Envoyé Spécial : une approche de l'environnement à la télévision française (1990-2000).( Télécharger le fichier original )par Yannick Sellier Université Paris 1 Panthéon Sorbonne - Master 2 Histoire et Audiovisuel 2007 |
B- La recherche d'une pratique journalistique différente.Tous les indicateurs montrent une rapide stabilisation de la formule proposée par Envoyé spécial (formule établie au début des années 1990 et toujours valable en 2007) et surtout un constant équilibre financier du magazine. Pourquoi ? Nous allons à présent étudier dans le détail certaines caractéristiques qui président à l'élaboration, ainsi qu'à l'originalité, de ces émissions. a- Envoyé Spécial : prolongement et rupture avec le journal télévisé.Envoyé spécial, 22-10-1992, 20h50, Première image du générique. Dans la logique de la programmation d'Antenne 2, Envoyé spécial, que les commentateurs rangent dans la catégorie du « magazine d'information », a d'abord été perçu comme un prolongement du journal télévisé. Au cours du journal de 20h, le présentateur fait régulièrement l'annonce des reportages qui seront diffusés dans le magazine, avec un résumé des sujets et un condensé d'images extraites du reportage. C'est notamment le cas pour les deux reportages sur les sous-marins nucléaires russes laissés à l'abandon, en décembre 1992 et en juin 1993, qui apparaissent dans la rubrique des informations ayant trait à l'international. Ainsi des reportages qui n'étaient pas nécessairement et directement liés à l'actualité du moment (et à l'agenda des hommes politiques) le deviennent. D'autre part, ce sont les mêmes journalistes (90% de l'effectif d'Envoyé spécial) qui travaillent à la fois pour le Journal Télévisé et le magazine31(*), ce que rappelle le début du générique, avant que n'apparaisse le titre du magazine, « la rédaction d'Antenne 2 (puis de France 2) présente ». Paul Nahon et Bernard Benyamin pensent, par ailleurs, que le passage des journalistes par leur magazine est un acte formateur pour ces derniers. Dans l'article du Monde datant du 15 janvier 1990, Bernard Benyamin explique que, si les reporters sont enchantés de pouvoir participer à un tel magazine, « nombre d'entre eux n'ont jamais réalisé des sujets de plus de deux minutes. » Or des compétences différentes sont requises en fonction de la durée d'un reportage, selon qu'il faille concevoir un reportage de 2 minutes pour le journal télévisé ou faire un reportage d'abord de 10, puis, dès 1991, de 20, 30 voire 40 minutes pour Envoyé spécial. Paul Nahon, en charge de la production, insiste cependant pour que le magazine dispose de moyens matériels et surtout de fonds qui lui soient propres. Ceci afin que la préparation des reportages ne pâtisse pas d'un éventuel arbitrage entre les moyens alloués au journal télévisé et ceux alloués au magazine Envoyé spécial. D'autre part, Paul Nahon et Bernard Benyamin tiennent à se distinguer résolument du journal télévisé, jugé trop lapidaire et assimilable à un flot indifférencié d'images. Leur magazine doit a contrario pouvoir proposer au téléspectateur un raisonnement construit et de qualité à partir d'un sujet bien délimité et identifié32(*). Pour les commanditaires du magazine, il s'agissait d'abord de proposer des éclairages particuliers sur l'actualité ; le reportage devait être l'occasion d'un approfondissement d'un sujet lié à l'actualité. L'objectif était de rassembler des éléments et d'apporter des précisions concernant le déroulement d'un événement récent afin que le téléspectateur puisse mieux le comprendre. Envoyé spécial s'affirme en fait très vite, au delà des limites du « magazine d'actualité », comme un « magazine de société ». Paul Nahon et Bernard Benyamin prennent dans un premier temps, l'habitude de choisir les sujets qu'ils veulent traiter au cours de leurs futures émissions, en général longtemps à l'avance (« avec six mois d'antécédent »33(*) avait précisé Bernard Benyamin). Même s'ils peuvent modifier la programmation de leurs sujets en fonction de l'urgence de l'actualité (le début d'une guerre, la découverte d'un scandale...), le choix des sujets est en général relativement indépendant et éloigné de l'actualité quotidienne. Relativement seulement, car Paul Nahon et Bernard Benyamin ne manquent jamais, au cours du commentaire d'introduction et lorsque l'actualité s'y prête, de mettre en perspective le sujet traité avec des événements récents ayant précédé la diffusion du reportage. Quoiqu'il en soit, Paul Nahon et Bernard Benyamin souhaitent se faire les médiateurs des acteurs du monde contemporains. Profitant de la possibilité de recul, de synthèse, et d'indépendance qui leur est offerte, ils conçoivent les reportages autrement que comme pure et simple présentation des faits, comme un cadre de réflexion, comme un espace de discussion des choix que la société, en France ou à l'étranger, peut faire. On peut donc définir Envoyé spécial comme un « magazine de société ». La visée d'un tel magazine le distingue donc fondamentalement de celle du journal télévisé. Le rôle du journal télévisé est d'abord de relater au jour le jour l'évolution des décisions que peuvent prendre les acteurs. Envoyé spécial peut s'octroyer plus facilement la liberté de poser ouvertement des questions aux téléspectateurs quant à la pertinence de ces décisions, laissant le plus souvent le soin ou la charge aux téléspectateurs de répondre à ces questions. * 31 Rey Jean-Noël (propos recueilli par), Nahon Paul, « Envoyé Spécial : rigueur et austérité », Cinémaction, Paris, 1997, p. 72. * 32 Leclère Thierry, « Deux sur A2 », Télérama, n° 2087, Paris, 10 janvier 1990, pp.. 50-51 * 33 Cf. notre entretien avec Paul Nahon et Bernard Benyamin en annexe. |
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