Section 2 Théorie sociologique sur le rendement
scolaire
Il existe deux courants sociologiques essentiels, l'un
attribuant le succès à l'origine de l'élève et
l'autre le faisant dépendre d'un ensemble de stratégies actives,
se disputent le terrain.
Paragraphe 1 Théories déterministes
Dans cette catégorie peuvent être classées la
théorie sociolinguistique de Bernstein et la théorie culturaliste
de Bourdieu et Passeron.
A. Théorie sociolinguistique de Bernstein
Selon Cherkaoui, « Bernstein prend au sérieux
la thèse qu'il existe une correspondance entre modes d'expression
cognitive et la structure de classes, qui retentit sur la réussite et
plus généralement sur les conduites scolaires et sociales de
l'individu. Bernstein part de la conclusion selon laquelle le niveau
linguistique est indépendant du potentiel intellectuel mesuré par
les tests chez les enfants issus de la classe ouvrière. Selon Bernstein,
la différence résulte entièrement de l'existence de deux
langages, chacun étant typique d'une classe sociale : l'un formel,
utilisé par les individus appartenant à la classe
bourgeoise, est riche en qualifications personnelles et individuelles; sa forme
implique des ensembles d'opérations logiques, avancés, langage
pour qui l'intensité, le ton et d'autres moyens d'expression non
verbaux, bien qu'importants, ne prennent qu'une place secondaire; l'autre
public, propre aux individus appartenant à la classe ouvrière
où l'accent est mis sur les termes émotifs, emploie un symbolisme
concret, descriptif, tangible et visuel dont la nature tend à limiter
l'expression verbale du sentiment dans la mesure où l'expression de
celui-ci est opéré par des moyens non verbaux: gestes,
expressions corporelles, changement et variations dans le ton de la voix, en un
mot, par ce que Bernstein appelle « le symbolisme
expressif». Dans le premier, le verbe
médiatise les intentions, exerce par la-même l'enfant aux modes de
perception relationnel et facilite la considération des chaines causales
entre le présent et l'avenir. Dans le second, l'accent mis sur le
présent par les moyens de communication inhibe toute maitrise de
médiation. [J Les phrases du langage public ne permettent pas
l'expression et la communication d'idées. Elle contraste en cela avec
les phrases du langage formel dont l'élaboration grammaticale complexe
due à l'utilisation de subordonnés, de conjonctions et de
prépositions permet de traduire les relations logiques. Du point de vue
des normes scolaires, il y a supériorité du langage public sur le
langage formel »10 . (p61)
La conclusion est clairement tirée: « Du point de
vue des normes scolaires, il y a supériorité du langage public
sur le langage formel». Qu'en est-il de la théorie
culturaliste?
B. Théorie culturaliste de Bourdieu/Passeron
Dans La reproduction, pour Bourdieu et Passeron,
« toute action pédagogique est objectivement une violence
symbolique en tant qu'imposition, par un pouvoir arbitraire, d'un arbitraire
culturel» (p19). C'est dans leur oeuvre Les héritiers
qu'ils vont donner les facteurs qui expliquent le taux d'échec
élevé des élèves issus des classes populaires.
S'appuyant sur les résultats chiffrés des enquêtes d'Alain
Girard sur les rendements scolaires basés sur l'origine familiale,
Bourdieu et Passeron11 constatent que « le retard et le
piétinement des classes les plus défavorisées peut
être saisis à tous les niveaux du cursus ». Ils
confirment leur thèse d'origine sociale en affirmant que « de
tous les facteurs de différenciation, l'origine sociale est sans doute
celui dont l'influence s'exerce le plus fortement sur le milieu
étudiant, plus fortement en tout cas que le sexe et l'âge et
surtout plus tel ou tel facteur clairement aperçu, l'affiliation
religieuse par exemple» (p22). Ces auteurs voient dans « le
fait que la part des étudiants qui disent avoir suivi le conseil de leur
famille pour le choix d'une section [J croit en même temps que
s'élève l'origine familiale, cependant que le rôle
du
10 Mohamed CHERKAOUI, Sociologie de l'Education,
Edition PUF, 1986
11 Pierre BOURDIEU et Jean-Claude PASSERON, Les
Héritiers - Les Etudiants et la culture, Les Editions de Minuit, 1964,
1966, 1985
professeur décroit parallèlement»
est un « indice de l'influence du milieu familial ». La
suprématie des élèves bourgeois se manifestent aussi par
le fait qu'ils « sont assurés de garder une place, même
fictive, au moins dans une discipline refuge, ils peuvent sans risque
réel, manifester un détachement qui suppose
précisément une plus grande sécurité »,
ce que ne peuvent oser les élèves issus des classes populaires.
« L'homme cultivé est bien né qui sait sans avoir peine
pour acquérir son savoir et qui, assuré de son présent et
de son avenir, peut donner l'élégance du détachement et
prendre les risques de la virtuosité ». Ceux-ci
héritent de leur milieu d'origine « des savoirs et un
savoir-faire et un « bon gout » dont la rentabilité scolaire,
pour être indirecte, n'en est pas moins certaine ». Pour ces
auteurs, la culture scolaire est même inférieure à la
culture générale que détiennent les élèves
bourgeois, une « culture [générale]
héritée qui ne porte pas la marque routinière de l'effort
et a, de ce fait, toutes les apparences de la facilité et de la
grâce ». Aussi, « pour les fils de paysans,
d'ouvriers, d'employés ou de petits commerçants, l'acquisition de
la culture scolaire est acculturation ». Les auteurs concluent que
« c'est sous le double rapport de la facilité à
assimiler la culture et de la propension à l'acquérir que les
étudiants originaires des classes paysannes et ouvrières sont
désavantagés ».
En dépit des références sous-adjacentes
faites aux causes économiques de l'inégalité devant
l'école, ils écartent toute idée d'imputation de manque de
ressources par cette phrase : « Croire que l'on donne à tous
les chances égales d'accéder à l'enseignement le plus
élevé et à la culture la plus haute lorsque l'on assure
les mêmes moyens à tous ceux qui ont les « dons »
indispensables, c'est rester à mi-chemin dans l'analyse des obstacles et
ignorer que les aptitudes mesurées au critère scolaire tiennent,
plus qu' à des « dons » naturelles (qui restent
hypothétiques tant qu'on peut imputer à d'autres causes les
inégalités scolaires), à la plus ou moins grande
affinité entre les habitudes culturelles d'une classe et les exigences
du système d'enseignement ou les critères qui y
définissent la réussite.»
Pour toute solution aux problèmes de
l'inégalité devant l'école, les auteurs considèrent
qu'« une pédagogie réellement rationnelle,
c'est-à-dire fondée sur une sociologie des
inégalités culturelles contribuerait sans doute à
réduire les inégalités devant l'Ecole et la culture, mais
elle ne pourrait entrer réellement dans les faits que si se
trouvaient
données toutes les conditions d'une
démocratisation réelle du recrutement des maîtres et des
élèves, à commencer par l'instauration d'une
pédagogie rationnelle ».
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