2- Analyses théorique et empirique entre
intermédiation financière et croissance économique
La croissance économique est l'un des objectifs que
toute nation développée ou en développement inscrit dans
sa politique nationale de développement. Les économies
développées témoignent de l'importance du secteur
financier dans la croissance. Le développement financier stimule la
croissance économique par le biais de l'investissement qui une fois
réalisé contribue à l'augmentation de la production
nationale. Cette étude se propose avant d'analyser empiriquement le cas
du Togo, de faire une revue de littérature sur cette thématique
qui passionne.
2-1 Développement financier, facteur favorable
à la croissance économique
Le lien entre développement financier et croissance
économique a été reconnu dans la littérature
économique depuis plus de trois décennies : Bagehot (1873),
Schumpeter (1912), Goldsmith (1969) sont parmi les précurseurs de cette
lignée. Rapidement la structure financière devint ainsi un des
fondamentaux du développement économique sous l'impulsion
d'auteurs comme Gurley et Shaw (1967), McKinnon (1973), et récemment
King et Levine (1993).
Dans toutes ces études, les conclusions confirment
qu'un système financier efficient active la croissance économique
tout en l'orientant. Cependant la corrélation est largement admise, mais
le sens de causalité reste contesté opposant, d'une part le
développement financier exogène (conduit par l'offre de services
financiers) et, d'autre part, le développement financier endogène
(induit par la demande des services financiers). La notion de système
financier inclut généralement les banques et les marchés
financiers. Levine (1996) recense cinq arguments qui peuvent fonder
théoriquement l'existence d'une liaison positive et forte entre
développement financier et croissance :
- Le système financier faciliterait la protection contre
le risque et le partage de celui-ci ; - Il permettrait une allocation optimale
des ressources ;
- Il permettrait un meilleur contrôle des dirigeants et de
l'entreprise par les actionnaires ; - Il faciliterait la mobilisation de
l'épargne domestique ;
- Enfin, la présence d'un système financier
suffisamment développé faciliterait l'échange de biens et
services.
Goldsmith (1969) est l'un des pionniers dans
l'étude des liens entre croissance et développement financier.
Son étude portée sur un échantillon de 35 pays sur la
période 1860- 1963 a abouti au fait qu'il existe une liaison entre le
secteur financier et le secteur réel. Son étude cependant
présente des limites : d'abord il ne tient pas compte des variables de
contrôle pouvant influencer la croissance économique et ensuite il
n'identifie pas le sens de causalité.
King et Levine (1993), en voulant remédier
à ces faiblesses, ont porté leur analyse sur un
échantillon de 80 pays développés sur une période
allant de 1960 à 1989 en examinant l'ensemble des facteurs financiers
susceptibles d'influencer la croissance à long terme.
Dans leur conclusion, ils notent une contribution positive et
statistiquement significative des variables financières sur le secteur
réel. A cet effet, ils ont considéré comme variables
financières trois indicateurs qui sont : les engagements liquides du
secteur financier rapportés au PIB et représentés par le
ratio (M2/PIB) ; les dépôts auprès des banques commerciales
rapportés à ces même dépôts majorés des
dépôts des banques commerciales auprès de la banque
centrale et enfin le montant des crédits accordés aux entreprises
privées toujours rapportés au PIB.
Levine et Zervos (1998) ont essayé dans leur
étude d'évaluer l'incidence de la bourse et le
développement du secteur bancaire sur la croissance économique.
Ils ont utilisé à cet effet un échantillon de 49 pays sur
la période 1976-1993 et ont considéré comme variables
financières : le ratio de rotation des actifs, le ratio de
capitalisation boursière, la volatilité du marché et les
indicateurs du développement bancaire. Ils considèrent comme
variables endogènes: le taux de croissance du PIB réel, du
capital, de la productivité et de l'épargne comme l'ont
considéré King et Levine (1993). Leur résultat met en
lumière l'impact des variables financières sur la croissance
économique. Selon la conclusion de ces deux auteurs, il existe deux
mécanismes à travers lesquels l'impact du développement
financier se
manifeste: Le premier concerne l'augmentation de
l'efficacité du capital, grâce à la meilleure allocation
des ressources ; le second concerne la mobilisation de l'épargne qui
accroît le volume d'investissement. Ils concluent enfin dans leur
étude que les économies ayant un niveau élevé de
développement financier présentaient des taux de croissance assez
importants.
Anne Joseph, Marc Raffinot et Baptiste Venet (1998)
dans une étude intitulée «l'approfondissement financier et
croissance : analyses empiriques en Afrique subsaharienne », pour la
période 1970-1995 ont conclu que l'approfondissement financier joue un
rôle dans la croissance réelle d'une grande majorité des
pays de l'U.E.M.O.A, ainsi que dans le cas du Cameroun entre 1963 et 1995. Ils
ont utilisé dans leur étude d'une part la croissance
économique mesurée par le PIB réel par tête comme
régresseur et d'autre part les variables financières telles que :
le ratio M2/PIB étant donné le faible nombre d'institutions
financières non bancaires dans les pays d'Afrique sub-saharienne ; le
ratio quasi-monnaie/M2, variable destinée à rendre compte des
progrès de l'intermédiation financière dans la mesure
où c'est au travers de la croissance des dépôts à
terme et d'épargne que les intermédiaires financiers sont
supposés pouvoir pleinement jouer leur rôle de promoteur de
l'accumulation de l'épargne domestique et d'orientation des ressources
vers l'allocation optimale des ressources ; l'encours nominal de crédits
au secteur privé et l'encours réel de crédit par habitant.
Ils concluent à partir de leur résultat qu'il existe dans six cas
sur sept (non compris la Guinée Bissau dû à son
intégration récente à l'union), un lien de
causalité au sens de Granger entre approfondissement financier
(mesuré par M2/PIB) et croissance de la sphère réelle.
Seul le Niger n'exhibait aucun lien de causalité significatif (ce
résultat n'implique pas forcément l'absence de lien
économique entre les deux secteurs dans ce pays). Pour ce qui concerne
le Togo dans cette étude, les deux auteurs ont conclu qu'il existait un
lien unidirectionnel allant du secteur réel au financier.
Ouédraogo Idrissa (1985) conclut à
partir de ses résultats que de façon générale,
l'hypothèse de complémentarité de McKinnon qui stipule que
« la détention d'encaisses monétaires est un
préalable à l'investissement et donc qu'il existe une
complémentarité entre la demande d'encaisses monétaires
réelle et l'investissement » n'est pas vérifiée dans
son analyse au sein de l'UMOA. L'auteur affirme également que ses
résultats sont contradictoires et le justifie par la non prise en compte
des réalités spécifiques particulières à
chaque pays en développement qui composent son échantillon. Il
préconise qu'il faut abandonner les modèles de
développement propices aux pays à économie
développée, c'est-à-dire de rompre avec le «
capitalo-centrisme ».
Condé Laciné (1999) dans une
étude sur l'intermédiation financière et croissance
économique dans l'UEMOA conclut qu'il existe une liaison causale
significative entre les sphères réelles et financières des
pays de son échantillon. L'auteur affirme qu'en Côte
d'Ivoire et au Sénégal, le sens de causalité
va des finances au réel mais par contre au Togo, on observe une liaison
dans le sens inverse.
Boujelbène Younes et Chtioui Slim (2006) ont
réalisé une étude sur la libéralisation et l'impact
du développement financier sur la croissance économique en
Tunisie. S'inspirant des travaux de Levine et Renelt (1992), King et Levine
(1993), et Levine (1997), les deux auteurs ont confirmé l'étroite
liaison positive entre les variables financières et réelles.
Leurs résultats vérifient la relation positive et statistiquement
significative entre les indicateurs de développement financier
utilisés. Ils déduisent à cet effet que le système
financier peut donc contribuer à la performance de l'économie en
Tunisie à partir des équations à correction d'erreurs
analysées.
Mally Komla (1998) dans une étude sur
l'épargne, l'investissement et croissance économique au Togo,
révèle qu'à long terme la ressource extérieure a un
impact positif et significatif sur l'investissement alors que la ressource
domestique a une influence positive mais non significative sur l'investissement
; de plus son étude a révélé l'existence d'une
relation négativement significative entre la production réelle et
l'investissement public, alors que l'investissement privé influence
négativement et presque significativement la production réelle
à long terme.
Parmi les modèles de croissance permettant de formuler
les interactions entre développement financier et la croissance, on
trouve celui exogène de Solow (1956) et le modèle de croissance
endogène de Pagano (1993).
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