Rendement Interne du College Charles Lwanga de Sarh (Tchad): Cas de la cohorte 1987-1994( Télécharger le fichier original )par Mekone Tolrom Universite de Toulouse 1, Sciences Sociales - Diplome d'Universite: Ingenierie de la Formation et des Systemes d'Emploi 2007 |
Paragraphe 2 Interprétation conditionnelleA supposer que l'on mette à la disposition des autres établissements les ressources à la hauteur de celles dont dispose le Collège Charles Lwanga de Sarh, arriveront-ils au même niveau de rendement scolaire ? Sinon, pourquoi? A. Ressources disponibles Pour parler des ressources dont dispose le Collège Charles Lwanga de Sarh pour la réalisation de sa mission, commençons par énoncer la ressource pédagogique centrale à savoir la « pédagogie ignatienne» qui donne l'élan à toutes les autres ressources. Selon Denis DELOBRE s.j., prêtre jésuite, responsable de la Formation Humaine à l'Ecole Supérieure d'Agriculture de Purpan - Toulouse (France), cette pédagogie n'a rien de mystérieux comme certains pourraient le penser. « Son objectif, écrit-il, est d'aider au développement le plus complet possible de tous les talents donnés à chaque personne. Le succès de la pédagogie ignatienne ne se mesure pas d'abord en termes de succès scolaires ou de compétence technique des professeurs, mais bien plutôt en termes définissant la qualité d'être. [JIl désigne bien plutôt le développement le plus complet des possibilités de chaque individu à chaque étape de la vie, uni au désir de poursuivre ce développement pendant toute la vie et à la volonté de mettre au service des autres les dons développés. Chacun est invité à rechercher et atteindre des objectifs à un rythme adapté à ses possibilités propres ainsi qu'aux caractéristiques de sa personnalité. [J Elle comprend une formation à des valeurs (respect, ouverture aux autres, partage de ses dons), à des attitudes et à la volonté. Elle inclut une relecture du vécu qui permet de prendre en compte sa propre expérience et d'en tirer profit. Cette réflexion sur les expériences personnelles est le point central de cette pédagogie. Chacun est ainsi conduit à accepter les dons personnels, à les développer, mais à accepter aussi les limites et à les dépasser autant que possible. Ce cheminement se fait tout au long de la vie dans le cadre d'un accompagnement fraternel où la parole confiante, échangée en vérité, apporte beaucoup de lumière. [JA l'évidence, cette pédagogie ne s'adresse pas à une "élite". Elle est accessible à tous ceux et celles qui désirent oeuvrer avec rigueur et vigueur pour que l'homme soit vraiment homme »22. Tel qu'énoncé, la pédagogie ignatienne donne sens, comme nous l'avons dit, à toutes les autres ressources. Le Collège Charles Lwanga de Sarh est financé à plus de 50% par la Compagnie de Jésus, une congrégation catholique d'où viennent les prêtres jésuites. La contribution des parents d'élèves représente moins de 20% du budget total. Le reste des ressources financières proviennent du diocèse du Sarh, propriétaire du Collège, des autres collèges jésuites amis et donateurs divers. Il ne reçoit aucun fond public de la part de l'Etat tchadien. Ce budget permet au Collège de disposer des professeurs permanents, la plupart ressortissants du même Collège, des manuels scolaires pour tous les niveaux, de deux bibliothèques, d'un laboratoire scientifique, d'un internat accueillant une faible part des effectifs, d'une salle de dactylographie, de jeux de table, le tout logé sur un espace foncier personnel comprenant des terrains de jeux de basketball, volleyball, football, handball et un logement de 3 villas pour professeurs. Une équipe de prêtres jésuites expatriés et nationaux assure la direction générale et pédagogique. Du point de vue analyse sectorielle, c'est l'ensemble de ces ressources qui rend possible le rendement scolaire du Collège Charles de Sarh tel que nous l'avons présenté. 22 http://www.ndj.edu.lb/jesuites/pedignat.htm Mais du point de vue systémique, il y existe un fil conducteur plus puissant que toutes ces ressources. B. A égalité de ressources Nous avons démontré dans cette analyse que la disponibilité des ressources économiques est une condition nécessaire au succès indifférencié des élèves. Voyons dans quelle mesure un autre établissement, public ou privé commercial, pourrait produire les mêmes résultats s'il disposait des mêmes ressources. Prenons un établissement d'enseignement secondaire public ou privé qui ne dispose pas de ressources économiques suffisantes pour offrir un encadrement adéquat à ses élèves. Mettons à sa disposition un budget suffisant pour s'équiper en matériel pédagogique, payer son personnel et s'assurer tous les services utiles au bon fonctionnement. Pour le cas d'un établissement public, le premier problème qui se posera est celui de l'autonomie. Les établissements publics vivent sous la coupe directe du ministère de l'éducation et doivent donc respecter l'orthodoxie managériale publique. Même si un tel établissement dispose des ressources économiques suffisantes, aucune flexibilité n'est permise pour ajuster soit les programmes soit les aspects administratifs de la gestion de l'établissement. La gestion des ressources humaines, par exemple, relève entièrement de l'autorité de tutelle qui recrute, paie et révoque. A cette allure, les ressources n'affecteront pas le rendement scolaire à la hauteur de celui du CCL et pourrait parfois créer, à défaut d'une meilleure organisation, un désordre général dû au blocage de conflit d'intérêts. Pour un établissement privé commercial, c'est son isolement qui l'empêchera d'atteindre un meilleur rendement scolaire. En effet, en dehors de respecter les normes minimales d'enseignement, contenu et équipement, fixées par les autorités de tutelle, le propriétaire de cet établissement ne fournit des efforts que pour augmenter sa productivité - au prix, parfois, d'un encadrement médiocre - et faire des recettes. S'il cherche à améliorer son enseignement et placer ses diplômés sur le marché de l'emploi, c'est pour en retour obtenir la bonne réputation qui lui attirera plus de candidats et donc plus de recettes. Pour un tel établissement, lui assurer d'office le renflouement de ses effectifs par la mise à la disposition automatique des ressources va entrainer un relâchement général puisque ses efforts portent vers l'attrait des candidats. Il ne se préoccupera plus de la qualité et produire les diplômés en nombre demandé par le bailleur. Ces deux exemples montrent que la suffisance des ressources n'est pas gage de succès. Au-delà donc des ressources économiques se profile la dynamique que l'approche systémique perçoit clairement. Cette approche privilégie une étude globale allant au-delà de la simple analyse et tient pour non égal le tout et la somme des parties. Elle va au-delà de la pensée « analytique dans la lignée cartésienne »23. Selon Jean-Claude Lugan, elle dépasse la « sectorisation disciplinaire» et voit sous l'angle de « système ». Comme nous l'avons défini dans la problématique, contrairement à une structure qui demeure invariante, un système est dynamique. Pour comprendre ledit système, une étude doit porter sur toutes les interactions qui s'opèrent en son sein. Nous avions aussi dit que l'environnement d'un système a une forte influence sur lui car lui offrant « contraintes » et « ressources ». C'est dans ce sens qu'i faut comprendre le succès à long terme d'un établissement qu'elle soit de formation ou non. Le Collège Charles de Sarh n'est pas un établissement isolé de son environnement. A la tête du système se trouve l'Eglise catholique du Tchad. Cette Eglise ne s'occupe pas seulement du « salut des âmes» en de termes purement spirituels mais travaille aussi au développement socioéconomique. Elle s'est dotée des organisations tel que le Belacd, le Secadev, l'Inades qui oeuvre dans le développement intégré des structures sociales et économiques du pays. On retrouve des antennes de ces organisations dans les plus petites paroisses rurales. Les écoles catholiques primaires font partie également du système. C'est cet environnement « externe» qui permet un recrutement aisé des élèves de toutes les régions du pays. Aussi, cet environnement et la diversité d'origine des élèves contribuent-ils grandement au rendement élevé du Collège Charles Lwanga de Sarh. 23 Jean Claude Lugan, Approche Systémique des Organisations de Formation, UT1, 2007 L'environnement interne aussi possède sa part de contribution dans le rendement du CCL. Nous entendons par « environnement interne» les divers mouvements qui côtoient l'enseignement des disciplines purement scolaires. Il s'agit des mouvements associatifs tels que la Jeunesse Etudiante Chrétienne (JEC), la Génération Nouvelle (GEN), etc. Bourdieu le souligne à juste titre dans son livre : « Sans doute, la participation à des groupes ou à des mouvements confessionnels (surtout catholiques), procure-t-elle aux étudiants et surtout aux étudiantes, l'occasion de contacts organisés et réguliers au sein des groupes secondaires relativement intégrés, « cercles », « foyers » ou « associations » qui prennent le relais du milieu familial; sans doute les étudiants catholiques sont-ils les plus nombreux à avoir fait leurs études secondaires dans des établissements privés (51% contre 7% pour les non- catholiques. [J Sans doute enfin, les étudiants catholiques semblent engager dans leurs études et dans la représentation qu'ils se font de leur carrière future une éthique de la bonne volonté et du service d'autrui qui trouve une expression particulièrement lyrique chez les jeunes filles »24. Il ajoute, cependant, que « dans les conduites et les attitudes proprement scolaires, l'appartenance religieuse ne détermine jamais de différences statistiquement significatives ». Le sport et les jeux constituent aussi des lieux de développement de la personne. La responsabilisation des élèves pour la gestion des diverses activités du Collège tel que la cantine scolaire, les équipements, le journal interne (« Lueur ») et le tutorat assuré par les élèves seniors au profit des cadets participent au mouvement. Cette stratégie systémique, « holistique », diront les prêtres jésuites, croise ou sous- tend la pédagogie ignatienne. Denis Delobre présente ses trois caractéristiques en ces termes: « elle insiste sur le soin donné à chacun et le souci de chaque individu; elle souligne l'activité de la part des élèves; elle encourage une ouverture de toute la vie au progrès »25. Enfin, l'autonomie technique dont jouit le Collège Charles Lwanga de Sarh est un avantage sur les autres établissements concurrents. En effet, un système, pour assurer sa survie, doit être à mesure de réguler son ouverture sur l'extérieur. Il doit se «finaliser» 24 Pierre BOURDIEU et Jean-Claude PASSERON, Les Héritiers - Les Etudiants et la culture, Les Editions de Minuit, 1964, 1966, 1985 25 http://www.ndj.edu/lb/jesuites/pedignat.htm c'est-à-dire « décider de sa décision », ne pas laisser l'environnement externe lui dicter simplement les comportements. Ainsi, il pourra assurer sa stabilité, c'est-à-dire la capacité à maintenir l'unité dans la diversité, à « changer à l'intérieur de certaines limites ». Il doit également posséder l'ultra stabilité c'est-à-dire la capacité de changer en restant lui-même. Le Collège Charles Lwanga pourra alors évoluer tout en demeurant fidèle aux principes directeurs qui fondent son succès. Enfin, la multi stabilité. S'il est menacé d'envahissement par l'extérieur et perdre son identité, la multi stabilité lui permet de changer pour rétablir l'équilibre. Pour éviter donc l'entropie, le désordre croissant, ses éléments ci-haut cités constituent une néguentropie efficace. Le Collège Charles Lwanga a intérêt à mettre l'accent sur la mise à niveau avec le système de tutorat et l'implication des membres de la communauté socioéconomique de son environnement. L'existence des mouvements de jeunes est d'une importance capitale ainsi que la responsabilisation des élèves. Dans l'approche systémique des organisations de formation, Lugan nous apprend qu'il existe 7 étapes importantes que les établissements doivent suivre pour améliorer leur rendement. En premier lieu, l'établissement doit mettre en place un système qui permet l'autoévaluation des élèves, un bilan de personnalité, des connaissances, des aptitudes, des motivations, des modes cognitifs avant tout autre action académique. La deuxième fonction concerne le conseil d'orientation et la détermination des objectifs éducatifs généraux. La troisième fonction emploie la mémorisation et la constitution d'un dossier pour chaque élève. La quatrième fonction doit identifier les besoins éducatifs spécifiques sur un plan général et/ou professionnel. La cinquième fonction détermine les méthodes d'acquisition des connaissances et savoir-faire. La sixième définit les processus d'acquisition des connaissances et l'engagement des moyens ad hoc. La septième conçoit les méthodes d'évaluation des connaissances et valeurs. La huitième est une fonction qui permet la correction et la régulation du système. La neuvième fonction planifie les processus de certification et d'interface avec les autres systèmes. La dixième fonction assure la maintenance générale, de l'administration en fait. Si les différentes fonctions citées sont prises en compte par l'établissement, les chances pour un rendement élevé sont grandes. Le Collège Charles Lwanga assume toutes ces fonctions mais peut-être pas méthodiquement comme le veut cette logique. Il est vrai que son application intégrale requiert beaucoup de moyens. Même les pays disposant de plus de moyens ne sont pas à mesure de le faire. Il est cependant important de comprendre la philosophie et l'adapter. Les outils informatiques doivent être d'un apport non négligeable dans la mise en pratique de la méthode. Le Collège peut l'expérimenter aussi avec un petit groupe de primo entrants et juger des résultats. |
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