CHAPITRE 4 Discussion
Après avoir démontré que le rendement
scolaire du Collège Charles Lwanga de Sarh est fondé en partie
sur la disponibilité des ressources économiques et en partie sur
la vision systémique de la pédagogie ignatienne, nous allons
replacer les théories sociologiques qui nous intéressent dans le
contexte de l'Afrique noire avant de nous livrer à une discussion
approfondie sur les enjeux du rendement scolaire.
Section 1 Contextualisation des théories
Paragraphe 1 Ecole et propriété de la culture
savante
Bourdieu considérait l'assimilation de la «
culture savante» par les élèves issus des milieux
populaires comme « acculturation ». Il le fait ainsi car,
pour lui, cette culture appartient à la bourgeoisie et qu'elle est
corrélativement étrangère aux milieux bourgeois. Qu'en
est-il des étudiants africains?
Dans L'aventure ambiguë, le roman de Cheik
Hamidou Khane26, qui est une oeuvre de fiction mais reflétant
des points de vue très pertinents sur la rencontre entre la culture
occidentale et la culture africaine, un des personnages, Le Chevalier, posait
en ces termes la raison de l'école : « Une plaie qu'on
néglige ne guérit pas, mais s'infecte jusqu'à la
gangrène. Un enfant qu'on n'éduque pas régresse. Une
société qu'on ne gouverne pas se détruit. L'Occident
érige la science contre ce chaos envahissant, il l'érige comme
une barricade» (p91). Le Chevalier a bien précisé
« L'Occident érige...» et attribue, par
la-même, la propriété de l'école, de cette «
culture savante », à l'Occident. Pour confirmer
l'acculturation, un autre personnage, La Grande Royale, dit: «
L'école où je pousse nos enfants tuera en eux ce
qu'aujourd'hui nous aimons et conservons avec soin à juste titre.
Peut-être notre souvenir lui-même mourra en eux. Quand ils nous
reviendront de l'école, il en est qui ne nous reconnaitrons
pas». (p57). Ce que les Diallobés « aiment et
conservent avec soin» dans leurs enfants, c'est l'identité
Diallobé. Ceci implique deux choses: d'une part
26 Cheikh Hamidou KANE, L'Aventure ambigüe,
domaine étranger 10/18, Julliard 1961
que l'identité Diallobé n'est pas innée
mais elle est acquise par un processus de socialisation similaire à
celui de l'école, d'autre part que l'école occidentale, usant du
même processus et avec plus de force, réduira fortement voire
supprimera la place de la première identité.
De cette analyse se dégage une inquiétude
fondamentale. Etant donné que les élèves africains,
étrangers à la culture de l'école, peuvent l'assimiler,
sous violence symbolique ou sous toute autre pression, au point d'en faire
leurs les valeurs qui en sont issues, la « culture savante»
de Bourdieu appartient-elle réellement à une classe? N'est-il pas
une question d'opportunités historiques favorisant plus vite
l'accès des uns à la culture savante et reléguant les
autres dans la cour populaire, lieu de prédilection du «
symbolisme expressif» du sociolinguiste Bernstein?
Paragraphe 2 Inégalité des
élèves africains devant l'école
Tous les étudiants africains ne disposent pas des
mêmes atouts pour affronter la culture savante. Même au premier
jour de l'école en Afrique, l'environnement dans lequel chaque enfant a
vécu lui permet de briller dans telle ou telle discipline et occuper une
place particulière dans le classement généré par la
diversité des aptitudes, à plus forte raison après un
demi-siècle de cheminement avec la culture savante. Ils l'ont
assimilé au point d'effacer la frontière entre les connaissances
acquises par le fils du bourgeois et eux. Mais assimiler n'est pas synonyme
d'en profiter à la même hauteur que les autres qui, même
sans assimilation (au sens de maitrise), s'en sortent mieux profitant des
réseaux de relations tissées au fil du temps. On voit aussi ici
se dessiner en filigrane le poids des ressources économiques. A cet
effet, La Bible dit avec justesse : « A qui en a, on donnera
encore...». C'est l'expression du capitalisme bancaire qui n'octroie
du crédit qu'aux riches car disposant de solides garanties.
Le savoir n'est pas alors la propriété d'une
classe.; il est à équidistance de toutes les classes, et comme
nous l'avons dit, ce sont les opportunités historiques qui en
gèrent les enjeux. Le savoir d'hier n'est pas resté stagnant.
Ceux qui sont issus des classes populaires y ont fait des contributions
notables. Puisqu'il n'est pas immuable et d'accès libre, pourrait-il
être la propriété juridique d'une entité?
Aussi, la distinction classe bourgeoise et classe populaire
puisque non fondée sur l'appartenance du savoir à un camp mais
sur des considérations économiques peut aussi s'appliquer aux
élèves africains.
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