cachée du mensonge.
Alger : E.S.C, 1991, p 82.
Ces acquis qui sont obtenus ajoute-t-il "grâce à
cette collaboration effective (contre "MJA" et "UJEI" dépassent en
ampleur tout ce qu'aurait pu imaginer un journaliste algérien une
année auparavant seulement". Il se félicite de cette
collaboration entre le "M.J.A" et la bourgeoisie bureaucratique (par U.J.E.I
interposé) "face au danger mortel d'une prise en charge (du "M.J.A") par
la bourgeoisie libérale qui a déjà annoncé la
couleur en neutralisant tous les services de sécurité".
A.MAHMOUDI, est lui même journaliste de très
longue date, à El-Moudjahid, puis à El-Djeich (revue de
l'armée), à Algérie-Actualité. Il crée
L'Hebdo-Libéré qui disparaît en 1995.
bureaucratisée à l'extrême (...). Qui a
intérêt à cette presse, si ce n'est les milieux
néocolonialistes, antinationaux, à la recherche d'un effet de
contraste pour imposer l'implantation de médias élaborés
à l'étranger (comme Dunes), porteurs de valeurs
étrangères à notre peuple et de projets de
société contraires à des choix politiques fondamentaux
consignés dans la Charte Nationale et la Constitution et qui menacent la
souveraineté chèrement acquise "1 faisant
écho au discours du président de la République qui dix
jours plus tôt déclarait : " La presse nationale doit
s'écarter du style démagogique, car nous sommes pour le
réalisme. La situation en Algérie exigeant de la rigueur et de
l'austérité, que cesse alors toute hypocrisie qui fait que
certains ne pensent qu'à soigner leur popularité aux
dépens de l'ordre. Nous avons besoin d'hommes ayant une pleine
conscience de leurs responsabilités, loin de toute démagogie, et
non pas d'applaudisseurs. (...) Je tiens à ce que soit
entreprise dorénavant la mobilisation contre les
phénomènes négatifs non pas d'une manière
circonstancielle, mais continuellement afin que soient éradiquées
ces insuffisances."2
1-B.BRAHIMI. Ibid. p 295.
2-Actualité de l'émigration n° 145
du 21 septembre 1988.
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